mardi, 04 mars 2025
L’Europe sans pistolet
Vincent Trémolet de Villers
« Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent… » » Dans la brutaité des temps, c’est la doctrine de Sergio Leone qui gouverne les Etats-Unis. C’est sommaire, vulgaire, c’est la force qui l’emporte sur le droit, la société du spectacle qui atomise les raffinements diplomatiques ; c’est déplorable, mais c’est comme ça. Inutile de s’enivrer d’indignations, d’incantations, d’analogies historiques - Munich, Churchill -, nous sommes en 2025 et la France, soumise au grand chambardement trumpien, voit remonter à la surface des questions qui la hantent depuis soixante-dix ans. De Gaulle en 1963 : « Si elle n’est pas l’Europe des peuples, si elle est confiée à quelques organismes technocratiques, l’Europe sera une histoire limitée et sans avenir. Et ce sont les Américains qui en profiteront pour imposer leur hégémonie. » Philippe Séguin en 1992 : « Il ne faut pas rêver, demain, sans défense, sans diplomatie, la France n’aurait pas plus de marge de manœuvre que n’en a aujourd’hui... l’Ukraine. » Nous ne les avons pas écoutés. Nous avons délégué notre puissance et nous n’avions pas de plan B...
« Nous sommes forts et nous ne le savons pas », a dit, lundi, dans un discours de bonne tenue, le premier ministre. Certes, mais la force a été volontairement diluée dans une Commission européenne de plus en plus liquide. Comment croire que la machine bureaucratique qui nous a dépossédés de tous les attributs du pouvoir, qui a été pensée contre l’idée même de puissance, pourrait nous la rendre ?
« Emprunter, mutualiser, partager » ne fait ni une devise ni une « autonomie stratégique ». L’Europe n’est pas un empire : le cadre de la puissance, c’est l’État-nation. La geste héroïque de l’Ukraine en est la preuve vivante. Cela n’empêche pas les alliances in- dispensables entre États européens, cela n’empêche pas la défense d’une civilisation miraculeuse - mariage de la chrétienté et de la démocratie libérale -, mais cela nous oblige à revenir aux réalités premières. Seules des nations fortes peuvent construire ensemble l’indépendance européenne. À condition d’avoir des pistolets chargés.
Source : Le Figaro 4/2/2025
11:54 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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