jeudi, 30 octobre 2025
Le cauchemar du Louvre
Françoise Monestier, Polémia cliquez là
Après le vol honteux des joyaux impériaux au Louvre, Françoise Monestier – journaliste à la plume acérée que les lecteurs de Polémia connaissent bien et apprécient – dénonce les multiples dérives du premier musée du monde.
Polémia
« Le Louvre est une des cartes de visite de la France », claironnait Laurence des Cars quelques jours après un somptueux dîner de gala organisé le 4 mars dernier en marge de l’exposition Louvre Couture, qui a fait dialoguer pendant plus de six mois — et pour la première fois — mode et objets précieux. Le tout avec la bénédiction et la collaboration financière des grandes maisons de luxe que sont Vuitton, Chanel, Dior et Balenciaga. Elles avaient répondu présentes à l’appel de la petite-fille de l’écrivain Guy des Cars qui, à l’occasion de ce raout de prestige, engrangea la coquette somme de 1,5 million d’euros de dons. Une belle somme certes, mais une goutte d’eau dans la mer pour une chercheuse de fonds en quête perpétuelle de sous à mettre dans la cassette du premier musée du monde.
Huit mois plus tard, et après le spectaculaire braquage dominical du 19 octobre, la carte de visite est sérieusement écornée, n’en déplaise à Rachida Dati qui, dans un premier temps, avait balayé d’un revers de main l’événement et ne reconnaissait aucune faille dans le dispositif de sécurité avant — lors d’une audition devant le Sénat — de reconnaître que ce « cambriolage est un échec pour le Louvre ». De son côté, Laurence des Cars s’est contentée de qualifier « d’incident » ce vol spectaculaire avant d’affirmer que les systèmes de sécurité du Louvre fonctionnaient parfaitement, mais qu’il fallait d’abord et avant tout lutter contre la diffusion de fausses informations auxquelles il était urgent de faire la chasse. Et ne parlons pas d’Emmanuel Macron, qui se moque du tiers comme du quart de la sécurité dans les musées, lesquels ne sont pour lui qu’une façon de promouvoir sa vision du monde. Ainsi, en mars 2018, lors d’une réunion au musée Picasso à laquelle il avait convié le gratin muséal parisien, il avait osé dire : « Celles et ceux qui s’occupent des musées pourraient être considérés comme conservateurs. Je veux croire le contraire. » Sept ans plus tard, ses vœux se sont réalisés avec une Laurence des Cars qui confond patrimoine et business d’entreprise.
Sauver le système
Après une semaine de flottement et l’arrestation de deux des quatre auteurs de l’attaque, les conservateurs des grands musées de France et du vaste monde — du musée du Prado au Metropolitan Museum, en passant par le British Museum et le musée Guggenheim — se sont fendus d’une tribune dans Le Monde pour endiguer les flots de critiques venues du monde entier et apporter un soutien franc et massif à Laurence des Cars. Ils ne pouvaient évidemment pas choisir Le Figaro, qui a ouvert ses colonnes aux orphelins du Louvre et à Didier Rykner, l’infatigable animateur de La Tribune de l’Art, qui défend contre vents et marées notre patrimoine et a contredit point par point la défense de Laurence des Cars, en précisant que, depuis maintenant plus de trois ans, les rapports d’activité du musée ne font nullement mention des problèmes de sécurité du site, superbement oubliés par une patronne qui a très bien su faire aménager une salle à manger privée pour la coquette somme de 490 000 euros et a convaincu Macron de la nécessité de lancer de grands travaux pour le projet « Renaissance du Louvre ». Ainsi, le 28 janvier dernier, tenait-il très longtemps le crachoir promettant « sécurité et sûreté des collections ». On connaît la suite.
