jeudi, 09 mars 2023
Ukraine-Russie, un an de conflit : l'analyse du général Martinez
Général (2s) Antoine Martinez
Au Président de la République et à son gouvernement, aux représentants de la nation et au peuple français :
Un an tout juste après l'agression de l'Ukraine par la Russie et alors que ce conflit semble s'enliser, il faut bien admettre que les risques d'embrasement et de débordement au-delà du territoire ukrainien deviennent très sérieux aujourd'hui du fait du soutien massif de Kiev décidé par l'OTAN, notamment en matière de matériel militaire lourd, qui pourrait conduire les dirigeants russes à considérer cette démarche comme belliqueuse à leur égard. Les pays européens, membres de l'OTAN, traités de ce fait comme co-belligérants seraient donc en première ligne et potentiellement sous la menace directe de frappes de représailles, ce qui déclencherait une phase nouvelle de cette guerre qui deviendrait incontrôlable. Il ne sert à rien de clamer qu'il ne s'agit pas de co-belligérance pour tenter de s'en convaincre. En effet, c'est la guerre et si les Russes considèrent qu'il s'agit de co-belligérance, cette co-belligérance sera considérée comme telle avec ses conséquences. La situation est donc extrêmement grave et préoccupante et la responsabilité des dirigeants européens est immense dans la tournure que pourrait prendre ce conflit, pour l'instant encore, contenu géographiquement.
Les dernières déclarations du Président de la République, engageant la France, lors de la conférence sur la sécurité qui s'est tenue à Munich, ne sont d'ailleurs pas de nature à faire baisser la tension. Refuser d'engager le dialogue avec la Russie qui contrôle à ce stade environ 20 % du territoire ukrainien et pousser à sa défaite d'une part, et laisser croire que l'Ukraine serait en capacité d'imposer ses conditions dans une négociation qui surviendrait après une hypothétique contre-offensive victorieuse d'autre part, relève d'un déni de réalité qui pourrait être catastrophique et dramatique pour l'Ukraine et les pays européens. Il est encore temps d'arrêter le massacre !
C'est pourquoi j'appelle le Président de la République et le gouvernement à un sursaut inspiré par la raison. Avoir servi la France sous l'uniforme pendant une quarantaine d'années m'en donne aujourd'hui le droit, sinon le devoir. Car la politique et la géopolitique se fondent sur des réalités et non sur des fantasmes ou sur l'émotion. Et les réalités internationales en 2023, confirmées s'il en était besoin par ce conflit en Ukraine, sont représentées par les Etats-Unis, la Russie et la Chine, seules puissances en mesure – en fonction de leurs seuls intérêts propres – de peser sur l'issue de cette guerre par procuration, l'Union européenne étant de son côté totalement dépassée car ayant choisi depuis la fin de la Guerre froide d'engranger les dividendes de la paix au détriment de sa défense. Ignorer cette évidence ou refuser de l'admettre peut conduire à des prises de décisions tragiques pour la France et les Français.
C'est pourquoi j'appelle les représentants de la nation, députés et sénateurs, étrangement silencieux sur les décisions partisanes prises par l'exécutif et qui engagent la France dans ce conflit, à exiger un débat au Parlement. La France se devait, en présidant l'Union européenne au cours du premier semestre 2022 – avant même l'agression russe et dans les mois qui l'ont suivie – d'adopter un rôle singulier de puissance d'équilibre, de vrai médiateur donnant à la diplomatie sa raison d'être dans ce conflit qui aurait pu et qui aurait dû être évité ou arrêté. Car cette guerre est un vrai malheur pour l'Europe. En ne faisant pas ce choix et en suivant aveuglément les Etats-Unis, la France a manqué un rendez-vous avec l'Histoire. Les Français pourraient le payer cher.
C'est pourquoi, enfin, j'appelle les Français à prendre conscience des enjeux qui touchent à leur sécurité et donc à leur avenir. Cette prise de conscience doit les conduire à manifester fermement, résolument et massivement leur désaccord à des décisions qui privilégient et alimentent manifestement la poursuite de la guerre et sa propagation jusqu'à l'irréparable au lieu de créer les conditions de son arrêt.
