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samedi, 15 mars 2025

Nicolas Gauthier raconte Le Pen, l’homme derrière la légende

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Nicolas Gauthier s’est souvent entretenu avec Jean-Marie Le Pen. La première fois, en 1986, a été comme une sorte d’acte manqué – Nicolas Gauthier s’en explique. Il a 22 ans, il bredouille trois questions et son magnétophone est en rade. Une sorte de panne, on n’ose dire sexuelle. Mais les deux hommes étaient faits pour sympathiser. Les entretiens s’enchaîneront et même les livres à quatre mains. Dans Le Pen comme vous ne l’avez jamais lu (Éditions Déterna), il nous livre le meilleur de leurs rencontres. Un personnage loin des clichés, de chair, de verbe et de verve ; peint et dépeint d’après nature – et pas d’après les caricatures ; avec vue sur la mer, depuis la Bretagne, et vue sur le monde ; à la ville comme à la scène ; dans la lumière des meetings et la pénombre des retraites forcées. Non pas seulement un Le Pen comme on ne l’a jamais lu, mais aussi jamais vu. Une sorte d’addendum à ses « Mémoires », tout ensemble « Fils de la nation » et « Tribun du peuple ». C’est le privilège des vieilles complicités, elles peuvent parler « à cœur ouvert et à bâtons rompus ». Au fil des pages, Jean-Marie Le Pen se révèle tel qu’en lui-même : affranchi, bravache, fidèle à ses convictions, insoumis jusqu’au bout. Une bête politique – rien d’une bête immonde.

Peu de journalistes ont aussi bien connu Jean-Marie Le Pen. Comment le définiriez-vous politiquement, dans quelle famille, dans quelle tradition ?

Comment définir cet homme qui répugnait souvent à se définir ? Pour lui, se définir équivalait un peu à se limiter. Voilà peut-être pourquoi les réponses qu’il donnait à cette question étaient souvent contradictoires. Ainsi, s’est-il, au fil du temps défini comme « national-libertaire », « économiquement de droite et socialement de gauche », allant même jusqu’à se présenter comme une sorte de « Reagan français » ; ce qui ne manquera pas de faire grimacer les lecteurs d’Éléments dont je suis. Il est vrai que c’était l’époque de la Guerre froide et que le parcours d’un Ronald Reagan n’était pas forcément pour lui déplaire : acteur de seconde zone, syndicaliste, venu tard en politique et en proie au mépris généralisé des élites américaines. Une fois je lui avais dit que, dans le fond, il était une sorte de « hippie d’extrême droite », ce qui l’avait fait beaucoup rire. Plus sérieusement et si l’on s’en tient aux trois droites de René Rémond, légitimiste, orléaniste et bonapartiste, on peut dire qu’il appartenait plutôt à la troisième. Une sorte de patriote populiste, en quelque sorte, mâtiné d’un brin de légitimisme, quoiqu’il ait toujours été un républicain farouche, n’hésitant pas à souvent moquer l’indécrottable royaliste que je suis. Tant de gens lui reprochaient de ne pas être un « véritable républicain » ; moi, je lui reprochais surtout de l’être trop.

Et humainement ?

Un homme dont l’immense gentillesse pouvait parfois confiner à la naïveté : combien de gens lui ont ainsi tapé du pognon que jamais ils n’ont remboursé ? Des wagons entiers. Je crois qu’il aimait sincèrement les gens, cherchait à les comprendre ; surtout ceux qui ne partageaient pas ses idées. En revanche, en bon Breton, il était capable d’entrer subitement dans des colères tonitruantes, pour redescendre sur terre quelques minutes plus tard, ayant tout oublié des raisons de son énervement. Mais je ne l’ai jamais vu se fâcher contre le petit personnel ; cela aurait été pour lui un abus de pouvoir. D’ailleurs, quand un cadre du mouvement se défaussait sur ce même petit personnel, il jugeait cela ignoble. Et là, c’était le gradé qui avait droit à un véritable savon. J’imagine qu’il raisonnait tel le soldat qu’il fut : pour lui, il n’y avait pas de mauvais soldats, juste de mauvais officiers. Que dire de plus ? Si, Le Pen était d’une curiosité intellectuelle insatiable. Il savait qu’à un moment de ma vie, je travaillais dans la presse rap. Alors, il voulait tout savoir de ces artistes, ceux qui avaient du talent et ceux qui en avaient moins, voir pas du tout. Une fois, nous parlions de Joey Starr, de NTM. Il l’avait à la bonne, tant les frasques à répétition de ce colosse martiniquais avaient le don de le faire marrer et qu’il était impressionné par son indéniable charisme scénique. Je crois qu’il parlait en connaisseur…

Était-il, selon vous, trop à l’étroit dans les habits neufs de la vieille droite ? Qu’est-ce qu’il lui reprochait ? Et qu’est-ce que vous lui reprochez à votre tour, tant on a parfois l’impression que Jean-Marie Le Pen fait du Nicolas Gauthier ?

