vendredi, 19 février 2016
Un entretien entre Pierre Cassen de Riposte laïque et le dessinateur Pierre Pinatel
Source Riposte laïque cliquez ici
Quand De Gaulle m’a poursuivi, Faizant, Effel et Moisan m’ont soutenu...
Nous poursuivons les entretiens divers et variés avec des personnalités toutes plus passionnantes les unes que les autres. Ce jour, Pierre Cassen a rencontré Pierre Pinatel, le plus ancien dessinateur de l’Hexagone, qui nous raconte, avec des anecdotes passionnantes, et beaucoup d’humilité, 60 ans de carrière…
Riposte Laïque : Dans un récent entretien à notre site, David Miège vous a présenté comme le plus ancien dessinateur de la profession. Quelle a donc été votre carrière ?
Pinatel : En matière artistique, je ne pense pas que la prime d’ancienneté soit une valeur ajoutée. On a simplement un peu plus de recul pour regarder les choses.
Je suis monté de mon Lubéron natal en 1951. J ‘ai débuté par deux affiches anticommunistes pour le mouvement PAIX et LIBERTE, que dirigeait le député radical Jean Paul DAVID. Puis après service militaire et petits boulots divers de survie comme tous les provinciaux venus tenter leur chance dans la capitale, je suis entré à DIMANCHE matin, petit hebdo que venait de lancer Roger CAPGRAS et presque simultanément au très sérieux quotidien COMBAT. C’est dire que cette époque était moins sectaire et conformiste qu ‘aujourd’hui : A DIMANCHE matin, je côtoyais Pierre-Antoine COUSTEAU et Lucien REBATET, tandis qu’à COMBAT, le rédacteur en chef Max ZETLAOUI, qui aimait mes dessins et m’avait pris en amitié, m’avait imposé au directeur Henri Smadja, qui aurait préféré conserver à COMBAT le caractère austère et sans illustration qu’avait alors LE MONDE, son concurrent dans le style sérieux. Plantu n’était pas né.
Et puis j’ai enchaîné à AUX ECOUTES de Paul LEVY, au CHARIVARI de Noël Jacquemart , à JOURS DE FRANCE du général de Bénouville, et à VALEURS ACTUELLES de Raymond Bourgine, et enfin à MINUTE. Jean François DEVAY et Jean BOIZEAU me confièrent la dernière de couverture que mon PINATELESCOPE occupa près de quinze ans avant d’être transplanté à NATIONAL-HEBDO où Roland Gaucher le conserva plus de huit ans, jusqu’à sa mort suivie de peu par la disparition du titre lui même. Entre-temps, dès 1962, me sentant plus à l’aise chez moi que chez les autres, j’avais créé ma propre revue dessinée LE TRAIT, dont GALTIER-BOISSIERE qui reprenait souvent mes dessins dans son CRAPOUILLOT, tint à être un des premiers abonnés. Son chèque était le plus précieux autographe.
Et c’est sous l’enseigne du TRAIT qu’ont été édités la plupart de mes albums.
Parallèlement, j’ai collaboré à la presse quotidienne régionale, DERNIERES NOUVELLES D’ALSACE, Le MERIDIONNAL, LE HAVRE PRESSE, L’EST REPUBLICAIN, LA REPUBLIQUE DU CENTRE, Le TARN LIBRE…
La GALERIE 55, fameux cabaret de Saint Germain des Prés, dont GAULT et MILLAU avaient écrit » une soirée à la Galerie 55 permet de prendre l’exacte température de l’humour à Paris », était dirigée par René Le Gueltel, chercheur passionné de talents nouveaux. M’ayant vu faire un numéro chez des amis, il m’a invité à me produire sur sa scène.
Ce fut le départ d’une carrière bis, qui m’a amené à passer mes soirées dans pas mal de cabarets de l’époque pour y faire le caricaturiste-chansonnier.
Ensuite, mon confrère et ami JANBRUN, numéro 1 de la caricature en évènementiel m’introduisit dans cette branche d’activité qui mit de la margarine, sinon du beurre, dans mes épinards.
Voici pour ma carrière, les curieux trouveront plus de détails concernant mon caricaturiculum vitae sur mon blog « dessins-de-pinatel.fr ». Carrière avec des hauts et des bas comme toutes les carrières artistiques, mais stabilisée par la patience et le soutien d’une épouse professeur de l’Enseignement public.
Quel est votre regard sur l’évolution du dessin politique depuis votre jeunesse jusqu’à ce jour ?
Le dessin a suivi la courbe descendante. Sous la 4e République, la presse, même si son déclin était déjà amorcé, était encore une industrie rentable. Elle était encore un pouvoir. Ce quatrième pouvoir qu’elle se flattait d’être. « Mon fauteuil vaut un trône’ » aimait dire Bunau-Varilla, directeur du MATIN ». Aujourd’hui, non rentable par ses seules ventes aux lecteurs, la presse fait partie du pouvoir .
