jeudi, 21 novembre 2019
Demain, la faim ?
Par Perico Légasse
Notre pays a perdu son autonomie alimentaire, faisant craindre de regrettables pénuries. Mais ce n’est pas d’agri-“bashing” dont meurt notre agriculture. Ce néologisme est un leurre inventé par le discours agricole of ciel, porté par le lobby FNSEA. Ou comment faire croire que l’opinion en veut aux paysans alors que c’est le productivisme financiarisé qui est accusé.
Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. » Repris par le général De Gaulle lors d’une conférence de presse après les événements de Mai 68, le titre du célèbre film de Michel Audiard sied comme un gant à l’idée que les Français en voudraient à leur agriculture. Exprimer des doutes sur la pertinence du port du voile en milieu scolaire relevant illico de l’islamophobie, il est normal que s’inquiéter des dégâts que l’industrie agricole globalisée provoque sur l’environnement et la santé relève de l’agri-bashing... Belle formule pour clore un débat opposant les tenants d’une alimentation bonne, propre et juste, respectueuse de la planète, à ceux expliquant, la main sur le cœur, que sans l’aide de l’agrochimie nombre d’agriculteurs, ruinés par la concurrence des pays qui exportent à bas prix, vont disparaître.
Il est vrai que certains médias sont friands du terme et qu’à force de l’entendre à tout bout de champs on pourrait supposer un désamour de l’opinion vis-à-vis du monde agricole. Mais il n’y pas plus d’agri-bashing en France que d’islamophobie massive. A la fois conscients et lucides, informés des dérives d’un système qui conduit l’agriculture à sa perte, les Français font parfaitement la distinction entre ceux qui, tant bien que mal, développent une agriculture durable et ceux qui, soumis à une logique de production dont la FNSEA leur explique depuis quarante ans qu’elle n’a pas d’alternative, s’accrochent à des pratiques nocives. Et les deux mondes de s’affronter jusqu’à ce que la tension arrive à son comble, opposant les doux rêveurs d’une écologie idéologique inadaptée aux réalités du marché, ainsi qu’en décide la doxa libérale, aux pollueurs obsédés par leurs parts de marché financiarisées, ainsi que le résument les intégristes du tout bio. Ajoutons une louche de véganisme pour jeter l’anathème sur les éleveurs qui nous font manger de la viande torturée, sans jamais distinguer ceux qui respectent la nature et leurs animaux de ceux qui ont transformé leur ferme en usine à lait ou à barbaque, et le tour est joué. Amalgame dont use, une fois encore, la FNSEA en se faisant passer pour une victime du dogme écolo tout en donnant l’illusion de défendre la bonne agriculture avec des opérations coups de poing contre les élus LREM lorsqu’il est question du Ceta et de Mercosur.
Agri-bashing ? Non, juste colère citoyenne et ras-le-bol du consommateur de se faire berner par des opérations de propagande « macronique » comme les états-généraux de l’alimentation. Et si, en effet, l’agriculture française prend du retard en durabilité, si tant d’agriculteurs souffrent des mensonges européistes qui les conduisent dans le mur, si les céréaliers continuent à s’enrichir en massacrant les sols, c’est que le gouvernement, à la demande de la FNSEA, a enterré la loi sur l’Agro-écologie votée par le Parlement en octobre 2014. Il n’y a pas d’agri-bashing, il y a le cynisme morbide du discours officiel.
Source, Marianne 21/11/2019
11:28 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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