mardi, 07 janvier 2025
Décès de Jean-Marie Le Pen : un bel hommage "anticonformiste" de Nicolas Gautier, à lire sur Boulevard Voltaire
Nicolas Gautier Boulevard Voltaire
Jean-Marie Le Pen est décédé ce 7 janvier 2025, à 96 ans. Après la mort de Roland Dumas et de Jacques Chirac, il s’agissait du dernier survivant de l’ancien monde ; d’aucuns diront même du dernier géant, sachant que le général de Gaulle ayant tiré son ultime révérence, ne restaient plus que François Mitterrand et lui, Jean-Marie Le Pen. Certes, au contraire de l’homme de Jarnac, celui de la Trinité-sur-Mer ne fut jamais président de la République. Ce qui ne l’empêcha pas, même campant dans une éternelle opposition, de toujours raisonner en homme d’État.
Nombre de ses pairs estimaient avoir une « certaine idée de la France » ; pas lui, pour qui la France était avant tout une réalité. La France, il la vivait au plus profond de sa chair. Élevé dans le souvenir de la Grande Guerre, il connut les affres de la Seconde, y perdant son père, marin parti en pleine mer, sur une mine allemande, alors qu’il devenait jeune résistant. Il y eut ensuite d’autres guerres, celles d’Indochine et d’Algérie, entrecoupées par l’équipée du canal de Suez. Voilà qui forme - plus qu’un caractère - un homme.
Le reste de sa vie ne fut plus que combats, politiques ceux-là, mais toujours empreints de cette gravité propre à ceux qui ont connu le feu et dont les balles ayant sifflé à leurs oreilles n’étaient pas des balles de tennis : les seules que ses opposants, pour la plupart, aient affronté aux heures les plus tragiques de notre Histoire.
Ce fut donc le Jean-Marie Le Pen, organisateur des comités Tixier-Vignancour, lors de l’élection présidentielle de 1965, matrice de ce qui allait devenir le Front national, en 1972, à l’instigation d’Ordre nouveau. À l’auteur de ces lignes, il confiait, lors d’un entretien accordé au Choc du mois, en juin 2006 : « Chez Tixier, j’arrivais à faire cohabiter des sensibilités a priori les plus incompatibles : tirailleurs algériens et grands-bourgeois, anciens de la Résistance et vaincus de la Collaboration. Je sais qu’on me reproche depuis des années d’avoir tendu la main à ces gens. Mes amis maquisards d’alors me le reprochaient déjà ; pourtant, si je ne leur avais pas tendu la main, qui d’autre l’aurait fait ? Quand on se place dans une perspective de rassemblement national, on rassemble. Ou alors, on va à la pêche aux moules ! »
Pour lui, « l’extrême droite était un boulet »
Et cet éternel trublion d’en rajouter une couche, à propos de cette « extrême droite » dont il fut si souvent accusé d’être le chef de file : « Je dois admettre que j’ai traîné cette extrême droite comme un véritable boulet. Moi, je préparais l’avenir. Eux, ils étaient là pour tenter de justifier leur passé, imaginant, sans doute, que s’ils parvenaient à réhabiliter leurs erreurs de jeunesse, la droite nationale, de facto, se retrouverait aux portes du pouvoir. Un raisonnement parfaitement idiot. »
Pourquoi reproduire cet entretien, qui fit grand bruit à l’époque, jusque dans les rangs du dernier carré lepéniste, déjà très perturbé par la scission de Bruno Mégret, en décembre 1998 ? Tout simplement parce qu’en cette occasion, le défunt livrait véritablement le fond de sa pensée et s’y montrait tel qu’il était, côté jardin, loin de journalistes ne lui voulant pas que du bien. C’est le même Jean-Marie Le Pen qui, en 1974, fait de l’immigration le nouveau cheval de bataille d’un Front national naissant, alors que ses amis persistent à considérer l’anticommunisme comme la fin des fins. Pareillement, en 1990, il prend ce même mouvement à rebrousse-poil en se prononçant contre la première guerre du Golfe, alors qu’en la circonstance, il est plus que minoritaire au sein de son propre bureau politique.
Emmerder les bourgeois…
Ainsi était Jean-Marie Le Pen. Qui n’aurait jamais troqué sa liberté d’esprit contre tous les maroquins du monde, persistant à ne pas renier ses folles années de jeunesse durant lesquelles il échangeait les coups avec les communistes pour mieux, et après, boire avec eux. Joyeuse période durant laquelle il montrait son cul aux bourgeois avec le cinéaste Claude Chabrol, l’un de ses célèbres amis de bordée et, accessoirement, l’un des chefs de file de la Nouvelle Vague. Où il proposait crânement à un des parrains de Pigalle de devenir celui de sa petite dernière, Marine. Où il se régalait à défier les océans sur son bateau, pas prénommé Cambronne pour rien, plutôt qu’à s’ennuyer dans les dîners huppés. Bref, où, tout en étant Le Pen, il était simplement et avant tout Jean-Marie. Ce que l’auteur de ces lignes a pu vérifier à de nombres reprises, fort de dizaines d’entretiens et de deux ouvrages rédigés à quatre mains : Parole d’homme et L’Album Le Pen, durant la campagne présidentielle de 2002, l’année où il fit trembler les curés de la bien-pensance et les Diafoirus gavant le peuple français à grands coups de moraline. Emmerder les bourgeois ? C’était chez le défunt, plus qu’une ligne de conduite, un bréviaire dont jamais il ne se détourna.
Ce triste jour de janvier 2025, c’est donc à la fois Le Pen et Jean-Marie qu’on enterre. Les amoureux de la France se sentent, aujourd’hui, tous un peu orphelins
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