vendredi, 23 mars 2018
Le salazarisme ou l’inspiration d’une voie politique pour demain ?
Aristide Leucate
Célébrer Salazar en France ? Projet original et des plus hétérodoxes auquel se sont attelés Olivier Dard et sa consœur Ana Isabel Sardinha-Desvignes, tous deux historiens et, respectivement, enseignants à Paris-Sorbonne et à la Sorbonne Nouvelle, à travers un ouvrage consacré au salazarisme français de 1930 à 1974, qui fera date dans une historiographie aussi indigente que méconnue.
Car, en effet, au-delà d’un cercle réduit d’initiés et d’érudits, en France, qui connaît encore António de Oliveira Salazar (1889-1970), chef de l’État portugais de 1932 à 1968, fondateur de l’Estado Novo ?
Professeur d’économie de la prestigieuse et ancienne université de Coimbra, Salazar arrivera au pouvoir en 1928 en tant que ministre des finances. Il redressera l’économie portugaise, alors exsangue, en un temps record.
Le 25 juin 1932, il est nommé chef du gouvernement par le président de la République, le général Óscar Carmona. La nouvelle Constitution du 19 mars 1933 lui confère les pleins pouvoirs et le contrôle total de l’État en qualité de président du Conseil. Durant son long règne de trente-six ans, « la grande tâche qui s’est imposée à Oliveira Salazar a été la mise en valeur d’un pays qu’on pourrait rétrospectivement qualifier, en employant une expression devenue courante, de pays sous-développé », souligne Paul Sérant, auteur en 1961, d’une honnête enquête intitulée Salazar et son temps (Les Sept Couleurs, Paris, p.88).
Expérience originale parmi les révolutions nationales du XXe siècle, le salazarisme, loin d’être une doctrine uniforme a surtout été l’illustration, in situ, de la célèbre formule attribuée à Richelieu, selon laquelle la politique est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire.
Régime autoritaire, sans pouvoir être catégoriquement qualifié de dictature à proprement parler, l’État salazariste faisait également figure de notable exception – avec les régimes de Franco et de Pétain – en face des expériences hitlériennes et mussoliniennes. Le salazarisme n’a nullement été un fascisme stricto sensu et l’on pourrait même soutenir qu’il fut un tenant de cet antifascisme réactionnaire que l’on trouvait classiquement parmi les opposants conservateurs ou monarchistes du IIIe Reich ou de l’Italie fasciste. Jacques Bainville, après avoir relevé l’influence maurrassienne du Doutor notait que « Salazar, à la différence des autres, avait une doctrine » (Les Dictateurs, Denoël et Steele, 1935, p. 168).
Salazar se tenait, lui-même soigneusement à l’écart de toute hybris de caractère fasciste, considérant que si « la dictature fasciste tend vers un régime païen, vers un État nouveau qui ne connaît pas de limites d’ordre juridique ou moral, qui marche à son but, sans rencontrer ni embarras, ni obstacle, […] l’État nouveau portugais, au contraire, ne peut fuir, et n’y pense pas, certaines limites d’ordre moral qu’il juge indispensable de maintenir, comme balises, à son action réformatrice » (in António Ferro, Salazar. Le Portugal et son chef, Grasset, 1984, pp.147-150).
Il n’est guère étonnant que l’homme, plutôt discret et mutique, comme son action politique – dont l’efficacité était indexée sur la longue durée – ait eu ses thuriféraires et ses admirateurs, notamment en France. Maurice Martin du Gard, Maurice Maeterlinck, François Mauriac, Jacques Maritain, et d’autres encore, se rendirent au Portugal de Salazar, qui plus est sur invitation du régime. « Tous éprouvent le même type d’émerveillement qui semble s’emparer de tous ceux qui, depuis 1934, rendent visite au ‘‘grand homme’’ » (Dard, et alii, p. 133).
Nullement élégiaque, comme son titre pourrait le laisser trompeusement entendre, l’opus de Dard et Sardinha-Desvignes se borne précisément à cerner les contours d’un « philosalazarisme » susceptible de déboucher, le cas échéant, sur un véritable salazarisme français, soit, la mise en évidence d’un transfert politique et culturel par acclimatation, sur les bords de Seine, d’une praxis politique née sur les rives du Tage.
En ce temps-là, l’enjeu n’était pas mince, car les échanges intellectuels et politiques, d’un côté ou de l’autre de la péninsule, servaient alors autant les intérêts du régime à l’étranger que l’engagement militant de sectateurs soucieux, notamment après la IIe Guerre mondiale, d’ériger l’Occident comme dernier rempart contre la décadence que symbolisait le communisme matérialiste et athée.
À l’aune de la situation politique française des années trente, la figure de Salazar pouvait d’autant plus être plébiscitée dans les milieux non-conformistes ou conservateurs, qu’elle portait en elle toutes les impératives promesses d’une réforme intellectuelle et morale préalable à toute réforme politique structurelle.
Sans doute parce que le salazarisme fut bien moins qu’une simple dictature et tout autre chose qu’un fascisme de plate importation, est-il frappant de constater que du Colonel Rémy à Jacques Ploncard d’Assac, en passant par Jacques Maritain et Henri Massis (« l’une des incarnations les plus emblématiques du salazarisme français »), épistoliers célèbres et réguliers du Doutor, la pensée de ce dernier s’accommodait habilement de celle des trois France (représentée par Pétain, Giraud et De Gaulle), selon l’heureuse formule d’Helena Pinto Janeiro, preuve, en effet, de son nationalisme pragmatique et non-idéologique.
Les autres principes essentiels de Salazar tendent à la restauration dans l’État d’une justice et d’une morale de base chrétienne, supérieures aux droits de l’État. Enfin la subordination constante des intérêts particuliers aux intérêts généraux de la nation est pour lui non pas un lieu commun mais une maxime vivante.
Olivier Dard et Ana Isabel Sardinha-Desvignes, Célébrer Salazar en France (1930 – 1974). Du philosalazarisme au salazarisme français, Bruxelles, Peter Lang, collection « Convergences ».
Autre livre conseillé : Salazar, le regretté… Jean-Claude Rolinat, Les Bouquins de Synthèse nationale, 164 pages, 18,00 €. Pour commander ce livre, cliquez ici.
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