Car sur les raisons du déclenchement de ce conflit et par conséquent de la nécessité et du bien fondé de mon appel, il est indispensable de rapporter les faits qui contredisent le discours officiel et justifient l'opposition à la posture adoptée par la France qui découle, en fait, d'un narratif partiel et partial imposé aux Français. « Les responsables des guerres ne sont pas ceux qui les déclenchent, mais ceux qui les ont rendues inévitables » (citation attribuée à Montesquieu). En l'occurrence, la Russie a déclenché cette guerre le 24 février 2022, mais ce sont les États-Unis qui l'ont rendue inévitable.
Depuis la fin de la Guerre froide, en effet, la Russie est devenue une obsession pour l'Etat profond américain qui refuse notamment tout développement des relations entre ce pays et les pays européens, car il a rapidement compris que la paix instaurée déboucherait – c'est inévitable – à un développement progressif sur le continent européen des échanges et des relations commerciales, économiques, voire politiques qui bouleverserait à terme la situation géopolitique et menacerait son hégémonie. C'est la raison, d'ailleurs, du maintien de l'OTAN, engagée dans un long processus d'expansion vers les frontières de la Russie et visant à l'affaiblir sur le long terme, alors que le Pacte de Varsovie avait été dissous.
Cette stratégie délibérément agressive à l'égard de la Russie a été conçue et présentée par Zbignew Brzezinski dans son ouvrage « Le grand échiquier » dès 1997. « L’Amérique doit absolument s’emparer de l’Ukraine, parce que l’Ukraine est le pivot de la puissance russe en Europe. Une fois l’Ukraine séparée de la Russie, la Russie n’est plus une menace ». En une phrase, ce qui est désigné comme un objectif à atteindre ne peut être compris que comme une déclaration de guerre avant l'heure et peut expliquer, a posteriori, la décision de la Russie d'attaquer la première le 24 février 2022.
La concrétisation de cet objectif est exprimée par la révolution de Maïdan préparée pendant des années et déclenchée en 2014 par un véritable coup d'Etat fomenté par la CIA qui a entraîné le renversement du président ukrainien pro-russe, provoqué la division du pays et débouché sur une véritable guerre civile avec le bombardement et le massacre des populations ukrainiennes du Donbass par le nouveau régime, parce que russophones et tournées vers la Russie.
Tout a été fait par l'Ukraine et les Etats-Unis pour provoquer cette guerre avec la Russie. L'interview, le 18 février 2019, d'Oleskiy Arestovytch, conseiller du président Zelensky, est révélatrice. Le plan d'action détaillé qu'il déroule face au journaliste (tant de précision au regard de ce qu'il se passe aujourd'hui ne peut que montrer qu'il a reçu des assurances (cf. rapport de la Rand Corporation pour déstabiliser la Russie) constitue un témoignage accablant. Il n'hésite pas à déclarer que le prix à payer pour rejoindre l'OTAN est un grand conflit avec la Russie, en ajoutant que cette guerre commencerait entre 2020 et 2022 ! « L'OTAN forme l'armée ukrainienne, fournit les armes et la formation nécessaires depuis 2014 » (Jens Stoltenberg, Secrétaire général de l'OTAN).
Un accord de partenariat stratégique et militaire a, en outre, été signé entre Washington et Kiev le 10 novembre 2021, trois mois avant l'offensive ukrainienne sur le Donbass le 16 février 2022 qui a entraîné la réponse russe le 24 février. Cet accord scelle une alliance entre les Etats-Unis et l'Ukraine, est dirigé contre la Russie et promet à Kiev l'entrée dans l'OTAN.