Ce qu’il reprochait à la droite ? Son étroitesse d’esprit, justement. Son combat ne consistait pas à sauver la droite, mais à sauver la France. Il n’en avait que foutre de la droite. Il la méprisait autant qu’elle le méprisait, lui. Je crois qu’il avait plus d’estime pour les gens de gauche. Quand il affirmait que « Chirac, c’est Jospin en pire », il faut le croire. Jospin, socialiste et qui se conduisait comme tel, il respectait. Mais un Chirac qui se faisait passer pour un homme de droite, ça le mettait hors de lui. Après je ne sais pas si Jean-Marie Le Pen faisait du Nicolas Gauthier ou l’inverse ; mais c’est là me faire beaucoup d’honneur. Je sais juste que nous étions généralement d’accord sur l’essentiel. Peut-être à cause de ce point commun partagé : il n’avait jamais été salarié de sa vie – hormis quelques mois à Minute, comme chef de publicité – et je suis travailleur indépendant depuis plus de trente ans. Nous raisonnions donc en artisans un brin poujadistes. L’autre point commun, c’était la détestation de la bourgeoisie, qu’elle soit de gauche ou de droite. Je me souviens d’un soir, à Montretout où nous nous sommes croisés dans l’escalier. « Ben Nicolas, qu’est-ce que tu fais là ? », me demande-t-il. « Je monte à l’étage, on se fait une soirée pâtes avec Samuel Maréchal, Yann et la petite Marion. » Et lui, soudainement tout triste : « Putain, un dîner entre potes, tu as de la chance ! Moi, je vais encore me taper un dîner avec des bourgeois coincés. Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour qu’on échange nos places… » Ça, c’était aussi Le Pen.


Le « ni droite ni gauche » de Marine Le Pen ne sort pas de nulle part, de même de la dédiabolisation. Pour vous, y a-t-il continuité – ou rupture – entre le lepénisme et le marinisme ? Qu’est-ce que la fille doit au père – et qu’est-ce que le père doit à la fille ? Et qu’est-ce qui les éloigne, exception faite des chiens et des chats ?

Ce « ni droite ni gauche » ne sort effectivement pas de nulle part, s’agissant de l’essai éponyme que nous avions écrit avec Samuel Maréchal en 1995. Jean-Marie Le Pen nous soutenait en sous-main dans cette entreprise visant à contrecarrer les axes de campagne qu’un Bruno Mégret voulait imposer, à base de « vraie » et de « fausse » droite, la première étant le FN et la seconde le conglomérat RPR-UDF d’alors. N’oubliez pas qu’après l’élection présidentielle de 1995, le Front national est le premier parti de ce qui demeure de classe ouvrière. Il faut donc revoir le logiciel lepéniste d’antan de fond en comble. Notons qu’il ne s’agit pas là d’un simple principe d’opportunité, car c’est ce que je crois vraiment, autrement, je n’aurais pas signé ce livre. La seule erreur, c’est peut-être le titre. Comme me l’avait fait remarquer Alain de Benoist, mieux aurait valu qu’il s’appelle « Et de droite et de gauche ». En ce sens, il y a donc continuité entre le père et la fille. Tout comme la « dédiabolisation » du FN et son changement de nom, toutes mesures à l’origine initiées par Jean-Marie Le Pen, participe de cette « continuité ». Certes, il revient sur cette dernière, mais tout simplement parce qu’il s’est fait piéger lors d’un entretien accordé à Rivarol, où ses propos relatifs à l’occupation allemande en France, qu’il ne juge pas « inhumaine », sont prononcés en « off », avant d’être retranscrits sur papier. Il sait qu’il a commis une erreur, mais l’homme est ainsi fait qu’il refuse de l’admettre publiquement. De son point de vue, il ne peut avoir tort. Ou s’il a tort, c’est tout simplement qu’il a un peu moins raison que d’habitude. C’est le début de la brouille avec Marine Le Pen, pour des questions de forme plus que de fond. Pour le reste, rien ne les éloigne, surtout quand on sait que le père aimait autant les chats que sa fille.

