lundi, 08 septembre 2025
Argentine. La nuit où Milei trébucha : illusions perdues et colère des urnes
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
Il est très tôt, et la tiédeur de ma chambre à coucher contraste avec la nouvelle brutale qui vient de tomber de Buenos Aires. Le gouvernement de Javier Milei vient de subir une défaite écrasante dans la province de Buenos Aires, défaite qu’il a lui-même contribué à aggraver. Le quotidien La Nación parle d’un « cataclysme », conséquence d’une série d’erreurs stratégiques qui exposent aujourd’hui la fragilité d’un pouvoir qui cherchait, au contraire, à se consolider par les urnes.
Le résultat est sans appel: treize points d’écart en faveur du péronisme, soit près d’un million de voix de différence. Un « voto castigo », un vote sanction, qui prend valeur de plébiscite inversé. En choisissant de nationaliser l’élection provinciale, Milei s’est mis lui-même au pied du mur. Ce fut une mise en scène risquée, une épreuve qu’il avait présentée comme un passage obligé pour tourner la page des turbulences économiques et des scandales qui atteignent jusqu’à sa propre sœur, Karina Milei, devenue la véritable architecte électorale du mouvement.
Car ce n’est pas seulement la stratégie qui a failli, ce sont aussi les mœurs politiques du pouvoir qui ont découragé ses partisans. Ces dernières semaines, une succession de scandales a terni l’image d’un mouvement qui se voulait moralement intransigeant. Les soupçons de corruption visant la sœur du Président et son cercle le plus intime, les accusations d’enrichissement illicite contre l’un de ses collaborateurs les plus proches, les révélations sur des financements opaques de campagne, jusqu’aux soupçons sur le président de la Chambre des députés, ont ébranlé la base électorale de Milei. Ceux qui avaient cru à la rupture avec la vieille politique y ont vu une répétition des mêmes vices. Beaucoup se sont abstenus, par lassitude ou par dégoût. Et, inversement, cette atmosphère délétère a incité nombre d’électeurs hostiles à se mobiliser davantage, pour exprimer dans les urnes leur rejet d’un gouvernement perçu comme déjà compromis.
Le revers est d’autant plus douloureux qu’il survient après la formation d’une coalition forcée avec le PRO, censée élargir la base de La Libertad Avanza. L’alliance n’a pas seulement échoué, elle a fait perdre à l’ensemble presque 200 000 voix par rapport à ce que les deux forces réunissaient séparément il y a deux ans. À cela s’ajoutent des écarts impressionnants dans certaines circonscriptions: plus de vingt points à La Matanza, bastion inexpugnable du péronisme, mais aussi des défaites dans des districts de l’intérieur où le kirchnérisme n’avait plus percé depuis une décennie.
La défaite révèle aussi l’erreur de calcul présidentiel quant à la participation électorale. Javier Milei avait parié qu’une faible mobilisation favoriserait ses adversaires. Il en appela donc aux électeurs pour conjurer ce scénario… mais c’est le contraire qui s’est produit. La participation, plus élevée que prévu, a nourri le vote de rejet, confirmant que les « électeurs en colère » l’emportaient sur les sympathisants hésitants.
À l’échec électoral s’ajoute un climat économique fébrile. Les marchés avaient fixé un seuil de tolérance: jusqu’à cinq points de différence, pas d’alerte. Or le résultat a triplé cette prévision. Les investisseurs redoutent désormais un nouvel accès de volatilité monétaire, comme celui qui, en 2019, avait suivi la défaite de Mauricio Macri aux primaires. Milei le sait, et son discours d’après-défaite s’adressait moins à ses concitoyens qu’aux marchés: promesse d’autocritique, de correction des erreurs, mais réaffirmation du cap économique.
Le péronisme, fracturé et affaibli avant ce scrutin, sort renforcé de cette épreuve. Axel Kicillof, gouverneur de Buenos Aires, émerge en vainqueur, même si les blessures internes du camp kirchnériste ne sont pas refermées. Milei, lui, doit panser les siennes. Son isolement, sa dépendance à un cercle restreint — sa sœur Karina, Santiago Caputo, quelques fidèles — deviennent aujourd’hui des handicaps. L’« équilibriste sans filet » qu’il a voulu incarner vient de trébucher.
Il reste cinquante jours jusqu’aux élections nationales de mi-mandat, prévues le 26 octobre. Ce délai, que l’on croyait court, apparaît soudain comme une planche de salut. Milei pourra-t-il se reprendre? Réparer les fautes d’une campagne improvisée, corriger les excès de confiance, rétablir le lien avec une opinion désabusée? Ou bien ce revers marque-t-il déjà le début du reflux d’une vague libertaire qui, en un an à peine, a vu son éclat ternir?
Car au-delà des chiffres et des coalitions, ce scrutin révèle une vérité plus profonde: l’Argentine demeure un pays où l’espérance politique se consume vite, emportée par les scandales et les illusions perdues. C’est un trait de son histoire moderne: de caudillos en sauveurs autoproclamés, la nation ne cesse de chercher un redresseur providentiel et de l’abandonner sitôt qu’il déçoit. Ernst Jünger voyait dans l’homme moderne un « mobilisé total » voué à s’épuiser dans des guerres de mouvement sans fin. L’Argentine, à sa manière, rejoue ce destin: perpétuelle mobilisation populaire, perpétuelle désillusion. Et tant que ce cycle ne sera pas brisé, chaque promesse d’avenir ne sera qu’un mirage.
Source : Breizh-Info, cliquez ici.
12:00 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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