Dans cette courte tribune du Monde, les signataires constatent que « leurs institutions ne sont pas épargnées par la brutalité du monde », mais que « les musées ne sont ni des bastions, ni des coffres-forts ». Certes, et il est vrai que l’intrusion d’une bande d’écologistes fous armés d’instruments contondants ou de pots de peinture rouge afin d’endommager un tableau — comme cela fut le cas en janvier 2024 au Louvre, où la Joconde fut aspergée de soupe au potiron — a de quoi refroidir n’importe quel conservateur de musée. Même chose quand des voleurs mandatés par des gangs ou des collectionneurs font main basse sur des tableaux ou des tabatières de grande valeur, comme récemment à Cognacq-Jay, ou chouravent des porcelaines chinoises rarissimes au musée de la Porcelaine à Limoges. Ces spécialistes du patrimoine oublient tout simplement, dans leur tribune, de poser la question de la recrudescence des vols et d’évoquer la folie écologiste. Ils se contentent de faire dans le bon sentiment, histoire de ne pas braquer — c’est le cas de le dire — les bien-pensants. Est-ce parce que la tribune de soutien à Laurence des Cars l’a rassurée que Rachida Dati a eu un mot de trop en visitant le nouveau siège de la Fondation Cartier, installé à une portée d’encablure du Louvre, rue de Rivoli ? S’arrêtant devant une vitrine, elle a eu le culot de dire à la cantonade : « La vitrine, elle est sécurisée ? » croyant sans doute faire un bon mot. Après l’humour yiddish, la rigolade berbère… Il est vrai que la dame nous a habitués depuis longtemps à ce genre de comportement.
Des propos de tricoteuse
Fidèle à son habitude, Le Monde a eu le mauvais goût, dans un de ces éditoriaux dont il a le secret, de tomber à bras raccourcis sur tous ceux qui ont déploré le pillage dominical et se sont sentis dépossédés, comme si on leur avait volé une partie de leurs biens et de leur mémoire. Ajoutez à ces réactions les propos de Marine Le Pen (« une nouvelle épreuve pour notre pays ») ou d’Éric Ciotti (« une France en décadence »), et vous comprendrez que l’auteur de l’éditorial, Michel Guerrin, par ailleurs rédacteur en chef du quotidien détenu par Mathieu Pigasse et Xavier Niel, ait pu écrire : « La France républicaine n’envoie pas ses écoliers communier devant des joyaux désuets. » Alors comment expliquer l’émoi et la tristesse provoqués par ce vol chez des millions de Français regrettant une nation humiliée et incapable de protéger ses trésors et sa population des attentats, meurtres et autres attaques contre des églises catholiques ? Au passage, il se fait une joie de citer l’article de Jonathan Jones, paru dans The Guardian, et qualifiant de « bibelots royaux sans intérêt » les bijoux tombés dans l’escarcelle des voleurs.
Une wokiste avant la lettre
En 2021, Laurence des Cars devenait l’heureuse élue choisie par Macron pour diriger le Louvre, après avoir sévi au musée d’Orsay où elle organisait, en 2019, une exposition sur le thème Le modèle noir, de Géricault à Matisse. Au même moment — simple coïncidence ? — le musée d’Art moderne de New York mettait momentanément la clef sous la porte afin de « décoloniser » ses collections et d’offrir un espace de plusieurs milliers de mètres aux œuvres de femmes et d’artistes de couleur. La patronne d’Orsay affirmait vouloir « rendre compte des changements de regard sur une histoire tragique ou lumineuse ». Le ton était donné. Lilian Thuram, Pascal Légitimus, le rappeur Abd al Malik, qui présenta un spectacle dans l’auditorium d’Orsay, et l’inévitable Pap N’Diaye étaient dans le coup pour dire tout le mal qu’ils pensaient de la colonisation. Dans le catalogue de l’exposition, Lilian Thuram déversa son fiel sur la vision, par les Blancs, de ses lointains ancêtres immortalisés par Géricault, Manet, Puvis de Chavannes ou Nadar. Pascal Blanchard, spécialiste du fait colonial, était aussi dans le coup, tout comme l’Afro-Américaine Denise Murrell, qui obtenait de Laurence des Cars que certaines œuvres soient renommées « au regard de l’évolution de la société ». Ainsi, Le Portrait d’une Négresse, peint en 1800 par Marie-Guilhelmine Benoist, devenait Portrait de Madeleine.
Quel meilleur viatique que cette « décolonisation des arts et du regard » pour taper dans l’œil d’un président qui souhaitait depuis longtemps faire entrer les débats de société dans les musées ? Tout comme les malfaiteurs, d’ailleurs.
