samedi, 09 août 2025
On ne devient pas anglais comme on apprend à jouer du piano
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
On lit parfois dans The Telegraph des tribunes qui, par leur confusion même, révèlent les impasses de la pensée libérale-conservatrice britannique. Celle du professeur Robert Tombs, publiée le 4 août sous le titre Being English is not a matter of your ancestry, en est un exemple chimiquement pur. L’historien de Cambridge y tente de prouver que l’anglicité n’est pas une affaire de race ou d’origine, mais un code culturel transmissible, éducable, presque une éducation civique chantée sur fond d’Elgar. On apprendrait à être anglais comme on apprend à faire du cricket, à boire de la bière tiède ou à réciter Kipling en uniforme scolaire. C’est touchant, mais c’est faux.
Un homme comme Tombs devrait pourtant savoir que toute culture n’est pas un contenu transférable, un paquet de mœurs à l’usage des nouveaux arrivants, à condition qu’ils aient "la gratitude" requise. Dans son éditorial, il évoque ces fillettes en hijab qui déclament If dans les écoles de Madame Birbalsingh comme preuve que l’anglais se transmet. Il oublie que la mimique n’est pas l’appartenance. On peut répéter, apprendre, intégrer des codes, sans jamais entrer dans le monde intérieur que ces codes expriment. Ce n’est pas qu’une question de savoir-faire, c’est un monde vécu. Un monde hérité.
Richard North, dans sa réponse cinglante à ce texte, n’a pas eu de mots assez durs pour dénoncer cette foi irénique dans l’éducation comme substitut d’appartenance. Il rappelle que la psychologie moderne a invalidé la vieille fiction lockéenne de la tabula rasa. L’enfant ne naît pas comme une page blanche à remplir de strophes patriotiques, mais avec un bagage biologique, des dispositions, une mémoire incorporée. Il est aussi l’héritier d’une lignée, d’un tempérament, d’une manière d’habiter la terre. L’anglicité, si elle a un sens, est une forme d’être-au-monde, un rapport singulier au climat, aux pierres, aux lois, aux silences. Elle ne s’enseigne pas plus qu’un accent ne s’imite sans trahir.
L’erreur de Tombs, dont l’intelligence est certaine, est celle de l’idéalisme universitaire. Il prend ses abstractions pour le réel. Il parle d’"identité culturelle" comme on parle de modules universitaires : on pourrait les dispenser, les évaluer, les certifier. Il ne voit pas que le phénomène migratoire n’est pas un problème de pédagogie mais de seuils. La question n’est pas de savoir si tel individu issu de Bombay peut devenir "plus anglais que les Anglais" (cela a existé), mais ce que devient un peuple lorsque 40 %, puis 60 %, puis 80 % des nouveau-nés n’ont plus rien de commun avec ceux qui les précédaient. À partir de quel point l’on change de peuple, et donc de civilisation.
Dans cette affaire, le professeur Tombs me rappelle ces officiers romains qui, au IVe siècle, vantaient la loyauté des Goths fédérés dans l’armée impériale, sans voir qu’ils étaient en train de former des légions barbares. L’Empire d’Occident n’a pas été conquis, il s’est intégré à mort. Aujourd’hui, ce n’est pas la reconquête, mais l’anglicisation des immigrés qui devient le rêve fou du conservatisme britannique. Une anglicisation sans Anglais. Des valeurs sans corps. Des souvenirs sans ascendants. Un peu comme si l’on rêvait de Bretagne sans Bretons, de crêpes sans blé noir, de marées sans la mer.
Il faut lire, pour mesurer la gravité du mal, les dernières lignes du texte de Tombs. Il y décrit l’Angleterre comme une culture nation, un édifice mental composé d’émotions, d’images, de souvenirs. Ce romantisme tardif est d’autant plus tragique que les fondations biologiques de cette culture, les lignées paysannes et urbaines anglaises, se dissolvent dans l’agrégat des flux migratoires. Et tandis qu’on tente désespérément de faire chanter Jerusalem à des classes entières d’enfants venus d’ailleurs, les Anglais, les vrais, quittent les villes, fuient les hôpitaux, désertent les écoles. Ils s’éteignent à petit feu, remplacés non par des étrangers, mais par des citoyens désincarnés d’un pays imaginaire.
On pourrait croire à de la naïveté. C’est bien pire. C’est un mensonge rationalisateur. Un effort intellectuel pour maquiller l’effondrement dans les apparences du contrôle. On veut croire que l’immigration de peuplement n’est pas un déluge, mais une pluie féconde. Que l’acculturation de masse n’est pas une noyade, mais un bain chaud. Que la substitution démographique n’est pas une perte, mais un enrichissement. C’est l’ultime illusion des élites : penser que l’histoire est un exercice de style, réversible, gouvernable, révisable. Comme disait Spengler, les civilisations ne meurent pas de coups d’État, mais d’un excès de culture.
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