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vendredi, 30 septembre 2022

Notre Pays retrouvera-t-il ses chansons ?

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François Floc'h

Le dimanche 16 octobre prochain se déroulera la 14e journée de Synthèse Nationale. N'en doutons pas, l'ambiance y sera joyeuse, appliquant la recommandation du bon maître François Rabelais : « Il vaut mieux évoquer le rire que les larmes parce que le rire est le propre de l'homme. Vivez joyeux !»

Espérons aussi que ce jour-là quelques gais lurons de Flandre ou d'ailleurs pousseront la chansonnette ! Pour les plus jeunes qui participeront à ces retrouvailles militantes, un rappel peut être bénéfique…

A tout précurseur il faut rendre honneur. Jean-Marie Le Pen est de ceux-là. En 1963, en créant la SERP – Société d'études et de relations publiques ! – il allait réaliser une œuvre salutaire : tirer de l'oubli et mettre en valeur le patrimoine sonore et surtout musical de nos soldats, des militants nationalistes, du petit peuple de nos provinces, mais aussi, sans sectarisme aucun, de nos adversaires comme la CGT ! Et combien d'autres archives sonores qui lui valurent, déjà, plusieurs procès…  Par les disques microsillon puis par les mini-cassettes, il allait ainsi promouvoir le riche répertoire du Chœur Montjoie Saint-Denis (ci-dessus) qui anima tant de nos réunions et banquets. On ne peut oublier les fameuses collections Chants d'Europe, Chants de France et Chants de tradition ?

Mais l'écrit garde toujours son importance. En 2017 aux Éditions Synthèse nationale comme il se doit, Thierry Bouzard, grand spécialiste des musiques militaires, publiait un gros "carnet de chants" (318 pages !) que tous les militants doivent posséder et utiliser sans modération : Les chansons de notre identité, 220 chansons pour aujourd’hui et pour demain. cliquez là

Plus récemment, deux amis bretons, Rémi Creissels et Charles Dor, ont eu une idée originale : créer une application informatique répertoriant tous les chants traditionnels.

C'est devenu Canto, un carnet de chants en ligne cliquez ici  

1 600 fiches de chants, podcasts, interviews, tutos… Quelle mine !

Interrogé sur Boulevard Voltaire, Charles Dor précise leurs objectifs : « Chez Canto, nous avons trois piliers auxquels nous tenons. Le premier, c’est de préserver le patrimoine. Le second pilier, c’est de faire vivre ce patrimoine, cela se fait par le biais de l’événementiel. Le troisième, c’est de transmettre, en priorité dans les écoles primaires et ensuite dans les établissements pour personnes âgées. Canto est devenu un projet culturel de sauvegarde du patrimoine local, traditionnel et populaire.»


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Rendons aussi hommage à Bernard Antony, l'animateur si créatif du Centre Charlier, qui publiait en 1988 son ouvrage Chants de France et de Chrétienté. Pour cette parution, il avait demandé à François Brigneau (en photo ci-dessus) d'en rédiger la préface. Dans son style inimitable et  sa verve populaire, l'ami Brigneau avait rédigé un texte percutant qui a gardé tout son charme. Pour le plaisir nostalgique, relisons-le…

Le Pays qui a perdu ses chansons     

Préface de François Brigneau

Chants de France et de Chrétienté

Je suis né dans un peuple qui n'avait pas la sécurité sociale mais qui chantait. Aujourd'hui nous mourrons tous guéris, mais personne ne chante plus. Il n'y a sans doute aucun rapport entre ces deux phénomènes. Encore que... Si loin que je me souvienne j'ai entendu peu de riches chanter. Je parle de vrais riches, conscients de leurs richesses, donc inquiets. Chez nous, il n'y avait pas d'argent. Nous n'avons donc manqué de rien. Surtout pas de chansons.

Comment faisions-nous ? Mystère. Nous n'avions pas de télé. Nous n'avions pas de radio. Nous n'avions pas de pho­nographe. On pourrait croire que je parle de temps antédiluviens... Non, ce n'est qu'à une vie d'homme... Nous savions des dizaines, peut-être des centaines de chansons par cœur, couplets et refrains. Aux veillées d'automne et d'hiver, en mangeant des châtaignes avec du cidre nou­veau, tout le monde chantait. Les femmes qui tricotaient, rapiéçaient, cousaient ou ramendaient les filets et les hommes, en bout de table, dans la fumée bleu gris des pipes. J'ai un souvenir, un des premiers, d'une soirée de ce genre. Une de mes tantes, Lisette, qui est brune comme une espagnole, avec de beaux yeux de velours som­bres et une voix de gorge, chante un succès de l'époque : Ramona

Ramona, j'ai fait un rêve merveilleux.

Ramona, nous étions parti, tous les deux

Nous allions à pas lents

Loin de tous les regards jaloux...

Ma tante insiste sur la liaison : "J'ai fait-t-un rêve...". Soudain, de son lit où il dormait sous un édredon de coton rouge, haut et rond comme le Menez Hom, sort la voix de mon grand-père Ambroise. Il grogne, avec l'accent breton :

  • J'ai fait-t-un rêve... J'ai fait-t-un rêve... Tu pourrais pas chanter en français ?
  • Mais père..., dit la pauvre Zette, déjà au bord des larmes.

