jeudi, 09 avril 2015
Un entretien avec Bruno Mégret publié dans Le Point
Lors du premier contact téléphonique, Bruno Mégret hésite. Pourquoi commenterait-il la vie politique puisqu'il s'en est retiré depuis déjà sept ans ? Il demande 24 heures pour apporter une réponse définitive, mais ne peut s'empêcher de commencer à analyser la progression du FN avant de raccrocher. Rendez-vous est finalement donné dans un café du 7e arrondissement où le retraité a ses habitudes. Il arrive avec une minute de retard, habillé de son traditionnel costume-cravate. L'ancien bras droit de Jean-Marie Le Pen est détendu. Il rit souvent et prend son temps pour répondre à nos questions...
Comment analysez-vous la progression électorale du Front national depuis que Marine Le Pen a pris les commandes ?
Marine Le Pen a mis en œuvre une partie de la stratégie qui était la mienne. Elle a mené une action efficace de dédiabolisation comme celle que je souhaitais conduire et qui m'avait amené à entrer en conflit avec son père, conflit qui a provoqué la scission entre les partisans de Jean-Marie Le Pen et les miens en 1999. À l’époque, je voulais déjà en finir avec les dérapages et les références sulfureuses qui empêchaient le FN de progresser.
Elle a aussi, comme je l’avais fait, engagé une stratégie d'enracinement territorial pour disposer partout en France d'élus et de structures qui puissent relayer l’action et le discours. Enfin, elle affiche l’objectif clair d’arriver au pouvoir. La politique en effet n'est pas faite pour témoigner. Elle n’a de sens que dans l’exercice du pouvoir pour servir un idéal au bénéfice de nos compatriotes et de notre nation.
De ce point de vue, les résultats de Marine Le Pen sont au rendez-vous.
Pourquoi Marine Le Pen a-t-elle réussi à mettre cette stratégie en place alors que vous avez échoué ?
Elle a pu le faire parce qu’elle est la fille de son père. Le Pen a toléré de sa part ce qu'il refusait obstinément lorsque cela venait de moi.
Elle s’appuie aujourd’hui sur les anciens cadres du MNR comme Nicolas Bay, ou Steeve Briois. Vous ne considérez pas ça comme une trahison de leur part ?
Maintenant que je suis en retrait de la politique, je ne vais pas reprocher à d'autres de continuer là où ils pensent pouvoir être utiles.
Que manque-t-il au FN pour arriver au pouvoir ?
Ce qui crée la dynamique électorale du Front aujourd'hui, c'est la dédiabolisation assortie paradoxalement d’une très forte image anti-système héritée de son passé, mais c’est aussi et surtout l'aggravation du sort des Français et le rejet de la classe politique. De ces quatre facteurs, seule la dédiabolisation résulte d’une action volontariste du parti. Pour arriver au pouvoir, tout reste donc à faire. Le défi principal que le FN doit relever est celui de la crédibilité. Car les électeurs qui votent FN le font par exaspération et par colère et non par adhésion à son programme. Celui-ci, notamment sur la question économique, manque en effet de réalisme. Il est absurde de vouloir se mettre à la remorque de la gauche sur les retraites, sur les 35 heures et sur toute une série de dispositions dont on mesure aujourd'hui combien elles sont pénalisantes pour l'économie française.
La sortie de l’Union européenne, par exemple ?
On ne peut pas donner un avenir à la France en annonçant purement et simplement la sortie de l'euro et de l'Europe. Il faut combattre l'organisation bruxelloise, sa bureaucratie, son caractère tentaculaire, sa propension à nous asservir aux Américains et aux impératifs mortifères de l’immigration et de la mondialisation sauvage. Mais il est absurde de vouloir revenir à une France isolée car nous sommes entrés dans un monde multipolaire caractérisé par le choc des civilisations. Notre pays n'aura un avenir que s'il participe à une Europe qui se reconstitue en pôle de puissance pour défendre ses intérêts, son identité, son indépendance et ses valeurs. Je crois qu'une nation est en expansion ou en régression. Si on renonce à la puissance, on entre en déclin. L'avenir de la France n'est pas dans la poursuite chimérique de son passé. Il est dans la participation à un pôle de puissance européen capable de changer le monde et d’instaurer notamment une régulation des échanges internationaux.
Vous semblez critiquer la ligne préconisée par Florian Philippot. A-t-il trop d’influence sur Marine Le Pen et le FN ?
Un dirigeant politique doit penser par lui-même et j'espère que Marine Le Pen se détermine en fonction de ses propres convictions.
Le problème de crédibilité du FN n’est-il qu’économique ?
Marine Le Pen doit aussi acquérir de la crédibilité en s’entourant d’une équipe nombreuse de personnalités performantes et compétentes. Elle dispose certes de quelques individualités mais, paradoxalement, son père était mieux entouré qu’elle.
