mardi, 14 janvier 2025
Vers un grand espace trumpiste ?
Georges FELTIN-TRACOL
Donald Trump n’est pas encore entré en fonction et il multiplie déjà les propositions-chocs. Friand de déclarations osées sur son propre réseau social ou sur celui de son nouvel ami Elon Musk, le futur 47e président des États-Unis montre une vraie constance dans ses prises de position géopolitiques.
En 2019, alors 45e locataire de la Maison Blanche, il avouait volontiers annexer le Groenland. Il aurait aimé l’acheter. La proposition suscita un mélange de stupeurs, de ricanements et de réprobations. En décembre dernier, l’homme d’affaires a réitéré sa demande qui n’est donc pas une plaisanterie.
L’océan glacial Arctique prend une valeur stratégique majeure. C’est le seul au monde où se font face les littoraux russe et étatsunien. Donald Trump sait que le territoire des États-Unis s’est largement formé grâce à des achats successifs de territoires. Le plus célèbre reste en 1804 quand la France de Napoléon Bonaparte vendit tout le bassin hydrographique du Mississippi, la grande Louisiane, pour 80 millions de dollars. Cette vente ouvrit la voie à la « conquête de l’Ouest » et au mythe mobilisateur de la Frontière. En 1819, cinq millions de dollars permirent l’acquisition de la Floride espagnole. En 1848, au terme d’une effroyable guerre d’agression, le traité de Guadalupe oblige le Mexique à céder aux États-Unis pour quinze millions de dollars tout le Mexique septentrional (Californie, Arizona, Nouveau-Mexique, Nevada) en plus du Texas déjà annexé. En 1867, Saint-Pétersbourg vend pour 7,2 millions de dollars l’Alaska et se prive d’être une puissance tricontinentale. En mars 1917, Washington donne 23 millions de dollars au Danemark pour posséder une part des Îles Vierges dans les Antilles.
Tous ces précédents historiques rendent donc plausibles les intentions marchandes de Donald Trump. Le Danemark serait encore sollicité. En effet, malgré un large statut d’autonomie interne, le Groenland reste un territoire danois. La plus grande île du monde après l’Australie conserve un lien ténu avec Copenhague. Cependant, dès 1985, un référendum autorisa la sortie de l’« Île verte » de la CEE (Communauté économique européenne). Membre fondateur de l’OTAN, le Danemark a fait de sa dépendance boréale un pivot indispensable pendant la Guerre froide. Jusqu’en 1992, on recensait deux bases militaires (seule se maintient celle de Thulé renommé). Les prétentions étatsuniennes sur le Groenland sont fondées. Mais son rattachement aux États-Unis ne viendrait qu’après l’absorption du Canada.
Avant même son investiture, Donald Trump a avancé sa volonté d’augmenter les droits de douane de 25 % envers les produits canadiens et mexicains. Vice-ministresse et ministresse canadienne des Finances, Chrystia Freeland, a démissionné, le 16 décembre dernier. Craignant une guerre commerciale âpre et difficile, elle a refusé de cautionner la politique de Justin Trudeau qui aggrave le déficit. Ottawa a levé la taxe sur les produits et services jusqu’à la mi-février et entend offrir une chèque de 250 dollars canadiens aux travailleurs au printemps 2025. Cette distribution d’argent public s’apparente à un arrosage clientéliste dans la perspective d’élections législatives prévues en octobre.
Chantre du multiculturalisme, du wokisme et du financiarisme, Justin Trudeau sait que Donald Trump ne l’apprécie guère. Sa faible popularité auprès des Canadiens indique son déclin politique traduit par l’annonce de sa démission, le 6 janvier 2024. Redoutable bête politique, Trump ne se prive de se moquer du chef du gouvernement canadien qu’il qualifie de gouverneur ! Ces derniers temps, le futur président étatsunien a répété qu’il verrait bien le Canada devenir le 51e État des États-Unis et ainsi supprimer « une ligne artificielle », à savoir la frontière canado-étatsunienne. Si ce projet se réalise, les nouveaux États-Unis (avec le Canada donc) deviendrait un très vaste État avec 19 818 187 km² ! Un des avantages de la fusion du Canada et des États-Unis permettrait de redéployer les services douaniers et les unités de surveillance de frontières sur le flanc méridional en face du Rio Grande et de Cuba.