C’est ainsi que cette spécialiste du XIXᵉ siècle, à l’allure austère, appartenant à la vieille noblesse militaire de notre pays, devenait la candidate idéale pour déstructurer le Louvre et lui insuffler la dose de wokisme nécessaire, tout en restant dans les clous de la bienséance. Elle comblait les vœux d’un président qui, contre l’avis des experts, entreprit de changer les vitraux de Viollet-le-Duc à Notre-Dame avant de vouloir faire traverser la Manche à la Tapisserie de Bayeux.
À peine arrivée dans l’ancien château de Philippe-Auguste, la nouvelle présidente du musée introduisait, dans une première exposition consacrée à l’histoire de la nature morte, une dose d’art contemporain en associant à l’événement un plasticien camerounais qui exposa un empilement de baluchons africains censés représenter les migrants. Le titre de l’œuvre ? Le Pilier des migrants. Tout est dit. Rappelons également qu’elle a entièrement refait et élargi le département des arts de l’Islam… qui datait de moins de quinze ans.
Enfin dans La Gazette Drouot du 31 octobre, on peut lire sous la plume de Vincent Noce qu’un « espace destiné dans le schéma directeur à accueillir le nouveau PC de sécurité a finalement été aménagé en résidence d’artiste ». Sans commentaires.
Une histoire ancienne
Le vol des huit bijoux dérobés au nez et à la barbe des services de surveillance rappelle le cambriolage commis dans la nuit du 16 au 17 septembre 1792, en pleine tourmente révolutionnaire — et alors que les massacres de septembre faisaient une véritable hécatombe — au Garde-Meuble national, qui abritait les Joyaux de la Couronne saisis à Versailles un an plus tôt. Une bande de voleurs professionnels profita d’un manque de surveillance de l’endroit — mêmes causes, mêmes effets, 336 ans plus tard — et s’empara de plus de 9 000 pierres précieuses. Certains bandits partirent pour Londres tandis que d’autres étaient arrêtés et fusillés. Deux ans plus tard, la plupart des joyaux furent retrouvés. Un grand absent dans l’affaire cependant : le fameux diamant Bleu — le plus grand diamant bleu du monde — qui avait tapé dans l’œil de Louis XIV en 1668. Certains historiens comme Pierre Dominique ou des écrivains comme Michel de Grèce, dans son livre Le Vol du Régent, estiment que le « Bleu » aurait servi de monnaie d’échange avec le duc de Brunswick, qui avait envahi la France et voulait le retour de la monarchie dans notre pays. Les chefs de la Révolution, et notamment Danton, auraient orchestré le vol des joyaux afin de soudoyer l’Autrichien et de lui proposer le Bleu contre leur victoire à Valmy le 20 septembre 1792. Une victoire qui permettait aux révolutionnaires d’asseoir leur pouvoir. Retaillé, le fameux diamant réapparaîtra près d’un siècle plus tard.
Cette collection des Joyaux de la Couronne, commencée par François Iᵉʳ en 1530, avait été considérablement augmentée par ses successeurs et, après la fureur révolutionnaire, par Napoléon. Mis à l’abri pendant la guerre de 1870, les Diamants de la Couronne furent exposés en 1878 à l’occasion de l’Exposition universelle. Les mauvaises habitudes reprennent en 1882 lorsque le député Raspail, par haine de la monarchie, déposa une motion proposant la vente des Diamants de la Couronne. La loi d’aliénation de 1886, signée par le président de la République Jules Grévy et le ministre des Finances Sadi Carnot, stipulait que ces derniers seraient vendus aux enchères publiques, le produit de la vente étant converti en rentes d’État. Cette sinistre vente se déroula au Louvre — ironie du mauvais sort — du 12 au 23 mai 1887. Ce fut un échec financier retentissant auquel s’ajoutait une perte de la mémoire nationale et de l’héritage français. Bref, un échec républicain — comme celui du 19 octobre —, qui a vu se déliter un peu plus un patrimoine national partant en lambeaux sous les coups de boutoir de ceux qui veulent l’instauration d’une nouvelle société.
11:51 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) |
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