Voilà qui me rappelle une anecdote assez poilante remontant à plus d’une quinzaine d’années. Je suis chez moi, en train de l’interviewer au téléphone, quand soudain Mouflette, le chat de la maison, se jette sur moi, en pleine crise d’affection. Cette dernière est si envahissante que je lâche : « Putain, maintenant, tu commences à faire chier ! » Et Le Pen de me demander : « Dis donc, Nicolas, c’est à moi que tu parles sur ce ton ? » Du coup, je lui dis : « Mais non, c’est juste le chat qui veut un câlin… » Je me souviens encore de sa réponse : « Si tu veux, tu me rappelles plus tard, parce que nos singeries politiques, c’est bien gentil ; mais le câlin du chat, c’est autrement plus important ! »

En politique étrangère, le qualifieriez-vous de gaulliste ? L’Europe de Brest à Vladivostok, l’alliance avec la Russie, Poutine ou pas, l’indépendance vis-à-vis de Washington, la critique de la politique israélienne et du suivisme français dans les conflits américains – on pense à la première guerre du Golfe… Qui aujourd’hui assumerait à droite de telles positions. Ne serait-ce pas ce qui manque aujourd’hui le plus cruellement aux droites ?

Gaulliste, je ne sais pas. Mais gaullien, assurément. Son entourage de l’époque était très antigaulliste, à l’exception de Roger Holeindre et de Roland Gaucher. L’un avait pourtant échappé de peu aux prisons gaullistes pendant la guerre d’Algérie ; l’autre en avait longuement tâté en 1945. Mais ils n’en voulaient pas plus que ça à l’homme du 18 juin. Quant à Jean-Marie Le Pen, tout cela était pour lui de l’histoire ancienne. Alors oui, il était gaulliste à sa façon, tant il est vrai qu’il n’est pas forcément besoin de se revendiquer du gaullisme pour défendre les intérêts de la France. Jacques Bainville faisait ça très bien, longtemps avant de Gaulle. Pour répondre à votre seconde question, il faut comprendre une chose : en 1990, quand Le Pen s’oppose à la guerre du Golfe, le Front national ne pèse que 15 % des suffrages. La conquête du pouvoir ne se pose donc pas avec une extrême acuité ; ce d’autant plus qu’avec le « point de détail », il s’est involontairement mis à dos les instances officielles de la communauté juive de France. Paradoxalement, ce handicap lui permet d’avoir les mains libres pour dire ce qu’il veut. Aujourd’hui, c’est une tout autre affaire. Le Rassemblement national, premier parti de France, peut objectivement espérer parvenir aux affaires. D’où la position médiane d’une Marine Le Pen qui, sur les guerres russo-ukrainiennes ou palestino-israéliennes, ne peut se permettre de publiquement déclarer ce qu’elle pense en son for intérieur. C’est toute la différence entre le père et la fille. Le père, contrairement aux racontars de journaliste, voulait le pouvoir ; mais, à l’évidence, ne s’est pas toujours donné les moyens de le conquérir. La fille, elle, entend s’en donner les moyens. Quant aux autres « droites » que vous évoquez, leur place me semble être aujourd’hui au Bureau des objets trouvés, à la Préfecture de police de Paris. LR est fracturé entre Éric Ciotti, désormais allié du RN, Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau qui vont bientôt s’écharper pour récupérer les ruines du parti naguère fondé par Jacques Chirac. Et pour ce qui est de l’autre droite « alternative », le spectacle est encore plus pathétique, entre un Éric Zemmour, une Marion Maréchal et une Sarah Knafo, à trois sur le strapontin du vote vézigondin, leur parole, à l’instar de leur éventuelle survie politique, me paraît hautement anecdotique. Donc, la parole imprécatrice que vous évoquez est de fait devenue impossible, entre ceux qui ne peuvent plus la porter, par prudence, et ceux qui pourraient la porter, sans d’ailleurs la porter et que, de toute façon, plus grand-monde n’écoute. Je vous concède que c’est triste, mais qu’il ne peut aujourd’hui en être autrement.

Jean-Marie Le Pen aurait pu dire comme Verdi : « Ma gloire est une cathédrale de crachats ». Ce qui n’était pas pour lui déplaire. Ne l’avez-vous jamais senti accabler par l’incompréhension ? Certes, cela correspondait à son goût du combat, même perdu d’avance. Pourtant, cette posture a pu l’isoler et lui coûter le pouvoir. Pensez-vous qu’il ait accepté cette marginalisation, ou l’a-t-elle secrètement rongé ?