Comment se passerait cette intégration ? Le Canada se fondrait-il en tant qu’ensemble étatique unitaire au risque de déséquilibrer les rapports internes (la Californie n’apprécierait pas de perdre son premier rang…) ou bien cette assimilation passerait-elle à travers les dix provinces et les trois territoires du Nunavut, du Nord-Ouest et du Yukon ? La population canadienne de langue anglaise approuverait-elle d’ailleurs cette absorption ? On ignore en France l’existence de mouvements indépendantistes en Alberta, riche en hydrocarbures, au Manitoba et, plus anecdotique, dans le Saskatchewan. Comment réagiraient enfin les communautés francophones du Québec, d’Acadie et de l’Ouest en cas d’intégration par le grand voisin du Sud ? Il est fort plausible que l’hypothétique élévation du Canada en 51e État fédéré se fasse dans un cadre unitaire et indivisible. Pas sûr dès lors que Washington consente aux velléités sécessionnistes du Québec et des autres territoires canadiens-français. Maints responsables indépendantistes québécois ont prôné le continentalisme nord-américain.
L’intégration du Canada aux États-Unis ouvrirait la voie au rattachement du Groenland par l’intermédiaire du Nunavut. Les Inuits sont cousins des autochtones groenlandais. « Notre Terre » en inuktitut attirerait inévitablement une population du Groenland pour l’heure rétive à toute union avec l’Oncle Sam. Un parti indépendantiste d’extrême gauche assure le gouvernement autonome du Groenland. Quant aux Canadiens plus progressistes que les Étatsuniens, leur admission redonnerait bien des couleurs au parti démocrate.
Les Canadiens se moquent pour l’instant des intentions trumpiennes. Le premier ministre conservateur de l’Ontario, Doug Ford, dont le frère, Rob, fut le maire sulfureux et stupéfiant de Toronto (2010 – 2014), a dès à présent menacé la Maison Blanche de représailles pour l’application de toutes mesures protectionnistes décidées par le futur président Trump. Il a même plaisanté en souhaitant acheter l'Alaska et en y ajoutant le Minnesota et Minneapolis. L’Ontarien aurait cependant intérêt à se taire s’il ne veut pas connaître une petite « révolution colorée » chez lui. En outre, un scandale mêlant finances et sexe arrive si vite de nos jours…
Le 21 décembre dernier à Phoenix en Arizona, Donald Trump évoquait l’avenir du canal du Panama. Il critiquait des tarifs de passage onéreux pour les navires étatsuniens. Il s’offusquait de la présence de travailleurs chinois. Ainsi visait-il indirectement le projet chinois de construire au Nicaragua un canal transocéanique concurrent. Fort du succès du canal de Suez inauguré en 1869, le Français Ferdinand de Lesseps propose de construire un canal dans la partie la plus étroite de l’isthme centraméricain. En 1889, les États-Unis rachètent les droits de sa compagnie pour un montant de quarante millions de dollars, puis incitent la bourgeoisie locale à se révolter contre la Colombie. Le Panama devient indépendant en 1903. Un an plus tard, la constitution panaméenne reconnaît aux États-Unis le droit d’intervenir militairement et octroie une région de 1432 km² de part et d’autre du canal. En 1977, Jimmy Carter signe un nouveau traité qui accorde la souveraineté du canal au Panama malgré la présence de six bases militaires US. Le 31 décembre 1999, le Panama acquiert la pleine souveraineté sur tout le canal. Entre-temps, le 20 décembre 1989 commençait l’opération « Juste Cause ». George Bush père ordonnait l’invasion militaire du Panama et l’arrestation du général Noriega accusé de trafic de drogue, largement aidé par la CIA et d’autres officines de l’État profond yankee.
La déclaration de Donald Trump a soulevé un formidable mécontentement populaire au Panama dont la population garde en mémoire cette intervention militaire inique. Les manifestants brandissent des affiches grossières à l’encontre de Trump. Il sera très difficile au prochain secrétaire d’État de convaincre les dirigeants du Panama de rendre le contrôle du canal à moins que les États-Unis s’engagent dans une nouvelle aventure armée comme Trump l’a laissé entendre. Il préconise enfin de changer le golfe du Mexique, vraie « Méditerranée méso-américaine », en golfe de l’Amérique.
Sceptique envers l’utilité de l’OTAN qui forme un grand espace euro-atlantique intégré, y compris avec le Canada et le Groenland, Donald Trump a compris que le XXIe siècle sera le temps des États-continents. Si l’apport démographique du Canada et du Groenland demeure relatif (375 750 000 habitants), les nouveaux États-Unis d’Amérique du Nord et de l’Arctique disposeraient d’une formidable étendue ramassée (21 984 273 km²) avec des ressources minières, énergétiques et agricoles peu exploitées. Les projets d’expansion de Donald Trump ne sont pas à prendre à la légère. Son ambition expansionniste pourrait-elle finalement réconcilier un mouvement trumpiste qui se divise à propos de la question brûlante de l’immigration entre la base MAGA nativiste et les oligarques de la High Tech, Elon Musk en tête ?
Salutations flibustières !
« Chronique flibustière » n° 139.
14:35 Publié dans Georges Feltin-Tracol | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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