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lundi, 21 avril 2014

García Márquez : une discussion impossible ?

ihs-140420-garcia-castro.jpgEdouardo Mackenzie

Institut d'Histoire sociale cliquez là

Le torrent de louanges que reçoit Gabriel García Márquez à titre posthume quelques heures après sa mort au Mexique n’est pas imméritée si l’on pense au formidable homme de lettres qu’il était.

Cependant, le prix Nobel de littérature était aussi un militant qui a rejoint des thèses politiques répréhensibles qui l’ont conduit à commettre des erreurs dont les effets sont tombés sur son pays et ses compatriotes. Cet aspect de la vie de Gabriel García Márquez tente d’être transformé par certains en un tabou autour duquel toute discussion est interdite. Alors nageons donc à l’encontre de cela, de sorte que la liberté de pensée ne soit pas enterrée par le poids écrasant des éloges pour un homme qui prétendait lutter pour la liberté, tout en défendant la dictature la plus liberticide du continent américain.

Gabriel García Márquez, il faut le dire, n’a pas eu la force de caractère ni la grandeur morale pour rompre ses liens avec le castro-communisme. Son amitié avec Fidel Castro était indéfectible et ne se limitait pas au domaine littéraire.

L’écrivain colombien n’a jamais dénoncé les crimes de la dictature cubaine. Pourtant, il y avait maints motifs pour le faire. D’autres intellectuels latino-américains de sa génération et d’identique prestance, comme Octavio Paz, Mario Vargas Llosa, Julio Cortázar et Plinio Apuleyo Mendoza, attirés d’abord par l’« anti-fascisme » et « anti-impérialisme » de l’URSS, puis par la « révolution cubaine » (involution cubaine devrions-nous l’appeler), ont eu le courage et la perspicacité de rompre avec ce totalitarisme.


García Márquez a cependant persisté, jusqu’à son dernier jour, à appuyer un tyran qui non seulement a ruiné, opprimé son propre peuple et l’a mené à des niveaux de misère sociale incroyables, depuis plus de cinquante ans, mais qui a asséné d’énormes coups aux libertés et causé de lourds dégâts aux économies latino-américaines. Les guérillas sanglantes et terroristes que lui, Fidel Castro, a propulsé pendant des décennies en Amérique latine, pour exporter le socialisme policier qu’il avait installé sur l’île, conduiront au fanatisme et à la mort des milliers de jeunes gens manipulés du continent, et provoquèrent l’émergence de violentes dictatures militaires au Brésil, en Argentine, en Bolivie, au Chili, en Uruguay, au Pérou, au Guatemala, lesquelles dévastèrent à leur tour, pendant des années, la démocratie. Cette activité prédatrice et anachronique du castrisme est en plein essor aujourd’hui en Colombie, où, chaque jour, au milieu d’un faux « processus de paix » des civils de tous bords et de vaillants militaires et policiers sont assassinés. Je ne peux pas m’empêcher de penser à eux, à ces victimes, en particulier les plus récentes et les plus anonymes, ignorées et occultées ces jours-ci par la cascade d’ adieux à l’auteur de Cent ans de solitude.

L’écrivain colombien, n’a jamais eu le courage de ceux qui, comme Arthur Koestler, André Gide, Ignazio Silone, Louis Fischer, ont réussi à s’émanciper de leurs convictions politiques quand ils ont découvert l’horreur qu’elles portaient. Le grand génie littéraire de García Márquez, personne ne le conteste. Toutefois, il sera toujours entaché par cette attitude, par son amitié surprenante avec Fidel Castro et par sa loyauté, jamais démentie, à un système qui a régné, jusqu’en 1991, sur un tiers du globe, et qui était « le gouvernement le plus inhumain de l’histoire de l’humanité et la menace la plus grave que le genre humain ait jamais rencontrée », selon la célèbre formule d’Arthur Koestler.

