lundi, 18 mars 2024
Ne pas préférer Aya Nakamura n’est sûrement pas une faute morale
Dans Valeurs Actuelles, le père Danziec réagit à la polémique autour de Aya Nakamura :
« Choisir, c’est renoncer » explique-t-on aux enfants. Les parents responsables savent que l’apprentissage de la gestion de ses frustrations fait partie du b.a.-ba de l’éducation. Mais décider, faire un choix, implique aussi de se positionner. Or l’actuelle dictature du politiquement correct modifie désormais les perspectives.
« Choisir, c’est renoncer », assurément et, hélas, plus que jamais ! Chacun se trouve sommé de faire un choix, mais pas n’importe lequel : celui qui convient aux normes du prêt-à-penser dominant. Finie l’heure du relativisme des années 2000, la doxa woke des années 2020 ordonne de choisir son camp. Et gare à celui qui, par malheur, ne choisirait pas celui du bien ! Faire tel ou tel choix discordant signifie renoncer à obtenir – ou conserver, c’est selon – son rond de serviette sur de nombreux plateaux.
Plus de Pilate possible, l’impératif est d’exprimer des préférences qui soient en adéquation avec la marche du monde. On ne peut passer son tour, il faut hurler avec la foule. Pour rester à flot, les conditions sont édictées : renouveler continuellement sa fidélité dans une certaine forme de transgression. No border, no limit.
L’affaire Aya Nakamura s’avère à cet égard éloquente de mauvaise foi. Les mêmes qui fustigeaient la prestation de Jean Dujardin, à leur goût trop franchouillarde, lors du lancement de la dernière coupe du monde de rugby, sont ceux qui se réjouissent à présent d’un indiscret publié dans L’Express…
L’artiste franco-malienne aurait en effet été sollicitée par Emmanuel Macron pour chanter lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris de 2024. Cette information a immédiatement provoqué des réactions en chaine sur les réseaux sociaux et dans le monde politique. Choix disruptif de la Présidence, s’il venait à se confirmer ?
Il faut dire qu’en dépit des succès commerciaux d’Aya Nakamura, son champ lexical et le sujet de certaines de ses chansons peinent à faire spontanément l’unanimité. C’est peu de le dire. Bien sûr, la ministre des Sports s’est félicitée « du rythme » et « de la vitalité » de sa musique – « c’est ça que j’adore » confiait-elle dans un enthousiasme surfait au micro de C à vous – d’autres comme Gérard Larcher ou Marion Maréchal ont manifesté un enthousiasme inversement proportionné.
Des questions se posent pourtant : peut-on librement critiquer le choix d’Aya Nakamura pour représenter la France lors des prochains Jeux ? A-t-on le droit de considérer un tel projet comme un coup politique ? D’estimer cette décision comme non avenue ? Et, dans le même temps, ne pas se voir soupçonné de racisme ?
Pourra-t-on encore demain se justifier de préférer un chant corse à une salsa brésilienne, les yodels d’outre-Rhin aux paroles équivoques de Djadja ? Aura-t-on le droit de choisir autre chose que ce que l’on nous propose, que ce que l’on nous impose ? Oserai-je à l’avenir, à l’instar d’un Julien Clerc, clamer sur les toits « Ma préférence à moi » ?
La question « des goûts et des couleurs », pour être abordée paisiblement, réclame de la nuance. Il est par exemple possible d’aimer Renaud, ses drôleries, ses rimes et ses trouvailles littéraires, d’avoir les yeux humides en écoutant Mistral Gagnant, de s’amuser de sa description de la France dans Hexagone, d’épouser son hommage au monde féminin dans Miss Magie, sans pour autant se retrouver dans ses idéaux de gauche.
De la même façon, il m’apparaît capital de pouvoir revendiquer un droit. Celui de ne pas se sentir à l’aise devant l’éventuel choix d’Aya Nakamura, le droit d’être circonspect à l’écoute de sa musique, le droit de ne pas se retrouver dans ses codes de langage ou vestimentaires sans pour autant devenir l’objet d’une reductio ad hitlerum. A-t-on, finalement, le droit de ne pas aimer ou d’apprécier quelqu’un sans que les procès d’intention fusent de toute part ?
Il y a exactement 40 ans, en février 1984, Jean-Marie Le Pen professait dans l’émission L’heure de vérité, croire aux choses réelles, aux attachements et aux devoirs hiérarchiques. Au journaliste d’Antenne 2, Albert du Roy, le fondateur du Front National partageait, décontracté et souriant, avec l’agilité oratoire qui fit sa réputation, son échelle des sentiments et des dilections :
« J’aime mieux mes filles que mes cousines, mes cousines que mes voisines, mes voisines que des inconnus, et des inconnus que mes ennemis. Par conséquent, j’aime mieux les Français. C’est mon droit. »
« C’est mon droit. » Certes ! Ce droit, proclamé de manière toute granitique, se prolonge aujourd’hui par un autre : le droit de ne pas souscrire au piège des sophismes. De ceux qui enferment et caricaturent. Vous n’êtes pas pour un engagement des forces armées françaises en Ukraine ? Vous êtes donc poutinistes béats. Vous appréciez CNews ? Vous vous complaisez dans une chaîne d’opinion.
Vous manifestez pour la défense du mariage entre un homme et une femme ? Vous sombrez dans l’homophobie. Vous émettez quelques réserves au sujet de la vaccination obligatoire du personnel soignant ? Vous délirez dans le complotisme. Vous préférez la messe en latin ? Vous grossissez les rangs de l’intégrisme.
Tous les oukases imaginables ne viendront pas à bout d’une vérité bien établie : l’amour véritable nécessite la liberté de ne pas aimer. Le Christ lui-même a accepté de s’y soumettre. Ne pas préférer Aya Nakamura n’est sûrement pas une faute morale. Il est sans doute même plutôt le signe qu’un amour plus fort sommeille dans le cœur de 73% des Français. Un amour qui, loin de l’esbroufe politique, ne demande qu’à être nourri en profondeur. A bon entendeur.
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