Ce n’est pas parce que l’on est proche de quelqu’un qu’on peut sonder les tréfonds de son cœur. Oui, je crois qu’il souffrait d’être ainsi relégué au banc de l’infamie, mais qu’il s’en faisait une raison, mais également une gloire. Bien sûr, qu’à l’instar de tout un chacun, il aurait aimé être plus aimé. Mais il avait aussi ce don de ne point aimer ceux qui ne l’aimaient pas, ou plus. Je crois que l’opinion de ses amis lui importait plus que celle de ces ennemis. Et des amis, il en avait beaucoup.

Au fil des entretiens, on voit bien tout ce qui le sépare des mégrétistes, moins assimilationnistes, plus Européens, plus Nouvelle Droite au fond, ne vous en déplaise. Le souverainiste en vous est satisfait, l’identitaire en moi frustré. Mais un homme ne reste pas nécessairement figé dans une idée. Le dernier Le Pen, celui en retrait de l’action politique, mais pas du commentaire, recourait à une expression chère à Dominique Venner : l’« Europe boréale ». Hanté par les enjeux démographiques, il avait conscience d’une unité de civilisation, mise en danger par le péril migratoire. Est-ce que le dernier Jean-Marie Le Pen aurait trouvé grâce aux yeux de Nicolas Gauthier ?

Pour commencer, que l’homme ait ou non trouvé grâce à mes yeux dans quelques périodes de sa vie que ce soit importe peu, tant je serais présomptueux de me proclamer arbitre des élégances politiques. De plus, je sais que je ne suis pas objectif sur le sujet Le Pen. Mais au moins puis-je tenter d’être honnête : j’aime tous les Le Pen que vous passez en revue et il me semble dérisoire de vouloir dresser l’un contre l’autre. « Assimilationniste », il le fut jusqu’au soir de sa vie. Mais « identitaire », il ne l’était pas moins, même si je n’aime guère ce terme, trop réducteur. Car l’identité n’est pas unique, mais multiple. Elle est évidemment ethnique, mais aussi culturelle, religieuse, provinciale, etc. En effet, on peut, tout comme lui (ou moi), saluer l’assimilation de nombre d’immigrés tout en déplorant qu’une large majorité puisse refuser de s’assimiler. Tout comme on peut également prendre en compte la dimension continentale de la France tout en n’oubliant pas que, par sa position géographique, elle est aussi un pays tourné vers l’Atlantique et la Méditerranée tout en étant, de par sa population, une nation à la fois celte, germaine, méditerranéenne et même ultramarine. Bref, on peut à la fois accueillir une partie de l’immigration, celle qui aspire à devenir française, tout en rejetant ceux qui ne le souhaitent pas, allant même jusqu’à combattre leur patrie d’accueil. Cela n’a rien de contradictoire. Chaque problème est complexe par nature et on ne saurait le résoudre en se contentant de se focaliser sur une seule de ses données ; ethnique en l’occurrence, dans la mouvance identitaire. Certains voudraient ainsi tout expliquer par la lutte des classes ou par celle des races, alors que les deux existent. Ne pas comprendre cela équivaut à sombrer, soit dans l’esprit de système ou le romantisme révolutionnaire. Après, il est vrai que le terme d’Europe « boréale » a jadis été une fois évoqué par un Jean-Marie Le Pen dont les lectures incluaient évidemment les livres d’un Dominique Venner que, par ailleurs, il n’avait jamais vraiment pris au sérieux, tant son suicide l’avait laissé perplexe. N’est pas Mishima qui veut et Dominique Venner était un poète n’ayant jamais eu à se frotter aux basses contingences qu’impose la direction d’un parti politique, alors que Jean-Marie Le Pen était, lui, un homme d’action.

Avec le recul, quel est selon vous son véritable héritage politique ?

Avoir montré que tout demeurait possible, que le pire n’était jamais certain et qu’en politique, le désespoir était sottise absolue, tel qu’écrit par un Charles Maurras qui faisait également partie de ses innombrables lectures.

Le Pen comme vous ne l'avez jamais lu, entretiens avec Nicolas Gauthier, préface de Philippe Randa, Déterna, 158 pages, 21,00 € Pour le commander cliquez ici

Nicolas Gauthier a été journaliste à Minute, National hebdo, Flash, Le Choc du mois ; il collabore désormais à Éléments et à Boulevard Voltaire.

16:12 Publié dans Jean-Marie Le Pen, Livres, Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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