Comment jugez-vous la gestion actuelle des villes gagnées par le FN en 2014 ?
La gestion des villes détenue par le FN me paraît bénéfique tant en ce qui concerne la sécurité que l'assainissement fiscal. C’est ce qui avait été fait à Vitrolles et dans les trois autres villes gagnées en 1995, mais à l’époque nous avions dû subir des campagnes de désinformation qui avaient scandaleusement occulté les résultats que nous avions obtenus. Aujourd’hui heureusement, les villes du FN peuvent plus facilement faire connaître leurs réalisations.
Pensez-vous que la stratégie anti-UMPS du Front national est une stratégie gagnante?
Il est logique de dénoncer l'UMPS dans la mesure où, depuis des décennies, les dirigeants de l'UMP et du PS mènent pratiquement la même politique. Mais on ne peut pas pour autant traiter les deux camps de la même manière car les militants, les sympathisants et les élus de base de l’UMP n’ont pas les mêmes valeurs que la gauche et s’avèrent idéologiquement beaucoup plus proches des électeurs du FN. La sagesse serait de leur tendre la main. Sinon, il se passera ce qui est arrivé au second tour des départementales : un vote de rejet de l'électorat UMP à l'égard du FN. La politique exige la désignation claire de l'adversaire principal, et pour moi, ce ne peut être que la gauche. Quant à la droite traditionnelle, elle a, au-delà de ses dirigeants, vocation à s'allier avec le FN. Aussi ce dernier, s’il veut la victoire, doit-il développer une stratégie d’alliance et d’union de la droite. Penser qu'on peut arriver seul au pouvoir est une grave erreur, personne n'y est parvenu.
Mais la droite semble exclure toute alliance avec le FN…
Cette attitude des dirigeants de l'UMP est absurde : ils se conforment au diktat de la gauche. C’est ce genre de comportement qui les coupe du peuple et les éloigne de leur électorat.
Sommes-nous entrés dans l’ère du tripartisme ?
Oui, mais un tripartisme où chacun des trois acteurs se trouve dans une impasse.
Le PS est dans une impasse idéologique. Car dans le registre de gauche qui est le sien, il n’a plus rien de crédible à offrir : après la retraite à 60 ans, il ne va pas instaurer la retraite à 55 ans et après la semaine de 35 heures, il ne va pas proposer la semaine de 30 heures. Les frondeurs du PS qui voudraient continuer d’aller dans ce sens ne proposent d’ailleurs aucune mesure concrète car aujourd'hui plus rien n’est possible dans cette voie. Les socialistes ont dès lors essayé de trouver une issue idéologique par le truchement des réformes sociétales, comme le mariage homosexuel, mais cette stratégie a ses limites elle aussi, car elle se heurte aux résistances de fond de la société française. En réalité, le PS n'a plus d'identité politique claire.
L'UMP de son côté est dans une impasse stratégique car, au moment où la société se droitise, elle cherche le salut dans l'union avec le centre. Tout en continuant à s'aligner sur le politiquement correct largement défini par une gauche pourtant défaite.
Quant au FN, il va bientôt atteindre ses limites faute d'alliés et de crédibilité gouvernementale.
Sur quoi va déboucher cette triple impasse ?
Cette situation ne restera pas figée car en politique un système tripolaire est par nature instable. Celui qui est amené à disparaître est généralement celui qui se trouve au centre, en l’occurrence l'UMP. Ce parti a vocation à éclater en deux formations. La composante centriste, très importante parmi les dirigeants, mais fort peu représentée parmi les militants et les électeurs, occupera un espace résiduel entre la droite et la gauche. Quant à la composante droitière qui devrait être l’avenir de l'UMP, elle pourra évoluer selon deux scénarios : ou bien elle réussira à s'imposer et à marginaliser le FN tout en acceptant des accords avec lui, ou bien c'est le contraire qui se produira et elle deviendra l’allié minoritaire d’un FN devenu dominant.
Sur la scission entre la droite et le centre, les faits ne semblent pas vous donner raison. L’alliance entre l'UMP et l'UDI a porté ses fruits lors des départementales…
C’est vrai pour l'instant. Et les dirigeants de l'UMP vont chercher à tout prix à éviter cet éclatement qui prendra donc du temps avant de se concrétiser. Ils pensent que l'union avec le centre et le respect de la pensée unique sont pour eux une garantie de survie alors qu’ils constituent un facteur de dépérissement inéluctable. Cette posture qui va à l’encontre de l’évolution à droite de la société française ne peut en effet qu’agrandir le fossé entre la classe politique et les Français. Le maintien de l'UMP dans une démarche centriste et politiquement correcte ne peut que décourager son électorat potentiel.
Sarkozy a-t-il eu raison de suivre la ligne Buisson lors de ses campagnes électorales ?
