mercredi, 24 juin 2020
Fallait-il poursuivre la guerre en Afrique du Nord en juin 1940 ?
André Posokhow
Alors que la défaite de nos armées était consommée en France à partir du 11 juin 1940, on peut se demander pourquoi les dirigeants de notre pays n’ont pas fait le choix et pris la décision de poursuivre la lutte outre-mer à partir de l’Afrique du Nord française (AFN) : Algérie, Maroc et Tunisie, en s’appuyant sur notre grand Empire africain.
Les arguments forts et le plus souvent invoqués en faveur de la poursuite de la lutte en AFN.
Cette question de l’opportunité stratégique et politique ainsi que de la possibilité militaire et matérielle d’une telle solution a fait l’objet de controverses virulentes et les arguments en sa faveur n’ont pas manqué.
Certaines des raisons invoquées sont d’ordre général et nous y reviendrons plus tard.
- La France aurait quitté sa place dans le camp allié, laissant notre allée, la Grande Bretagne toute seule. C’était une question d’honneur.
- Elle n’aurait pas respecté « l’accord » franco-anglais du 28 mars 1940 aux termes duquel un des deux belligérants ne pouvait conclure un traité de paix ou un armistice sans l’accord de l’autre.
Aux plans matériels et militaires l’argumentation apparait particulièrement nourrie et, à première vue, convaincante :
- L’AFN n’était pas vide de troupes et était défendue par la partie de ce que l’on appelait alors l’Armée d’Afrique qui n’avait pas été envoyée en France en renfort. Cette défense terrestre était supposée pouvoir être renforcée par des centaines de milliers d’hommes grâce à nos moyens de transport maritimes civils.
- Il y avait une force aérienne en AFN et il est souligné qu’à cette date, près de 1000 avions, dont beaucoup modernes, avaient quitté la métropole pour échapper aux Allemands.
- La défense de l’AFN aurait utilisé notre marine moderne en coopération avec la Royal Navy britannique pour prévenir une invasion de l’AFN.
- Cette invasion de l’AFN par les forces de l’Axe est affirmée comme improbable, voire impossible, au vu des réticences ou des éventuels refus de l’Italie et de l’Espagne de voir leur pays traversé par la Wehrmacht.
- Enfin l’AFN en lutte aurait bénéficié de renforts du Royaume-uni, de son aide matérielle et de celle des Etats-Unis.
Les raisons concrètes qui s’opposaient à l’engagement de l’AFN dans la résistance à l’Allemagne en 1940.
Une situation réelle de l’AFN de grande faiblesse.
Les personnels de l’armée de terre, hors forces locales et supplétifs sans valeur militaire, qui restaient en AFN après le départ des meilleures divisions et un écrémage au profit du front français en 1939-40 n’étaient qu’au nombre d’environ 200 000 dont une moitié, éclatée entre l’Algérie et le Maroc, n’était pas en état de combattre une armée moderne.
L’armée d’AFN n’était pas seulement pauvre en personnels de qualité en juin 40. Elle l’était de manière dramatique en matériels, eux-mêmes largement périmés. Les stocks de vivres, munitions etc. étaient à leur plus bas niveau. Il n’existait aucune industrie en mesure de pallier ces déficits.
Pour ce qui concerne l’aviation, le nombre le plus vraisemblable d’appareils modernes était de 800, après la migration du mois de juin. En revanche elle ne disposait pas du niveau logistique indispensable pour les utiliser : échelon roulant, mécaniciens etc… Selon Bernard Leroux, historien « l’aviation en AFN pouvait affronter quelques missions limitées, mais ne pouvait envisager, sans soutien logistique, une lutte de longue durée ».
Au plan des infrastructures, celles de l’AFN que ce soit les débits de déchargement des ports, les capacités des voies ferrées, le stockage des carburants étaient médiocres.
Les possibilités de renforcement étaient quasi-absentes.
Une quelconque opération de transport maritime d’un grand nombre de troupes de la France vers l’AFN eut requis un préavis d’organisation important, du temps et surtout des bateaux. Or le tonnage nécessaire n’existait pas sur place. Manquaient également les troupes Il aurait surtout fallu que notre malheureux pays ne se trouvât pas en plein chaos.
Le président du Conseil prétendit évacuer 500 000 hommes en quelques jours ce qui montre la déconnection des réalités de ce politicien. Pour ce faire il envoya le général De Gaulle à Londres le 14 juin afin de demander des moyens de transport. La réponse fut sèchement négative. Le Royaume uni avait d’autres priorités.
Au bout du compte la Marine ne réussit à transporter en AFN qu’environ 20 000 hommes.
Les possibilités d’aide britannique et américaine étaient hypothétiques.
La Grande Bretagne qui évacuait de France ses dernières troupes, n’avait comme souci que la défense de son ile. Elle ne disposait d’ailleurs pas des moyens matériels et militaires pour aider une éventuelle résistance de l’AFN. Cela ne l’empêcha pas de tenter de débaucher le général Noguès, commandant en chef en Afrique du Nord, pour qu’il rallie la cause anglaise.