Donc, plaire au lecteur n’est ni son premier but ni son premier rôle. Il lui faut plaire et SURTOUT NE PAS DEPLAIRE à ceux qui assurent ses fins de mois : PUBLICITAIRES et COMMANDITAIRES. Précaution d’ailleurs inutile. Aucune des personnalités politiques que j’ai rencontrées après les avoir brocardées ne s’est plainte. Georges Bidault, François Mitterrand, Michel Poniatowski, Robert André Vivien, Jean-Marie Le PEN etc… avaient à la fois fois le sens de l’humour et l’intelligence de comprendre qu’une caricature dans la presse, c’est pour le politicien ce qu’est pour le cuisinier une étoile au Michelin. Un signe de reconnaissance .
Actuellement le dessin n’ est plus dans une mise en page qu’un bouche-trou.
Or un dessin a besoin d’espace. Les splendides dessins de FORAIN et CARAN D’ACHE publiés dans leur journal commun « PSSIT » avaient besoin du grand format choisi par PLON. Publiés en format A5 , ils n’auraient pas la puissance et la force qu’ils ont eues.
Je pense que le succès de CHARLIE HEBDO tient à cette option de donner au dessin son espace vital.
Croyez-vous que le dessin, somme toute banal, qui a déclenché l’affaire CHARLIE aurait-eu un tel retentissement s’il avait été publié au format d’un timbre poste, coincé entre 4 colonnes de texte compact ? Le FIGARO publiait en une les dessins de SENNEP, puis les dessins de FAIZANT. Plus rien ensuite. Rendons grâce au MONDE (et à l’Express) de donner au dessin une place de choix.Le dessinateur a besoin de connaître les dimensions de parution de son dessin pour le réaliser en conséquence.
J’ai eu, pour ma part, une chance que peu de confrères ont eue : pendant des dizaines d’années, la page entière d’un hebdo à ma disposition. Avec une liberté quasi-totale.
Qu’a changé pour vous le fait que tout le monde aujourd’hui ait un ordinateur ?
Cela a changé que, désormais hors du circuit de la presse, je peux continuer à me défouler en mettant en ligne mes crobards. Donc une liberté totale, ou presque, car je dois me surveiller et m’auto-censurer. Et puis au lieu de millier (rarement au pluriel) de lecteurs pour mes albums-papier, c’est par dizaines de milliers (largement au pluriel) que les internautes visitent mon site « les dessins-de-pinatel.fr ».
Seul bémol : si les lecteurs-papier savent que tout a un prix, les internautes ne le savent pas encore. Or il faudra bien que les générations futures d’internautes l’admettent. Même l’information a un prix, même l’information libre. Surtout l’information libre. Ne serait-ce que pour faire face aux procès que lui intentent les ligues de « vertu-républicaine ».
Comment avez-vous vécu l’affaire des caricatures du prophète au Danemark en 2006 et les menaces de mort contre les dessinateurs ?
Soljenytsine nous avez prévenus : « Vous entrez d’où nous sortons »
Nous entrons effectivement dans un monde totalitaire pire que le communisme dont nous sommes (momentanément) débarrassés. L’Islamisme (comme on dit pour éviter de dire l’ISLAM) a pourtant annoncé la couleur : Sourate 4,verset 89 : « les infidèles, prenez-les et tuez-les où que vous les trouviez ».
Avez-vous été surpris dans ce contexte de l’exécution de vos confrères de Charlie Hebdo ? Les connaissiez vous bien ?
Surpris, bien sûr. Qui ne l’a pas été ? Mais certainement moins qu’eux-mêmes qui s’attendaient à un commando de curetons les poursuivant, goupillon au poing, devant la justice française. Pas à être chariassassinés à la kalachnikov .
Nous ne fréquentions pas les même salles de rédaction. Je connaissais seulement Wolinski pour l’avoir rencontré dans des festivals de dessins et surtout pour avoir été invité avec lui par la Bibliothèque Nationale à exposer nos points de vue réciproques devant une assemblée d’universitaires passionnés par notre métier. Rencontres très confraternelles. Mais Wolinski n’était plus un jeunot. Je ne suis pas sûr que la confraternité eût été la même avec les jeunes confrères .
J’ai été sous QUIVOUSAVEZ le caricaturiste le plus poursuivi et le plus condamné pour offenses au chef de l’Etat (Pour des dessins dans LE TRAIT, puis pour des cendriers !). A mon procès témoignèrent en ma faveur le gaulliste Jacques FAIZANT, comme le communiste Jean EFFEL et le grand MOISAN du Canard enchaîné. Ce dernier est même venu chez moi pour m’assurer de son soutien. Il était accompagné du chansonnier Charles BERNARD, lui aussi collaborateur du CANARD et qui devint un ami.
Un regret : ne pas avoir connu Cabu, dont on pourrait dire (si l’expression n’avait pas été dévaluée) qu’il était « le meilleur d’entre nous ».
Propos recueillis par Pierre Cassen
Site de Pinatel cliquez ici
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