Tad Szulc, dans son excellente biographie de Fidel Castro, dit que l’ « adoration » de Gabriel García Márquez pour le dictateur cubain « était évidente dans un article, un premier portrait, qu’il a écrit, intitulé Mon frère Fidel, basé sur des entretiens avec Emma, sœur de Castro ». Le célèbre journaliste du New York Times ajoute: « L’amitié qui les unit est si intime que lorsque le Colombien va à Cuba, ils bavardent souvent sans s’arrêter pendant huit ou dix heures, puis ils continuent pendant plusieurs jours et plusieurs nuits ». Écrites en 1986, ces lignes n’ont jamais perdu leur pertinence. En 2006, déjà malade, García Márquez a voyagé à La Havane pour assister au 80ème anniversaire du dictateur décrépit pour y proclamer son désir que cet homme vive jusqu’à ses 100 ans.

Cette fascination pour le pouvoir despotique, paradoxalement dénoncée par García Márquez dans un de ses romans, a été exposée à nouveau par sa relation, moins intense, avec Hugo Chavez. N’avait-il pas écrit, en août 2000, que lors d’un vol entre La Havane et Caracas, le vénézuélien lui avait raconté sa vie et que cela lui avait permis de découvrir « une personnalité qui ne correspondait pas du tout à l’image du despote dépeinte par les média » ?

Comme des milliers d’autres écrivains et poètes des cinq continents, Gabriel García Márquez a été attrapé un jour par la machine communiste qui faisait des intellectuels un « front » de plus de lutte. Certains d’entre eux sont restés toujours dans l’abîme. D’autres s’en sont sortis d’une manière ou d’une autre. Parmi les plus connus en Amérique latine, de la première catégorie, il y a Pablo Neruda qui écrivait de véritables panégyriques à Staline et qui votait dans les congrès internationaux des écrivains conformément à ce que le parti ordonnait.

Personne ne reproche à García Márquez son adhésion au marxisme, pendant sa jeunesse. Ce qu’on critique c’est qu’il n’ait pas rompu quand il a vu de ses propres yeux, comme cela s’est passé à Cuba, dans les bureaux de Prensa Latina, d’abord, puis par la suite pendant l’affaire Heberto Padilla, que cette idéologie engendrait une telle pourriture. On lui reproche d’avoir continué dans cette voie après l’exécution de trois jeunes Noirs et l’emprisonnement et la condamnation à des lourdes peines de prison de 75 opposants politiques. On lui reproche ses descriptions grotesques de Fidel Castro comme un homme « avec l’âme d’un enfant », et comme l’un des « plus grands idéalistes de l’histoire ». Et ses critiques hésitantes et instables vis-à-vis des atrocités commises par les guérillas colombiennes.

Le marxisme a exercé sur les intellectuels une attraction puissante et vénéneuse. Cette idéologie leur a fourni l ‘« illusion de la conscience totale ». Czelaw Milosz, prix Nobel de littérature en 1980, parlait de la « merveilleuse aisance » que procure le marxisme. D’autres ont dit que le marxisme était « un paradis philosophique ». Un autre intellectuel, Raoul Calas, décrit cette pensée comme « une conviction philosophique achevée et totale ». Comment ne pas être abusé par ce mirage ?

Les techniques utilisées pour séduire l’intelligentsia ont fait l’objet de recherches et de réflexions. L’historien français Henri Lefebvre, qui était passé par ces fourches caudines, a déclaré en 1959 que les partis communistes utilisaient « la culpabilisation des intellectuels pour s’en assurer la fidélité ». Ces gens obtenaient des résultats significatifs avec une méthode relativement atroce : la prédication incessante, verbale et écrite, conçue pour les faire marcher contre eux-mêmes, contre leur famille, leur classe, leur culture, leur éducation, et pour leur faire sentir, à la fin, coupables de ne pas être des prolétaires.

En effet, comme l’observe avec une grande précision le chercheur Jeannine Verdès-Leroux, « l’anti-intellectualisme mis en pratique par les directions communistes s’accompagnait d’une vision scientiste et productiviste de la société, conception jugée seule capable de sortir l’homme de sa préhistoire pour le faire entrer dans l’histoire ». Revenir sur ces questions, en particulier en Colombie aujourd’hui, est certainement utile pour tenter d’expliquer le cas Garcia Marquez et pour lutter avec efficacité contre les manœuvres de recrutement totalitaire existant encore aujourd’hui dans notre continent.

10:58 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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