Et ma mère :

  • Pourquoi, ce n'est pas en français ?
  • Sûr que non, dit mon grand-père. J'ai fait-t-­un rêve... J'ai fait-t-un rêve, vous ne sentez pas ? C'est trop dur pour être en français.
  • Comment doit-on dire, père ?
  • J'ai fait-z-un rêve. C'est plus joli. Plus souple. C'est français.

Il faut reconnaître que pour ce qui est de la souplesse le vieux s'y connaissait. A soixante ans, retour de pêche, pour une chamaillerie de port, entouré par les jeunes, il avait mis ses poings dans ses boutou-coat, ses sabots de bois, et s'en était servi comme de gants de boxe.

  • Ah bon ! avait dit la tante Zette, et elle avait repris, impavide, "Ramona, j'ai fait-z-un rêve mer­veilleux", tandis que mon père riait aux larmes.

Mon père avait une belle voix, chaude, dont il augmentait la gravité après avoir prévenu :

  • Je vais prendre ma voix basse.

Il avait tout un répertoire depuis la Chanson des blés d'or :

Mignonne, quand le soir descendra sur la plaine

Et que le rossignol ira chanter encor...

jusqu'à Kenavo (Au revoir) de Théodore Botrel, qu'il chantait en duo avec ma mère :

Puisque mon (ton) grand bateau

Doit m' (t') emporter bientôt Kenavo-o...

en passant par Bro goz va zadou, la Paimpolaise et la Valse brune qu'il chantait en dansant avec sa femme dans le couloir au plancher ciré.

Ancien enfant de chœur passé au laïcisme flamboyant, mon père connaissait tous les can­tiques et, à la fin de sa vie, il les accompagnait, le dimanche, à la télévision. Il ne détestait que les chansons égrillardes, avec sous-entendus grave­leux et allusions au marteau-piqueur. C'était le domaine réservé de mon oncle Jules, qui eût pu faire un bon comique s'il ne s'était contenté de gagner sa vie comme correspondant local de Ouest-Éclair, le quotidien démocrate-chrétien de l'abbé Trochu. Son ambition se satisfaisait des repas de noces. Après s'être fait prier pendant une demi-heure, il fallait le plaquer aux épaules pour l'obliger à se rasseoir. Un de ses grands suc­cès évoquait l'emménagement d'un nouveau locataire et le refrain commençait par :

Encore, encore un petit effort

Même en n'étant doué que d'une imagination limitée, on devine toutes les variations qu'un pareil thème pouvait permettre. La mariée rosis­sait sous ses voiles. Le marié allumé comme un fourneau, promenait sur l'assemblée un regard triomphant. L'avenir était à lui. Surtout s'il ne continuait pas, sur le même rythme, à se donner du courage au mascara 14.

Mon père, il y avait longtemps qu'il était dans les jardins, à fumer ses cigarettes roulées au papier Job, si grosses qu'elles craquaient, ce qui nécessitait des rustines, toujours avec du Job, un zouave qui me fascinait.

Les chansons qu'il préférait étaient les chansons révolutionnaires. Il me les a toutes apprises, à la réprobation muette mais significative de ma grand-mère. Je m'en souviens encore :

Premier mai, c'est le renouveau.

Comme la sève monte à l'arbre,

L'esprit aussi monte au cerveau...

ou :

Plus de guerre,

Guerre à la guerre,

Tremblez potentats souverains.

Le peuple n'est pas un bétail humain

C'est lui qui régnera demain.

ou..

Salut, salut à vous,

Brave piou-piou du dix-septième.

avec le couplet magnifique et les deux rimes riches comme Crésus :

La patrie c'est d'abord sa mère,

C'est celle qui vous a donné le sein;

Il vaut mieux aller aux galères

Que devenir son assassin...

que chantaient pieusement ceux qui, la minute d'avant, avaient entonné :

Déclare la grève des mères,

Arrête ta fécondité,

Au bourreau crie ta volonté,

Défends ta chair, défends ton sang;

Guerre à la guerre et aux tyrans !

Un après-midi de mai 68, boulevard Mont­martre, debout sur un banc, tandis que défilait devant nous une manifestation sans chanson, Jean-Marie Le Pen et moi nous leur avons chanté l'Internationa­le, tous les couplets, dont ils n'en connaissaient pas un !

L'engagement politique de ma mère, en chan­sons tout au moins, était moins virulent. Elle n'allait pas plus loin que le Temps des cerises. Grave, dodelinant légèrement de la tête, avec dans ses jolis yeux noisette une lumière qui n'était pas que de ce monde, elle interprétait avec sensibilité le couplet sur la Commune :

C'est de ce temps-là que je garde au coeur

Une plaie ouve-èr-te.

Et Dame Fortune, en m'étant offerte

Ne pourra jamais calmer ma douleur...

Généralement elle préférait du Delmet, et d'abord La Petite Église, peut-être parce qu'elle s'était mariée civilement :

Je sais une église au fond d'un hameau

Dont le fier clocher se mire dans l'eau

Dans l'eau pure d'une fontaine...

