vendredi, 15 septembre 2023
Le caillou russe dans la chaussure des nationalistes
Jean-Dominique Merchet
Une Union Européenne d’extrême droite ? « ll est grand temps de commencer à réfléchir à cette possibilité qui a longtemps paru inconcevable, voire contradictoire », lance Hans Kundnani, dans la revue Le Grand Continent. Chercheur à la Chatham House à Londres, celui-ci juge que « la composante ethnico-culturelle de l’identité européenne pourrait supplanter l'idée civique de l'Europe ».
A l'échelle du continent, la majorité politique pourrait en effet basculer nettement plus à droite, aussi bien au Parlement de Strasbourg, avec les élections européennes de juin prochain, qu’au Conseil européen, en fonction des prochains scrutins nationaux (Slovaquie, Pologne, Luxembourg, Pays-Bas et éventuellement Espagne). L'idée d’une UE « forteresse », protégeant les nations contre l'immigration et défendant les valeurs traditionnelles, gagne en popularité, alors que le Brexit a montré les limites du «take back control » au seul niveau national.
Au sein des droites européennes, le clivage pour où contre l’UE devient de moins en moins pertinent. Il en subsiste un autre : la politique étrangère avec d’un côté, les nationalistes proaméricains (pro-Otan, pro-Ukraine) et de l’autre, les souvérainistes favorables aux thèses de la Russie. Toutefois, « suite à l'agression russe contre l’Ukraine, cette division pourrait être surmontée et un bloc plus large pourrait émerger —le poutinisme n’est plus une option viable dans l’Europe civilisée », constate l’Allemand Klaus Welle, l’ancien secrétaire général (CDU) du Parlement européen, dans le même Grand Continent. En la matière, « la poutre n’a pas fini de travailler », comme le disait Edouard Philippe à propos de la recomposition politique française.
Résistance. Les courants plus ou moins compréhensifs avec la Russie restent toutefois puissants. Ils ont récemment obtenu le renfort de Nicolas Sarkozy et sont au pouvoir en Hongrie, avec Viktor Orban. Les regards se tournent vers la Slovaquie, où des élections auront lieu le 30 septembre. Le parti Smer de Robert Fico est en tête des sondages. Officiellement «social-démocrate », il s’agit d’une formation populiste pro-Kremlin. En Allemagne, le parti d'extrême droite AfD, à plus de 20% dans les intentions de vote, ne veut plus rompre avec l’UE (Dexit), mais reste très favorable à la Russie, comme l’est la Ligue de Matteo Salvini en Italie.
Néanmoins, il est de plus en plus dificile de s’aligner derrière Moscou, sauf à accepter sa marginalisation politique. On l’a vu lors des « Rencontres de Saint-Denis » entre Emmanuel Macron et les dirigeants des partis politiques français. Dans ses conclusions, le chef de l’Etat à fait état d’ « un soutien unanime à l’Ukraine et d’une condamnation claire de l’agression russe ». En France, le RN est traversé de sensibilités contradictoires. Jordan Bardella, qui met désormais en avant le concept de « puissance » penche pour une ligne moins prorusse, sur le modèle de l'italienne Giorgia Meloni, très engagée pour la cause ukrainienne et l'aliance avec les États-Unis. Là encore, les choses bougent : Meloni était récemment l’invitée d'honneur d’une conférence à Budapest, organisée parle parti d'Orban, alors que les deux dirigeants, de sensibilité politique proche, divergent sur le dossier ukrainien.
Un « consensus de Bruxelles », où PUE et l’Otan ont leurs sièges, semble ainsi se dessiner au sein des droites et des extrêmes droites européennes : pour espérer accéder au pouvoir (en coalition), il leur faut accepter d'inscrire leur action dans ce cadre géopolitique. Quitte à garder sa liberté de parole, voire de nuisance, en fonction de ses propres intérêts nationaux. Mais sans jamais aller jusqu’à la rupture.
Source :L’Opinion 15/9/2023
11:58 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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