jeudi, 20 octobre 2022
Le couple franco-allemand au bord de la crise de nerf *
Philippe Gélie
Au milieu de ses déconvenues militaires en Ukraine, Vladimir Poutine trouvera une consolation dans le sommet européen convoqué ce jeudi soir à Bruxelles : le poison qu’il a injecté aux Européens en jouant avec le robinet du gaz produit ses effets. Inquiets et fébriles, les Vingt-Sept se divisent sur la réponse collective à apporter d’ici au printemps prochain, lorsqu’il faudra remplir les réserves en prévision de l’hiver 2024. La France et une quinzaine d’États membres veulent s’inspirer de la péninsule Ibérique pour plafonner les prix du gaz et, par effet mécanique, de l’électricité ; l’Allemagne et quelques-uns des plus riches y rechignent, craignant qu’une limitation artificielle des prix augmente la demande et menace la sécurité des approvisionnements.
Cette divergence politique finira peut-être par être surmontée, après des mois de négociations picrocholines à Bruxelles débouchant sur des montages d’une indéchiffrable complexité. Mais elle ne constitue que la partie émergée d’un iceberg de plus en plus massif : celui du cavalier seul de Berlin, de moins en moins intéressé par son fameux « tandem » avec la France. Ce «Soloreiter» allemand a en fait toujours été la norme, consubstantiel à une puissance industrielle reposant sur les importations de gaz russe et les exportations en Chine. On l’a vu à l’œuvre à chaque crise récente : en 2015, lorsque Angela Merkel a ouvert les frontières de l’UE aux réfugiés syriens, aux premiers symptômes du Covid, lorsqu’elle s’est lancée dans une course solitaire aux masques et aux vaccins, comme le mois dernier, lorsque Olaf Scholz a mis 200 milliards d’euros sur la table pour protéger les entreprises allemandes, sans concertation et au risque d’une distorsion de concurrence fatale pour le marché unique.
Dans son discours de Prague du 30 août, consacré à sa «vision européenne», le chancelier a à peine mentionné le partenaire français, dessinant une Europe à trente-six États à la fin du siècle, dont le centre de gravité naturel serait l’Allemagne. Un projet qui se matérialise lorsque Berlin invite quatorze pays du Nord et de l’Est sous un bouclier antiaérien commun, en excluant la France. Paris semble avoir pris note de ce mépris ; il lui reste à se rebeller.
(*) Le titre est de la rédaction
Source Le Figaro 20/10/2022
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