Et je l'entends encore, à l'unisson avec mon père dans :

Femme, que vous êtes jolie

Quand vous avez seize printemps

Et que vos grands yeux innocents

Sur chaque chose s'extasient...

C'est à ma grand-mère maternelle que je dois mes premiers chants blancs, et c'est d'abord :

Prends ton fusil, Grégoire,

Prends ta gourde pour boire,

Prends ta vierge d'ivoire.

Nos messieurs sont partis Tirelii...

Pour chasser la perdrix !

A dix-huit ans, à la Taverne, je l'envoyais plein pot, avec toute la gomme, pour énerver les franc-macs, saucissonneurs du vendredi saint, qui fréquentaient l'établissement. Ma mue avait commencé.

A la pointe extrême de la Bretagne bretonne, le folklore français nous avait été transmis. J'ai l'impression d'avoir toujours su Compagnons de la Marjolaine, Trois jeunes tambours, Il pleut ber­gère, On va leur percer le flanc, Halte-là, Les Montagnards sont là, Minuit Chrétiens, Sur le pont d'Avignon, Y'avait dix filles dans un pré, etc.

Et, un peu plus tard, tout de même : Trois Orfèvres à la St Éloi. Il n'y a que la Marseillaise à laquelle j'ai toujours été rebelle, pour une raison toute simple : quand j'étais "à gauche" on ne la chantait pas et j'ai cessé d'être de gauche, il y aura cinquante ans l'an prochain, pour devenir un contre-révolutionnaire intransigeant, ce qui interdit même de la fredonner. A la fin des réu­nions, quand vient l'heure de l'hymne national, debout et muet sur l'estrade, ça ne donne pas l'air malin.

L'été, quand le poisson donnait et que les forêts de mâts et de voiles brunes poussaient dans la haie, les femmes d'usine travaillaient des seize et dix-huit heures par jour, jusqu'à tomber sur les bancs, évanouies de fatigue. Cependant les conserveries (plus de trente en ce temps-là; il doit y en avoir deux aujourd'hui) bruissaient de chansons, entre autres celle de la ville dont les armes officielles sont... » d'hermine à trois haches d'armes de gueules en pal » et l'emblème du filet bleu. Tard le soir, les sardinières rentraient en bandes, pour éviter les mauvaises rencontres. On entendait de loin le tap-tap de leurs socques de bois sur la route et leurs voix fraîches dans le silence de la nuit. Souvent il y avait une voix seule, la plus pure qui s'élevait :

Il était un petit navire... et le chœur reprenait :

Il était un petit navire.

Porté par le vent d'amont, le chant se glissait dans les maisons et le sommeil, mêlé au grondement obstiné de la mer.

Tout cela a disparu. Le pays a perdu ses chan­sons. J'en ai pris conscience un dimanche, au Parc des Princes. Je revenais de Cardiff: J'y avais vu un match de rugby époustouflant, Pays-de­Galles - France, dans la pluie, la boue, la tempête d'ouest et les chœurs dont le Hen Wlad fy Nha­dau (notre Bro gozh) : prodigieux.

Au Parc c'était du foot. Ce stade était bourré, avec des gens assis sur les marches des gradins. J'ai oublié les équipes en présence. Je n'ai que le souvenir de la Marseillaise beuglée avec trois mesures de retard sur la fanfare et des deux scies qui exprimaient l'âme collective de trente mille français :

Allez, allez, alle-ez les bleus... sur l'air de l'Ave Maria.

Et sur celui d'une marche militaire améri­caine...

Ah oui, tu sens bien

Qu'on t'y a mis...

Il s'agissait du but que nous venions de marquer.

Après l'Arm's Park sonore comme une cathé­drale du moyen-âge, le contraste était pitoyable et terrible. Sur le terrain du vieux Parc des Princes, plus d'un tiers des joueurs n'était pas d'origine française. Dans les tribunes la moitié des accents et des visages n'était pas français. Comment aurait-on pu espérer qu'on chantât en français de vieilles chansons françaises ? A l'au­tre moitié on n'avait pas appris (ou l'on n'avait pas voulu apprendre) à chanter ensemble. Nous avions cessé d'être un peuple qui pouvait mettre en commun le pain, le vin, le passé, et les chansons. Les signes extérieurs sont parfois trompeurs. Mais il est rare qu'on les néglige sans abandon­ner ce qu'ils exprimaient.

Pour que les Français reprennent conscience que la France est leur bien commun, il serait important de leur apprendre à nouveau les mêmes chansons pour qu'ils puissent chanter ensemble. Quand on ne partage ni les paroles, ni la musique, il est difficile de trouver le chemin du cœur. C'est ce que tente, je crois, Bernard Ro­main Marie Antony. Cela ne surprendra pas ceux qui ont vu de Notre-Dame de Paris à Notre-Dame de Chartres ses garçons et ses filles commu­nier dans les prières et les chansons.

 

FRANÇOIS BRIGNEAU - 1988

09:42 Publié dans François Floc'h | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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