mercredi, 14 mai 2025
La France n’a pas besoin de plus d’immigration
Nicolas Pouvreau-Monti *
Le think tank de gauche Terra Nova a publié une note affirmant la nécessité de " recevoir 310 000 nouveaux immigrés par an à l’horizon 2040-2050". Faux lui répond le directeur de l’Observatoire de l’immigration.
« On ne change pas une recette qui rate ». Tel semble être le leitmotiv de la nouvelle étude publiée par le think tank Terra Nova ce lundi 12 mai, signée par l’esayiste Hakim El Karoui et l’économiste Juba Ihaddaden, intitulée « Les travailleur immigrés : avec ou sans eux ?. Son propos central est connu et souvent répété : dans un contexte de vieillissement démographique » et avec les enjeux de renouvellement de la population active qui lui sont associés, « le recours à la la main-d’œuvre étrangère sera décisif dans les années qui viennent ». Ses auteurs avancent en particulier, la nécessité de « recevoir 310 000 nouveaux immigrés par an à l’horizon 2040-2050.
Cette étude soulève plusieurs interrogations - d’abord par ses approximations méthodologiques qui laissent songeur, tant elles semblent parfois dévier l’ensemble de la démonstration. Pour arriver au nombre des installations nécessaires d’immigrés, la note procède « en considérant que le taux d’activité de la population immigrée est le même que celui de la population française des 15-64 ans ». Sauf que... ce n’est absolument pas le cas. Le taux d’activité des étrangers extérieurs à l’Union européenne - ceux concernés par la politique d’immigration que l’étude entend aiguiller - est, en France, inférieur de quasiment 10 points à celui des Français. Il est même l’un des plus faibles parmi l’ensemble des pays de l’UE : seules la Bulgarie, la Belgique et la Hongrie connaissent de plus mauvais résultats pour les ressortissants extracommunautaires sur leur sol.
Ce qui compte pour la santé d’une économie et d’un système social est moins la part des actifs que celle des actifs occupés, c’est-à-dire les personnes qui sont en emploi (les chômeurs étant aussi décomptés comme des actifs). Or, à peine la moitié (55%) des étrangers extra-européens en âge de travailler occupent effectivement un emploi en France – soit 14 points de moins que les Français. Rien de tout cela ne semble pris en compte dans les estimations chiffrées de l’étude, si ce n’est par de vagues appels à « flécher davantage l’immigration vers l’activité économique ». Comment y parvenir, alors que sur dix titres de séjour actuellement valides, un seul relève d’un motif économique ? Alors que l’immigration de travail génère nécessairement d’autres flux décorrélés des besoins économiques, par l’intermédiaire du regroupement familial (que Terra Nova n’entend pas remettre en cause) ?
L’étude de Terra Nova cherche à faire feu de tout bois – même mal coupé – pour étayer sa thèse de départ. Plusieurs parties de l’étude semblent relever de ce qu’il faut bien appeler un bricolage statistique. Il en va ainsi du chapitre intitulé « Quand les immigrés financent la protection sociale, le cas de la Seine-Saint-Denis». Comment le 93 se retrouverait-il sur-contributeur social ? « Parce que la Seine-Saint-Denis est dynamique sur le plan économique, qu’elle reçoit beaucoup d’investissements, que beaucoup de salariés viennent y travailler le jour, même s’ils n’y vivent pas (par exemple à Roissy-Charles de Gaulle) ou dans les sièges sociaux de la Plaine Saint-Denis ». Le fait que des personnes, qui n’y habitent pas, viennent travailler physiquement pour des entreprises situées dans un territoire dont 70% de la population n’est pas immigrée ferait donc la démonstration que... « les immigrés financent la protection sociale ».
Si l’on quitte cette déformation géographique pour l’échelle des individus, en mettant de côté les prestations de retraite – corrélées à l’âge – et les allocations chômage – qui concernent plus fortement les immigrés mais résultent d’une cotisation préalable –, les constats sont sans appel : le montant annuel moyen des prestations sociales perçues par les immigrés est le double de celui perçu par les personnes sans ascendance migratoire (Insee 2019). Le taux de pauvreté des immigrés est près de trois fois plus élevé que celui des non-immigrés (Insee 2021); leur taux d’emploi est nettement inférieur (Insee 2023) ; leur état de santé est aussi nettement moins bon. Dans un tel contexte et une fois gommé l’effet conjoncturel de l’âge – car les immigrés vieillissent comme les autres –, il n’existe pas de scénario réaliste d’une contribution positive de l’immigration aux finances publiques.
L’objectif affiché par Terra Nova apparaît louable de prime abord : « maintenir le ratio de soutien entre actifs et inactifs à un niveau raisonnable (...) qui permette de pérenniser notre modèle social ». Or, même dans un scénario hypothétique où l’immigration reçue présenterait des niveaux d’activité et d’emploi satisfaisants (ce qui ne correspond nullement à la situation de la France), il s’agirait d’une course sans fin, vouée à reprendre dès que les actifs importés atteindraient l’âge de la retraite. Le chercheur néerlandais Jan Van de Beek parle même, à ce sujet, d’une véritable « pyramide de Ponzi démographique ». Les Nations unies, dans leur exercice de projection de la population mondiale mené en 2000, ont estimé les flux migratoires qui seraient nécessaires pour stabiliser le rapport entre population d’âge actif et de plus de 65 ans dans les pays développés. En France, un tel objectif aurait nécessité une immigration nette de... 90 millions de personnes sur la première moitié du XXIe siècle.
Enfin, et même dans la projection abstraite d’une immigration largement au travail, une économie moderne devrait se garder des effets corrosifs d’une dépendance trop marquée à la « main-d’œuvre étrangère » – pour reprendre les termes quelque peu surannés de Terra Nova, qui attestent d’une certaine persistance rétinienne des Trente Glorieuses. Cette situation dissuade les investissements en capital, qui permettent d’améliorer la productivité (et d’économiser de la main-d’œuvre).
Certains secteurs globalement protégés de la concurrence internationale – la restauration, les services à la personne, le gardiennage et la sécurité... – peuvent s’en satisfaire à titre transitoire. Mais pour les autres, jetées dans le bain de la mondialisation, qui doivent préserver ou faire croître leur productivité et leur capacité d’innovation, l’enjeu est tout autre. Il s’agit de repenser en profondeur les modes de production, voués à devenir moins intensifs en main- d’œuvre, portés par la révolution de l’intelligence artificielle et les capacités d’automatisation qui en découlent. L’avenir de l’économie française est là, plutôt que dans les faux-semblants de Terra Nova.
(*) Directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie
Source : Le Figaro 14/5/2025
11:24 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |
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