La ligne Buisson était la bonne. Elle a conduit en 2007 à la victoire de Sarkozy. Malheureusement elle s’est limité à des discours et n’a pas été suivie d'actes concrets. A peine élu sur une ligne droitière, il a en effet nommé des ministres de gauche et n'a entrepris aucune réforme d'envergure pour donner corps à ses discours de campagne. En 2012, il a voulu réitérer mais évidemment cela n'a pas marché car les électeurs lui en ont voulu et se sont méfiés de lui avec raison. En 2007, Sarkozy aurait dû prendre des ministres ayant une sensibilité droite nationale. Il pouvait alors créer une dynamique qui aurait marginalisé le FN et fait de l'UMP un grand parti de droite capable de rénover notre nation.
Pour en revenir au FN, comment jugez-vous la campagne qui a été menée ?
J’ai surtout été peiné de voir que le FN ne s'était pas engagé pleinement dans la lutte contre le mariage homosexuel. Le mariage conçu comme l'union d'un homme et d'une femme pour fonder une famille et élever des enfants n’est pas seulement une institution chrétienne. Il était également la norme chez les Romains et chez les Grecs, lesquels n'étaient pourtant pas particulièrement sectaires à l'égard de l'homosexualité. C’est donc une institution vieille de plus de 4 000 ans qui a été bafouée par M. Hollande sans que la droite nationale s'affiche clairement dans ce combat. Je le déplore.
Finalement, vous êtes pour la dédiabolisation, mais contre la normalisation du FN…
Il faut trouver le bon équilibre entre la dédiabolisation et la normalisation. Une trop grande normalisation conduirait à faire du FN le troisième parti du système et donc à devenir inutile. Il doit rester très ferme sur la question de l'identité, de l'immigration, de l'islamisation, qui est le déclencheur principal du vote FN et l’un des dangers majeurs pour l’avenir de la France.
À part interdire le mariage homosexuel, quelles mesures prendriez-vous si vous étiez aux manettes de la France ?
Il y en a beaucoup mais une décision capitale à prendre serait d'arrêter l'immigration. Chacun se focalise sur les problèmes qu’elle suscite comme ceux liés à l'islam, au terrorisme, au jihadisme, à la laïcité ou aux cités sensibles. Tout le monde devrait donc tomber d’accord sur une mesure de sauvegarde qui, en stoppant toute nouvelle immigration, éviterait d’aggraver les problèmes qu’on peine à résoudre. Pour le reste, il faudrait rétablir le principe de l'assimilation. Tout étranger souhaitant devenir Français devrait observer nos règles, franciser son prénom et sa tenue vestimentaire, chercher à se fondre dans le peuple français. Ceux qui refuseraient l'assimilation, ou en seraient incapables, auraient vocation à quitter le territoire national. Si on ne rétablit pas ces principes, notre pays risque de voler en éclats sous les coups du communautarisme. Ceux qui s'imaginent qu'on peut créer un nouveau pays islamo-africano-hexagonal sur la simple base de lois communes se trompent lourdement. Le « vivre ensemble » nécessite en effet une histoire, une identité, une culture, une fierté communes, bref il exige de retrouver les dimensions d'une vraie nation.
Pour vous, l’Islam est-il compatible avec la République ?
L’islam n’est pas compatible avec la République. Mais la République pourrait accepter un islam minoritaire qui serait solidement encadré par l'État. Il faut savoir qu’il existe certaines dispositions du Coran qui dispensent les croyants d'observer tous les préceptes islamiques s'ils vivent dans un pays non-musulman. Il pourrait donc être organisé un islam français dont les adeptes, appliquant ce principe, s‘engageraient à respecter toutes nos règles dans l’espace public. Mais pour cela, il faudrait une volonté politique très forte.
Que pensez-vous de la théorie du grand remplacement (des Français par des immigrés, notamment musulmans) de Renaud Camus ?
Il y a indéniablement une faiblesse démographique des Français de souche et une arrivée constante d'immigrés ayant une forte natalité. Cela crée une dynamique qui va dans le sens de cette analyse. C'est un fait objectif.
Marine Le Pen peut-elle être élue en 2017 ?
La situation politique est tellement déstabilisée qu'aujourd'hui tout est possible.
Êtes-vous réconcilié avec Jean-Marie Le Pen depuis la scission ?
On ne peut pas dire cela. Nos relations se sont normalisées.
Êtes-vous sollicité par des membres du FN ou d’autres membres de la classe politique ?
J'ai conservé beaucoup de contacts dans le milieu politique, mais je ne vais pas commencer à en dresser ici la liste.
Seriez-vous prêt à vous engager à nouveau en politique ?
Je reste passionné par la politique. Je serais prêt à m'engager à nouveau mais encore faudrait-il que se présentent des opportunités qui en vaillent la peine. D’ici là, je termine la rédaction d’un ouvrage qui ouvre des perspectives optimistes pour notre nation.
Propos recueillis par Hugo Domenach et Alexis Boyer
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