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samedi, 17 mai 2025

Les derniers jours d’une présidence

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Mathieu Bock-Côté

C’est probablement le mauvais sort qui guette tous les grands comédiens. Au début, ils émerveillent. Quel talent ! Portés par une criti- que enthousiaste, ébaubie, ils obtiennent rapidement les premiers rôles, avant de préciser leur manière de jouer, quel que soit le personnage qu’ils incarneront. C’est qu’ils ont trouvé leurs mimiques, leur manière de sourire, leur manière de se choquer. On sait quand ils veulent nous impressionner. On connaît leurs trucs. Et on applaudit. Mais un jour, sans qu’on ne sache trop pourquoi, ils en viennent à lasser. Ce qui amusait, désormais, agace. Ce qui faisait sourire exaspère. Alors ils s’acharnent - c’est bien normal. Et s’essaient une dernière fois à leur tour de charme. Mais le public n’en veut plus.
Je parle ici des grands artistes, mais aussi des politiques - on aura compris que je parle plus particulièrement d’Emmanuel Macron. Depuis quelques mois, il voulait redevenir maître du jeu, sortir de son rôle de prestigieux figurant, d’apprenti sorcier ayant perdu le secret de ses formules magiques un soir de dissolution. Il a alors voulu devenir le chef de guerre européen au service de l’Ukraine tenant tête à la Russie. Cela permettait de rediaboliser l’opposition intérieure - elle n’était plus seulement d’extrême droite, mais factieuse, et pro-poutinienne -, et de revendiquer pour soi seul la référence au patriotisme. Emmanuel Macron avait plutôt fait carrière dans le dépassement des nations.

Mais il fallait sortir de la seule politique étrangère, d’autant qu’entre-temps, les simagrées européennes se sont révélées de peu de poids dans un paysage international où s’affrontent plutôt des empires, et revenir aux Français, sur le mode du face-à-face, dans l’espoir de renouer avec l’opinion. Je parle maintenant de la performance d’Emmanuel Macron, cette semaine, à la télévision, où il était apparemment appelé à parler directement aux Français. Tout y était, évidemment - Emmanuel Macron est toujours un fin dialecticien, et il est à son meilleur lorsqu’il veut convaincre, et plus encore séduire. Mais rien n’allait. Car tout était écrit d’avance, comme il se doit.

Emmanuel Macron n’allait évidemment pas consentir à un référendum sur l’immigration, qui est pourtant le seul que les Français désirent ardemment. Nous sommes arrivés à ce moment très particulier dans l’histoire de France où les institutions sont formatées de telle manière qu’elles verrouillent complètement la vie démocratique lorsque vient le temps de se poser une question existentielle, portant sur la composition et la survie du peuple français. La Constitution, apparemment, devient plus importante que le peuple qu’elle structure politiquement, et cela, même si elle vient à l’étouffer. On pourrait parler ici d’idolâtrie constitutionnelle. Les principes désincarnés remplacent le peuple concret, qui se voit ainsi submergé dans le respect de l’État de droit.

Mais cela va encore plus loin. Une caste installée aux affaires et résolue à se maintenir dans les palais de la République a ainsi élaboré une doctrine pour bloquer à tout prix la circulation des élites, sans laquelle, pourtant, n’importe quel régime politique finit par s’encrasser, qu’il soit monarchique ou républicain. Évidemment, le régime ne peut pas l’avouer comme tel, surtout dans un pays, comme la France, qui couve toujours une jacquerie, peut-être une révolution, au moins une vraie révolte, électorale, peut-être, ou sur le mode « gilet jaune », au pire. Alors au peuple, on envisagera de donner la parole, à condition que ça ne compte pas. Il ne faudrait quand même pas devenir populiste.

Emmanuel Macron se veut ainsi ouvert à un référendum sur la fin de vie si le projet ne trouve pas de déblocage parlementaire. C’est ce qu’on appellera un référendum illusoire, ayant pour fonction d’accélérer institutionnellement la tendance lourde de l’époque, qui est au détricotage des interdits anthropologiques ancrés dans les plis les plus intimes de l’humanité. Alors que le référendum, aujourd’hui, a surtout pour fonction de renverser une tendance lourde à la dépossession, d’infléchir le sens de l’histoire, de s’arracher à un régime démophobe - et de permettre à une nouvelle élite, sortie des marges où trop longtemps ont été refoulés les opposants, de redresser le pays.

Alors voilà, on s’occupe, on ressort le théâtre républicain, on met en scène un grand échange viril entre le monarque et les Français, on s’assure toutefois qu’il demeure dans les paramètres des convenances républicaines pour que rien ne déborde. On se dit peut-être même que sur un malentendu, ça pourrait fonctionner. Au moins, on préparera 2032. Le commun des mortels n’est pas bluffé. Mais il ne se choque même plus. Il bâille. Il se détourne du décor et des acteurs, tout en se disant que tout cela ne pourrait pas durer éternellement. À l’échelle de l’Histoire, il a évidemment raison.

Source : Le Figaro 17/5/2025

11:17 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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