dimanche, 22 avril 2018
Le Vatican vu par Christophe Dickès
Le Vatican est souvent associé, sans que l’on sache vraiment pour quelles raisons objectives, aux divagations mêlant légendes, complots et secrets. Christophe Dickès docteur en histoire, spécialiste du catholicisme, nous plonge dans l’univers complexe et passionnant de la papauté. Par ailleurs, il a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège. Il a récemment publié un essai sur L’Héritage de Benoît XVI. Il est également le fondateur de Storiavoce, une webradio consacrée à l’histoire. Avec cet ouvrage fort intéressant de 270 pages, il analyse les « vérités et légendes » du Vatican.
Dès les premières lignes, Dickès rappelle que : « dans l’histoire, rarement une institution a suscité autant de fascination et de passions que le Vatican et le Saint-Siège ». Il prend le temps de poursuivre son idée : « beaucoup de fantasmes aussi, des critiques sûrement, jusqu’à l’expression parfois d’une violence sans retenue ». Les agressions contre l’Eglise, intellectuelles ou physiques, s’intensifient depuis des années au point même qu’en Europe un prêtre catholique a été égorgé par un musulman, alors qu’il célébrait la messe (1). L’auteur déclare que « contrairement à une idée reçue, l’anticléricalisme ou l’antipapisme possèdent des racines profondes, bien antérieures à la période contemporaine ». Il suffit de se remémorer, par exemple, les persécutions anti-chrétiennes sous l’Antiquité pour comprendre que l’Eglise, depuis sa naissance, subit constamment des attaques dont certaines découlent de la haine.
Lorsqu’on étudie la papauté, la question centrale à se poser est la suivante : pour quelles raisons cette institution semble attirer sur elle des idées extravagantes voire délirantes ? L’auteur répond à cette interrogation comme suit : « le Vatican suscite toujours autant de questions. Principalement parce qu’il donne l’impression de s’entourer de nombreux secrets : secret de l’élection des Papes tout d’abord, mais aussi secret des archives, secret de la confession ou encore secret pontifical, qui n’est autre qu’un secret propre à la gestion des affaires de l’Etat ».
Dickès tente de répondre, avec des faits objectifs et des propos circonstanciés, aux principales questions courantes à l’endroit de la papauté. Citons en quelques-unes pour montrer que cette étude se montre exhaustive : l’infaillibilité pontificale donne-t-elle tous les pouvoirs au Pape ? Le Vatican est-il riche ? Est-il misogyne ? A-t-il protégé des pédophiles ? Entretient-il des liens avec la mafia ? La curie est-elle un panier de crabes ? Jean-Paul1er a-t-il été assassiné ? Benoit XVI a-t-il renoncé sous les pressions extérieures ? Du communisme à l’islamisme, le Saint-Siège est-il naïf avec les totalitarismes ? Un Pape peut-il être en rupture avec ses prédécesseurs ? Ces questions sont intéressantes. Elles montrent surtout que le catholicisme embrasse tous les pans de la vie sociale et concerne toutes les interactions humaines.
Toutefois, avec humilité et justesse intellectuelle, Dickès précise lui-même dans son avant-propos que « les réponses à ces questions n’ont pas la prétention d’épuiser le sujet. C’est pourquoi nous demanderons l’indulgence du lecteur qui nous pardonnera les manquements et les oublis inhérents à ce genre ». Cette position s’explique logiquement par le fait « qu’un historien ne referme jamais ses dossiers. Dans les couloirs de l’histoire il doit rester humble et accepter la contradiction ». Histoire vient « du grec istoria qui signifie enquête » et la présente revient – entre autres – sur la nomination du Pape.
A ce sujet, l’auteur énonce avec pédagogie que « l’élection d’un Pape n’en est pas pour autant un sacrement. Très schématiquement, on ne devient pas Pape comme on devient prêtre. Le prêtre est ordonné, c’est-à-dire qu’il participe physiquement au pouvoir spirituel du Christ-Prêtre. Pour devenir prêtre il est consacré. Le Pape, lui, reçoit un « mandat » : il est élu au cours d’un conclave par le Sacré Collège qui rassemble les cardinaux du monde entier. Le Pape n’est donc pas sacré « souverain pontife » comme l’était le roi de France à Reims. Le Pape devient Pape à l’instant même où il accepte l’élection une fois qu’une majorité au deux tiers s’est portée sur son nom ». L’explication nous paraît limpide.
Cependant, certains ne comprennent pas ou se moquent du « rôle de l’Esprit-Saint » dans l’élection d’un Pape. Avec le chapitre « Le Pape est-il choisi par l’Esprit-Saint ? » , l’auteur répond très justement à ce questionnement : « Dans le dictionnaire de théologie catholique, il est mentionné que l’Esprit-Saint assiste les électeurs dans le cadre du plan de Dieu, appelé aussi communément Providence, afin de garder l’Eglise dans le droit chemin. Mais cette assistance divine, n’enlève rien à la liberté du choix qui doit s’opérer par les moyens ordinaires. La liberté du cardinal électeur peut aussi l’amener à refuser la grâce et l’assistance du Saint-Esprit, même si Dieu, toujours dans une perspective théologique n’abandonnera jamais l’Eglise qui n’appartient pas aux hommes mais à Lui seul ». La croyance en Dieu n’exclut nullement le libre arbitre et les mauvais choix.
Un attribut papal qui choque la modernité concerne l’infaillibilité pontificale. Effectivement, elle « renvoie à un pouvoir incontesté et incontestable alors que nous vivons dans un monde relativiste où l’autorité est en crise ». Il poursuit son analyse en expliquant que « les revendications contre l’infaillibilité relèvent aussi d’une crise de vérité et de l’identité ». Autre aspect qui anime et alimente les théoriciens du complot : les archives secrètes du Vatican. En réalité, il existe un réel malentendu concernant cette appellation car « les archives secrètes du Vatican n’ont donc de secret que le nom. Ou plutôt le qualitatif « secrètes » doit être interprété dans le sens ancien du terme : privé et réservé au souverain ». D’une manière générale et indépendamment de cette précision étymologique, tout le monde a des secrets. Pour quelles raisons le Pape n’en aurait-il point ?
Dickès aborde de nombreux sujets concernant la papauté et le Vatican, sans pour autant clore le sujet – comme il reconnaît lui-même – car ce dernier reste vaste, éminemment complexe et finalement inépuisable. Toutefois, ce livre constitue une agréable entrée en matière pour celles et ceux qui veulent découvrir réellement le Vatican, loin des calembredaines que nous pouvons lire dans Le Vatican inconnu, Les secrets du Vatican, Le Vatican indiscret, Dossier secret du Conclave, etc. Sans jamais oublier son rôle d’historien, l’auteur pose un regard objectif et lucide sur la mission du Pape, son pouvoir, la diplomatie vaticane, ses enjeux et les réactions papales face aux totalitarismes. En effet, derrière l’image si particulière du Vatican dans l’histoire des hommes, il y a un Etat, un chef, une administration, une politique étrangère, une doctrine, mais nullement une ingénierie machiavélique fomentant des complots ou conservant dans ses archives des inavouables secrets.
(1) Jacques Hamel, né le 30 novembre 1930 à Darnétal et mort le 26 juillet 2016, dans sa 86e année, en l’église Saint-Étienne de Saint-Etienne-du-Rouvray, est un prêtre catholique français de l’archidiocèse de Rouen, martyr de l’Eglise catholique, assassiné par deux terroristes musulmans.
Le Vatican Vérités et légendes, Christophe Dickès, Perrin, mars 2018, 272 pages, 13 €
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