Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 11 novembre 2015

1915-2015, LE CENTENAIRE DE 14-18 Les raisons d'écrire de Jacques Perret

livr_arbitres_Couverture.jpgMichel Lhomme

Métamag cliquez ici

Les Editions Via Romana viennent de publier "Raisons de famille" , le deuxième livre de souvenirs de Jacques Perret tandis que l'excellente revue littéraire Livr'arbitres y consacre son numéro 18 de l'automne 2015. Le choix de Raisons de famille est judicieux car on y célèbre avec un an d'avance le centième anniversaire de la disparition en 1916 de Louis Perret, le grand frère du Caporal épinglé. Le récit raconte à la première personne le premier août 1914, veille de la mobilisation générale avec l'apposition des affiches dans tous les villages de France. Tout se passe dans la maison familiale des Perret, la maison de Galluis en Seine-et-Oise (aujourd'hui département des Yvelines) et l'on y décrit une famille unie que vient secouer le devoir patriotique et l'histoire mondiale. Jacques Perret qui a douze ans voit cette année-là partir son père mais aussi son grand frère à la guerre. Ce dernier ne reviendra jamais, tombant au champ d'honneur sur la Somme, à Bouchavesnes, le 25 septembre 1916. Le papa qui s'était engagé puisqu'ayant passé l'âge de la conscription, fut, lui, grièvement blessé dans les Flandres puis fait prisonnier mais il revint sauf de la première guerre mondiale.

Les souvenirs de Jacques Perret rappellent que les années 1912 et 1913 furent particulièrement heureuses, ce furent de beaux étés normands et de belles moissons gauloises comme le fut d'ailleurs l'été 14, du moins en province et à la campagne. Pourtant, comme aujourd'hui, la France ne sentait-elle pas déjà le rance ? Sans doute puisque la France était profondément marquée par la défaite de 1870, la guerre des Balkans, le scandale de Panama, les ralliements ratés au Général Boulanger, l'affaire Dreyfus, la corruption des politicards, le pacifisme démobilisateur de Jaurès, la germanophobie de Maurras, la trahison des socialistes. 14-18 sera la première guerre du mondialisme mais dans les tranchées, dans les discussions de bivouac, on ne le saura pas et on s'étripera pour en chercher des causes diverses dans le nationalisme revanchard ou dans une guerre du capitalisme et de la finance avec en toile de fond, la révolution bolchévique et ses trains suisses remplis de lingots d'or. Pourtant, c'est souvent en regardant passer les vaches comme aujourd'hui que les grandes catastrophes surgissent. La France de 2015 sait-elle vraiment ce qui lui arrive ? N'a-t-elle pas été aussi volontairement démilitarisée par des hommes politiques pleutres et lâches depuis plus de trois décennies pour les ''préparer'' à une autre boucherie, à les asservir à la finance et les adapter au grand remplacement, les monter contre l'eurasisme.

L'intérêt du livre de Jacques Perret est là, nous narrer l'avant-guerre, « la paix des familles, l'état d'innocence, l'harmonie universelle » ou « la cueillette des prunes », les devoirs de classe, les jeux en plein air, au Jardin du Luxembourg des distractions enfantines, les cabanes et les courses à vélo, agrémentées de pénibles leçons de piano. Dès lors, en lisant le livre, on ne peut pas commémorer la grande guerre sans faire des parallèles avec le repli familial des années 90 qui anticipe ce que sera le choc historique des années 2015-2025. Certes en 1912 pas de grand remplacement ni de théorie du genre obligatoire, de totalitarisme de l'édredon, rien de tout cela dans le portrait d'une famille plutôt traditionnelle d'avant-guerre avec le camembert et le pinard à la sortie de la Messe, ou les enfants montés de force à l'étage quand les grands finissaient d'arroser la soirée au calvados dans le salon : « De fumants éclats montaient jusqu'aux chambres des enfants et nous comprenions alors vaguement dans le demi-sommeil, quelle institution difficile et miraculeuse était la famille où sans être d'accord sur tout on peut s'embrasser à propos de rien ». En réalité, aujourd'hui, les enfants ne dorment plus très tôt, ne montent dans leurs chambres que pour les jeux vidéos tandis que leurs parents pianotent sur leurs portables sans même se parler ou se poser des questions. Mais n'est-ce pas aussi un climat d'avant-guerre, le climat insouciant d'une guerre mondiale qui sera hybride et civile mais dont on veut dénie la probable réalité barbaresque ou nucléaire ? En fait, ce paradis familial que narre Jacques Perret avant la grande catastrophe de 14 existe encore même s'il n'y a plus d'éden républicain capable de fomenter la fierté grandiloquente de l'humble devoir patriotique. Il n'y a plus de nation mais des rapatriements d'exilés ou d'immigrés dans des drapeaux brûlés, déchirés ou remplacés sur les places publiques par les bannières ennemies de républiques islamiques.

La mort du grand frère Louis a de toute évidence marqué le petit Jacquot, le futur écrivain rebelle. Nous pensons que l'écrivain français ne s'est jamais remis de la mort de son grand frère et que c'est même pour cela qu'il écrira toute sa vie d'autant que Louis était un brillant élève de l'Ecole des Chartres appelé à une grande carrière. Nous soupçonnons que Jacques Perret après le décès de son aîné ne croira plus jamais à la carrière et aux grands discours des donneurs de leçon républicains. « Je suis pour le Trône et l'Autel » lâche-t-il âgé en une position suicidaire en 1975 sur le plateau d'Apostrophes devant un Bernard Pivot médusé.

Comme le remarque Jean-Baptiste Chaumeil, le passeur moderne de Perret, dans un article du numéro de Livr'arbitres à propos de la réédition opportune des Raisons de famille : « C'est aussi le grand intérêt de ce livre : tout est là qui permet de comprendre Jacques Perret. Comprendre son engagement au Maroc en 1922, son incorporation dans les corps-francs en 1940, ses évasions, son départ au Maquis, sa détermination dans la défense de l'Algérie française, et tant d'autres combats. ». La mort d'un grand frère aux combats de 14-18, devoir de famille de toute une époque, obligations patriotiques, traumatisme crânien, douleur des gueules cassées et solitude pour ceux qui restent. Nous pensons instinctivement à ces femmes comme la mère du poète britannique Rupert Brooke qui perdit toute sa progéniture à la guerre, ou à ces pères de 14-18 comme celui de Jacques Perret qui survécurent malades aux combats des tranchées mais qui pleurèrent leurs fils qu'ils avaient abandonnés sur ces champs de bataille où ils avaient paternellement guerroyés à leurs côtés en connaissant toute la merde des tranchées.

La guerre rend fou mais la guerre rend aussi irrécupérable. Jacques Perret est un irrécupérable. Cela nous change de la crasse des Modiano, Echenoz ou Enard qui nous font miroiter avec des guerres reconstruites des tableaux de douceur avant la tempête pour en réalité mieux nous anesthésier pour l'avenir troublé qui nous attend.


Jacques Perret, "Raisons de famille" , Septembre 2015, 328 pages, Éditions Via Romana, 25€

Livr'Arbitres, n°18, automne 2015, 7€

09:36 Publié dans Michel Lhomme | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |