vendredi, 14 novembre 2025
Un gars à découvrir
La chronique flibustière de Georges Feltin-Tracol
À 35 ans, Zohran Mamdani, né en Ouganda d’une famille originaire d’Inde et naturalisé citoyen des États-Unis en 2018, deviendra au 1er janvier 2026 le plus jeune maire de New York et le premier musulman chiite à administrer la « Grosse Pomme ». Ce militant démocrate adhère au courant des socialistes démocrates auquel appartient aussi l’actuelle représentante fédérale de New York, Alexandria Ocasio-Cortez. Mamdani a mené une campagne progressiste et populiste, ce qui, dans le contexte étatsunien, n’est pas contradictoire.
On oublie en effet qu’avant l’irruption de Donald Trump sur la scène politique, les États-Unis constituaient un foyer régulier et fécond de populisme. Lors de l’élection présidentielle de 1912, l’ancien président républicain, Theodore Roosevelt, se présente sous la bannière du parti progressiste, propose une politique populiste et concurrence le président républicain sortant William Taft. Cette division favorise le lamentable candidat démocrate Woodrow Wilson.
Auparavant, à la fin du XIXe siècle, dans les États de l’Ouest, les candidats du People’s Party secouent le monopole des républicains. Ils défendent le bimétallisme or – argent, inscrivent dans les constitutions locales le caractère secret du vote, l’élection directe des sénateurs fédéraux et la révocation des élus locaux. Certains suggèrent même un impôt progressif sur le revenu et la limitation du temps de travail dans l’industrie. Longtemps perçu comme le porte-parole de la défunte Confédération sudiste, le parti démocrate peut parfois adopter dans le contexte spécifique à chaque État fédéré une réelle tonalité populiste. C’est le cas de la Louisiane pendant l’Entre-deux-guerres.
En 1928 accède à la fonction de gouverneur de cet État Huey Pierce Long. Né le 30 août 1893 à Winnfield dans le Nord de l’État, il montre très tôt de grandes dispositions pour la politique. En octobre 1918, il entame sa carrière publique en remportant le mandat de commissaire aux chemins de fer de Louisiane. Candidat dès 1924 au poste de gouverneur, il n’arrive que troisième à la primaire démocrate avec cependant près de 31 % des voix. Ce n’est que quatre ans plus tard qu’il réalise son rêve. Dès la primaire, il recueille plus de 44 % des suffrages…
Très vite, le nouveau gouverneur, fort ambitieux, reçoit le surnom de « Kingfish » (« Gros poisson ») plutôt que celui de « Parrain ». La Nouvelle-Orléans est en effet le berceau de la mafia italo-américaine. Il est inévitable que le « Kingfish » discute avec les patrons de la pègre. Ses adversaires, aussi bien chez les démocrates que chez les républicains, dénoncent son clientélisme et sa corruption. Ils s’offusquent par ailleurs de la construction d’un nouveau Capitole, le plus haut des États-Unis ! Dans un ouvrage qui vient de paraître, On a tué Huey Long ! (Éditions 10/18, 2025, 256 p., 8,30 €), Jean-Marie Pottier évoque ces turpitudes. Il mentionne par exemple la « boîte à déduction », un système ingénieux de collecte occulte de fonds qui repose sur « un coffre où il [Huey Long] entreposait les dons en liquide versés par ses partisans ou par des entreprises voulant s’implanter en Louisiane, ainsi que des déductions mensuelles de cinq à dix pour cent prélevées sur les salaires des employés recrutés par son administration ».
Élu sénateur fédéral de la Louisiane à Washington, Huey Long tergiverse et reste gouverneur avant d’accepter en 1932 son nouveau mandat. Son successeur est un fidèle qu’il a choisi, car il continue à gouverner l’État indirectement. Il ne cache plus non plus son intention de briguer la présidence des États-Unis. Or, le 9 septembre 1935, dans l’enceinte du Capitole de Bâton-Rouge, capitale de la Louisiane, le docteur Carl Austin Weiss tire sur Huey Long qui décède deux jours plus tard. Ses gardes du corps ripostent et abattent de plusieurs dizaines de balles le meurtrier.
Quel est le motif de Weiss ? Il refuse que son beau-père, Benjamin Pavy, juge local anti-Long, ne soit pas réélu au prochain renouvellement en raison d’un redécoupage partial de sa circonscription. Toutefois, les anti-Long propagent aussitôt que l’homme fort de la Louisiane aurait surtout été tué par les tirs de ses propres protecteurs.
Journaliste à Sciences humaines et à Society, Jean-Marie Pottier enquête sur les circonstances de cet assassinat qui stupéfia l’opinion publique outre-Atlantique. Il souligne qu’en 1991 – 1992, la police relance l’enquête. Elle exhume le corps de Carl Weiss et étudie la trajectoire des balles. Sa conclusion confirme la seule et pleine responsabilité de Weiss. En revanche, ses motivations réelles restent obscures.
Pour Jean-Marie Pottier, Huey Long « est l’homme qui a sorti la Louisiane de la boue à coup de milliers de kilomètres de routes et qui lui a offert ponts, hôpitaux, asiles psychiatriques et livres scolaires gratuits ». L’auteur ajoute que le futur sénateur assassiné « est l’homme qui a fait plier les “ Bourbons ”, la vieille aristocratie qui maintenait la Louisiane sous son joug depuis plus d’un demi-siècle, mais a plié aussi la démocratie et ses garde-fous à sa brutalité ».
Fort de ses succès en Louisiane, Huey Long développe ses ambitions nationales. Il vise la fonction suprême pour 1936 ou, plus sérieusement, 1940. Il écrit l’année de son assassinat un essai intitulé Mes premiers jours à la Maison Blanche. Réputé pour sa fibre sociale et sa franche hostilité aux banques, il lance le 23 février 1934 Share Our Wealth (« Partageons notre richesse »). Il se rapproche dès lors du père Charles Coughlin. Ce prêtre catholique conspue les méfaits du capitalisme et du communisme à la radio à l’occasion d’une émission hebdomadaire très écoutée en ces temps de « Grande Dépression » issue du Krach de 1929. Huey Long critique de plus en plus ouvertement le New Deal de Franklin Delano Roosevelt qu’il juge bien trop bureaucratique. Il rejette enfin les expériences communistes et fascistes en cours en Europe.
L’héritage de Huey Long marque durablement la Louisiane. Son épouse, Rose McConnell, le remplace au Sénat de 1936 à 1937. Leur fils, Russell, est sénateur fédéral entre 1948 et 1987. Le frère aîné de Long, George, en est le représentant fédéral de 1953 à 1958. Leur frère cadet, Earl, est gouverneur de la Louisiane à trois reprises (1939 – 1940, 1948 – 1952, 1956 - 1960). Quatre cousins éloignés, y compris l’épouse de l’un d’eux, sont des élus locaux ou nationaux jusqu’au début des années 2020. Les Long forment ainsi une autre dynastie bien moins connue que celle des Kennedy ou des Bush.
Salutations flibustières !
• « Vigie d’un monde en ébullition », n°174, mise en ligne le 13 novembre
00:28 Publié dans Georges Feltin-Tracol | Lien permanent | Commentaires (0) |
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