Quant aux accords de Minsk I (5 septembre 2014) et Minsk II (12 février 2015), ils ont été sabotés par les Etats-Unis (déjà installés (cf. Mme Victoria Nuland) dans les instances décisionnaires de l'Ukraine) qui ne pouvaient supporter que cette crise fût gérée par les Européens eux-mêmes et notamment par la France et l'Allemagne signataires de ces accords et garants de leur application. La France a d'ailleurs une responsabilité immense – partagée avec l'Allemagne – dans la situation actuelle en n'ayant pas œuvré pour cette application et a donc failli à sa signature. Mais on sait aujourd'hui, après l'aveu cynique de Mme Merkel confirmé par le président Hollande, que ces accords n'étaient qu'un subterfuge destiné à tromper la Russie et à permettre au nouveau régime ukrainien de gagner du temps pour s'organiser, s'armer et se préparer.
Par ailleurs, dès le 27 février 2022, le président ukrainien avait accepté le principe de négociations qui se sont déroulées au cours du mois de mars pendant quelques semaines. Elles n'ont cependant pas abouti en raison des pressions américaines et de l'assassinat par le SBU (services secrets ukrainiens) d'un des négociateurs.
Le 26 septembre 2022 les gazoducs Nord Stream 1 et 2 étaient gravement endommagés par des explosions entraînant quatre fuites de gaz en Mer Baltique et coupant l'approvisionnement en gaz de l'Europe. Cet incident majeur résulte indiscutablement d'un acte hostile délibéré dont l'origine, sans même se référer aux révélations récentes de l'enquête menée par le journaliste américain Seymour Hersch, ne trompe personne. A qui profite le crime ? Les Etats-Unis ont planifié et piloté ce sabotage qui s'apparente à une opération terroriste. « Si la Russie envahit … alors, il n'y aura plus de Nord Stream. Nous y mettrons fin » (Joe Biden). L'objectif de l'Etat profond américain, déjà évoqué, est d'empêcher tout développement des relations entre la Russie et l'Europe et en particulier de couper le lien de dépendance énergétique et donc économique de l'Allemagne – et donc de l'Europe – avec Moscou. L’impact de ce sabotage a totalement ravagé l’économie de l’Union européenne, provoquant une hausse ahurissante des prix de l’énergie et des faillites en chaîne.
Il n'est pas dans l'intérêt de l'Europe dans un conflit qui lui est imposé de couper le lien avec la Russie, au risque de la pousser vers la Chine qui est consciente d'être la prochaine visée par les Etats-Unis. Et l'intérêt de la Chine aujourd'hui n'est pas d'affaiblir ou de laisser affaiblir la Russie. Son attitude dans cette crise est cruciale. Si elle a l'intention (comme le lui reprochent à présent les dirigeants américains) de fournir des armements à la Russie, les Etats-Unis auraient, en provoquant cette guerre en Ukraine, ouvert la boîte de Pandore.
Enfin, il faut évoquer un facteur fondamental qui conditionne la poursuite et l'évolution de ce conflit, à savoir les pertes humaines. Dans ce domaine sensible, il faut rester circonspect mais les données rendues récemment publiques par les médias turcs faisant référence aux services de renseignement israéliens sont plausibles :
Ukraine : 157000 soldats tués / 234000 blessés – 234 instructeurs OTAN tués
2458 combattants OTAN tués – 5360 mercenaires tués – 17230 prisonniers
Russie : 18480 soldats tués / 44500 blessés – 323 prisonniers
La disproportion entre les pertes ukrainiennes et russes est cohérente avec la disproportion des feux appliqués par chacun des camps à son adversaire (de l'ordre de 8 pour 1 en faveur de la Russie).Jusqu'où sommes-nous prêts à aller dans cette boucherie qui aurait pu et aurait dû être évitée ?
Cette guerre est bien celle des États-Unis et n'est absolument pas dans l'intérêt des Européens qui se suicident économiquement et géopolitiquement en raison des sanctions décidées contre la Russie et qui risquent, à présent, d'être impliqués directement dans ce conflit. Le temps de la raison n'est-il pas venu avant qu'il ne soit trop tard ?
« La paix est le seul combat qui vaille d'être mené. Ce n'est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l'ordre de choisir définitivement entre l'enfer et la raison ». (Albert Camus)
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