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mercredi, 26 août 2015

Vous avez dit Le Pen ?

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Gabriel Matzneff Le Point cliquez ici

J'allume la radio. Jean-Marie Le Pen parle. Une heure et demie d'entretien où sont abordés les sujets les plus sérieux. Jusque-là, rien que de très banal, tous les hommes politiques font ça, c'est leur métier.

Ce qui n'est pas banal, c'est qu'à la fin de l'interview, en grande forme, Jean-Marie Le Pen a, impromptu, récité un poème de Charles d'Orléans, puis, dans la foulée, chanté une chanson de corsaires. L'écoutant, je songeais : qui, parmi les hommes politiques de sa notoriété, serait capable d'une telle liberté, d'une pareille spontanéité ? En Italie, Berlusconi et Pepe Grillo. En France, je n'en vois guère. On n'imagine pas Hollande ou Sarkozy, ou encore Juppé, dans un tel exercice. Peut-être Mélenchon.

Le Pen en maillot de bain

J'apprécie Mélenchon, je l'ai voté en 2012, mais je ne le connais pas. En revanche, je connais bien Le Pen, depuis l'époque où, publiant mes premiers livres, je buvais force whisky au bar du Pont-Royal en compagnie d'Antoine Blondin, de Jacques Laurent, de Roland Laudenbach, de Jacques de Ricaumont, de Jean-Marc Varaut et, parfois, de Jean-Marie Le Pen qui, à l'époque, directeur d'une maison de disques, la Serp, située rue de Beaune, à côté donc de Gallimard et de La Table ronde, était, lui aussi, un habitué de ce célèbre bar aujourd'hui disparu. J'avais même, le 29 décembre 1966, à la une de Combat, écrit un article enthousiaste intitulé « Vive l'Empereur, monsieur ! » sur l'un des disques de la Serp, consacré aux marches militaires de la Russie impériale.

Les journalistes qui écrivent des biographies de Jean-Marie Le Pen ne me consultent jamais. Ils ont tort. Le président d'honneur du Front national et moi, outre nos nombreux amis communs, morts ou, grâce à Dieu, bien vivants, nous avons eu la même manucure, une jolie Finlandaise prénommée Margareta, le même diététicien, et peu d'écrivains français peuvent se flatter d'avoir, comme moi, dans une piscine, en maillot de bain, chanté en chœur avec Jean-Marie Le Pen « Étoile des neiges, mon cœur amoureux » à une jolie blonde qui, au bord de ladite piscine, admirait nos évolutions aquatiques.

Le Saint-Graal

Vous me l'accorderez, une telle complicité, ça crée des liens. Un jour, à la fin des années 1970, mon ami Christian Cambuzat, le célèbre nutritionniste qui, en Suisse, faisait perdre ses kilos surnuméraires à la chanson – de Johnny Hallyday à Guy Béart – et à la littérature – de Frédéric Dard à Bibi, m'avait dit :

« Vous qui connaissez Jean-Marie Le Pen, conseillez-lui de venir chez moi. Il doit mincir, changer de style, d'allure, à la télévision il apparaît col ouvert, débraillé, cela déplaît aux femmes. » Je n'étais pas assez intime avec Le Pen pour lui dire directement que Cambuzat le jugeait trop gros, mais je confiai le message à deux des amis nommés ci-devant et, quelques semaines plus tard, Le Pen suivait sa première cure dans ce haut lieu du bien-être que, dans mes romans, je nomme Saint-Graal, et dont il allait devenir, comme moi, l'un des plus fidèles pénitents.

Tout le monde se souvient de l'apparition publique de Le Pen après cette fameuse première cure chez Cambuzat. Mince, élégant, il était comme métamorphosé.

Les infréquentables

Parfois, après notre frugal dîner dans notre monastère du Mont-Pélerin, nous étions, Jean-Marie Le Pen et moi invités à passer la soirée chez les Cambuzat, Christian et son adorable jeune femme, Dominique. Nous causions, cela va de soi, des bienfaits des protéines et des méfaits du sucre, de la stratégie de la minceur (titre du livre que Cambuzat publiera en 1994 chez Lattès), mais aussi de bons vins, d'art, de voyage et même de politique.

Je me souviens d'une de nos soirées à l'époque du traité de Maastricht. Les propos que nous tint Jean-Marie Le Pen étaient la raison même, la justesse même, l'avenir allait nous le prouver, et ce soir-là je pris conscience à quel point était absurde l'image d'excité extrémiste que la presse purée de droite et de gauche s'appliquait à donner de lui.

Dans la vie française, en littérature comme en politique, il y a les gens qui sont blanc-bleu, les bien-pensants, les vertueux ; et puis il y a les sulfureux, les infréquentables. Jean-Marie Le Pen fait partie de ces derniers. Même si je n'avais pas déjà des raisons personnelles d'avoir de l'amitié pour cet homme, son éternel statut d'excommunié suffirait à me donner l'envie de le défendre, et quand il a raison (en ce moment sur la Russie, par exemple), de l'applaudir.

17:49 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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