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mercredi, 08 octobre 2025

Immigration : ce que disent vraiment les nouveaux chiffres de l’Insee (et ce que certains titres de presse passent sous silence)

Métiers en tension

La rédaction de Breizh-Info (cliquez ici)

L’Insee a publié, ce 7 octobre 2025, une note très dense (cliquez ici) sur les étrangers et les immigrés en France. Chiffres-clés : 6 millions d’étrangers résident en 2024 dans le pays (8,8 % de la population) ; 7,7 millions d’immigrés (personnes nées étrangères à l’étranger) vivent en France, dont 2,6 millions ont acquis la nationalité française. Au-delà des pourcentages, ces données confirment une transformation démographique profonde et une hausse soutenue sur le temps long, avec une recomposition très nette des origines.

Un chiffre réel… mais un récit médiatique partiel

Plusieurs médias ont titré que la part des étrangers en France (8,8 %) serait inférieure à la moyenne de l’Union européenne (9,6 %), insinuant qu’il n’y aurait « pas de raz-de-marée ». Le point est exact mais incomplet : la France se situe certes sous la moyenne UE pour la part d’étrangers, mais elle affiche des volumes très élevés et surtout une dynamique cumulative (immigrés + descendants) qui recompose le paysage démographique.

Rappel utile : un étranger est défini par la nationalité actuelle (non française), tandis qu’un immigré est défini par le lieu et la nationalité à la naissance (né étranger à l’étranger) — et peut donc aujourd’hui être devenu français. Résultat, un tiers des immigrés vivant en France sont Français (après naturalisation). À l’inverse, 0,9 million d’étrangers sont nés en France (surtout des mineurs qui deviendront Français sous conditions de résidence). Autrement dit : travailler uniquement avec la catégorie « étranger » minimise mécaniquement l’ampleur du fait migratoire.

Une hausse sur le temps long et une recomposition des origines

Sur un siècle, le nombre d’étrangers et d’immigrés augmente par vagues, mais la trajectoire récente est claire : depuis la fin des années 1990, les deux effectifs progressent (plus vite pour les étrangers depuis 2009, effet du ralentissement des naturalisations). Surtout, la structure par origine change radicalement. En 1968, trois étrangers sur quatre étaient européens ; en 2024, près de la moitié des étrangers ont une nationalité africaine (46 %) et un tiers une nationalité européenne (35 %). Cette recomposition est le fait majeur des cinquante dernières années.

La photographie est similaire du côté des immigrés par lieu de naissance : en 2024, 48,9 % des immigrés vivant en France sont nés en Afrique, 30,9 % en Europe. Les pays de naissance les plus fréquents restent l’Algérie, le Maroc, le Portugal, la Tunisie, l’Italie, la Turquie et l’Espagne.

Flux récents : 2023 éclaire l’amont des stocks 2024

Les stocks 2024 reflètent des flux antérieurs. Pour mémoire, 347 000 immigrés sont entrés en France en 2023, avec 46 % nés en Afrique. Ces flux récents expliquent la montée de la part africaine dans la population immigrée. Au niveau européen, Eurostat souligne qu’en 2024 la part des personnes nées hors UE atteint 9,9 % de la population de l’UE, un plus haut, ce qui met la France dans un mouvement continental plus large.

L’Insee note que la part d’immigrés naturalisés diminue depuis la fin des années 2000 : durcissement des critères, procédures, profils d’origine… Résultat, davantage d’immigrés restent étrangers plus longtemps, ce qui alimente la hausse de la part d’étrangers dans la population malgré des rythmes d’arrivées variables d’une année à l’autre. À l’inverse, les immigrés européens, bénéficiant déjà de la liberté de circulation, demandent moins souvent la nationalité.

Dire « 8,8 % d’étrangers, en dessous de la moyenne UE » ne suffit pas. La France est l’un des quatre poids lourds de l’UE en nombre absolu d’étrangers, avec l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. Et l’essentiel de la recomposition se joue sur la montée des origines non européennes, tendance partagée au niveau de l’UE (29 millions de non-ressortissants UE vivent dans l’Union au 1er janvier 2024, soit 6,4 % de la population).

La démographie de descendance est décisive. En 2019-2020, 12 % de la population de métropole était descendante d’immigrés de 2ᵉ génération (nés en France de parent(s) immigré(s)). Autrement dit, l’empreinte migratoire est bien plus large que la seule catégorie « étranger ». Ce constat est encore plus net dans les classes d’âge jeunes.

Autre paramètre rarement rappelé dans les brèves : les femmes immigrées des cohortes 1960-1974 ont eu en moyenne 2,35 enfants, contre 1,86 pour les femmes sans ascendance migratoire (écart selon les origines, plus élevé pour l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne). Ces différentiels n’expliquent pas tout, mais pèsent sur la composition future des générations.

Un angle mort des titres « rassurants » : l’ampleur cumulée

La multiplication de brèves « rassurantes » (part en dessous de la moyenne européenne, etc.) occulte trois réalités :

  1. Le stock cumulé (immigrés + descendants) progresse et jeunifie une partie de la pyramide des âges, avec des effets à l’école, dans l’emploi, le logement, la politique de la ville, et la sphère culturelle.
  2. La recomposition des origines (part africaine en forte hausse) change la donne en matière d’intégration linguistique, d’accès à la nationalité (double nationalité impossible selon certains pays), et de politiques publiques ciblées.
  3. La baisse des naturalisations depuis la fin des années 2000 modifie la frontière statistique entre « étranger » et « immigré devenu Français », avec des conséquences politiques (droit de vote, accès à certains emplois publics, etc.).

S’en tenir au seul ratio « 8,8 % < 9,6 % UE » revient à minorer la vitesse de recomposition interne (origines, naturalisations) et l’impact territorial. Le même jour, plusieurs titres ont repris quasi mot pour mot l’angle « part inférieure à la moyenne UE », sans développer les chapitres les plus sensibles de la note (naturalisation en recul, descendance, structure par âge). C’est un choix éditorial ; ce n’est pas l’intégralité du diagnostic.

Ce qu’il faut retenir

  • 6 millions d’étrangers (8,8 %) et 7,7 millions d’immigrés (11,3 %) : la France vit une transformation migratoire majeure, masquée si l’on ne regarde que la catégorie juridique « étranger ».
  • Recomposition des origines : en 2024, 46 % des étrangers ont une nationalité africaine (contre 25 % en 1968). Les flux 2023 confirment cette tendance (46 % des nouveaux immigrés nés en Afrique).
  • Naturalisation en baisse depuis la fin des années 2000 : effet direct sur la « part d’étrangers » et sur l’intégration juridique.
  • Descendance et fécondité : 12 % de 2ᵉ génération en 2019-2020 ; fécondité des immigrées (cohortes 1960-1974) plus élevée que celle des femmes sans ascendance migratoire : vecteurs d’une transformation durable de la population.

Les chiffres de l’Insee s’appuient sur les estimations de population (recensement, séries réajustées) et distinguent soigneusement étrangers (catégorie juridique, comparable dans l’UE) et immigrés (catégorie statistique, propre à la France, permanente). Les comparaisons européennes reposent sur Eurostat (part d’étrangers et part de personnes nées hors UE). Lire les tableaux et définitions avant de conclure est indispensable ; c’est souvent là que se cachent les évolutions structurelles.

19:39 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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