Quant aux USA s’ils étaient en mesure de fournir des carburants et des matériels, d’ailleurs payables cash, leur neutralité leur interdisait d’intervenir de quelque façon que ce soit.
La Marine.
En juin 1940 la France disposait d’une Marine opérationnelle et très bien entrainée. Elle n’était cependant pas dénuée de déficiences : aéronavale faible, DCA médiocre, pas de radar, détection anti-sous-marine à ses débuts.
Une grande faiblesse venait de ce que les deux arsenaux les plus importants étaient Brest et Toulon. Il n’y avait en AFN, à part Bizerte directement menacée par l’Italie, aucune base maritime qui aurait permis de conserver la capacité opérationnelle des bâtiments, à moyen terme.
Mais surtout qu’aurait pu faire la Marine française face à la Luftwaffe, la marine italienne, aussi puissante que la française et la Regia Aeronautica coalisées ? Qu’aurait-t-elle pu faire face à des divisions italo-allemandes venant de Lybie et, le cas échéant, des Panzerdivisions attaquant du Maroc espagnol ?
Le risque stratégique.
Une chose est certaine. Si le gouvernement français, retiré en AFN, avait décidé de poursuivre la guerre, les Allemands auraient fait deux choses :
- occuper la France entière, faire un ou deux millions de prisonniers supplémentaires et immédiatement annexer une partie du Nord du pays
- déferler en AFN, écraser les maigres forces qui auraient peut-être tenté de la défendre avec ou sans l’aide de leurs alliés italiens, occuper ces territoires et équiper les ports, dont Dakar à terme, pour la guerre sous-marine.
Il est objecté qu’Hitler n’aurait pu le faire pour quatre raisons :
- l’Afrique et la Méditerranée ne l’intéressaient pas. C’est vrai, mais sous conditions qu’elles ne constituent pas une provocation et une menace, ce qui aurait été le cas d’une AFN ennemie. Du fait du refus de la Grande-Bretagne de négocier, moins d’un mois après l’armistice, le 15 juillet, le Maréchal Pétain a reçu une mise en demeure pour mettre l’AFN à la disposition de la Wehrmacht : 8 bases aériennes au Maroc, la mise à disposition du chemin de fer Tunis-Rabat, l’utilisation des ports français d’AFN, la réquisition des navires de commerce français avec leur équipage. Il a refusé et les Allemands, piégés par leur signature de l’armistice, n’ont pas insisté.
Le général Franco, chef de l’Etat espagnol qui ne souhaitait pas entrer en guerre avec les Anglo-Saxons, aurait refusé. C’est vrai mais il est envisageable que l’Espagne, terriblement meurtrie par la guerre civile, n’aurait pu s’opposer à une traversée de son territoire. Rappelons que des divisions blindées allemandes se regroupaient à Hendaye alors qu’il n’y avait aucune résistance sur place.
Mussolini aurait été très réticent à laisser l’armée allemande pénétrer et utiliser son territoire. Peut-être mais si Hitler avait accepté de satisfaire les appétits qu’il avait dévoilés en juin 1940 : Savoie, Nice, Corse, Djibouti, la Tunisie, l’occupation de la rive gauche du Rhône, il aurait probablement été convaincu.
Les marines française et anglaise se seraient opposées à un débarquement en AFN. Mais la marine anglaise avait fort à faire ailleurs et la marine italienne aurait appuyé l’opération. De surcroit la Luftwaffe aurait complètement maîtrisé le ciel et probablement dominé nos navires à la médiocre DCA. Il faut souligner que les deux plus fortes marines du monde : la Royal Navy et l’US Navy, n’ont pu s’opposer au parachutage puis au débarquement d’unités allemandes en Tunisie en novembre 1942.
Enfin, gardons-nous d’oublier que les forces de l’Axe avaient déjà un pied en Afrique. Et quel pied ! Toute la Lybie où le Maréchal Graziani disposait de deux armées avec 5 corps d’armée soit 235 000 hommes, selon Louis-Christian Michelet, historien, forces que l’Afrihakorps a renforcées au premier semestre 1941 sans opposition anglaise.
Les maigres forces françaises sous équipées et étalées sur 2000 km n’auraient pu résister à une attaque en tenaille entre le Maroc espagnol et la Tripolitaine agrémentée de parachutages et d’attaques aériennes.
Toute l’Afrique du Nord aurait été aux mains de l’Axe et les Alliés dépossédés de leur maîtrise de la Méditerranée. L’Egypte aurait été à portée de main et la circulation maritime menacée à partir des côtes africaines. La tâche de l’Angleterre aurait été quasi-impossible.
Le désastre stratégique eut été catastrophique.
En conclusion.
La querelle des arguments pour ou contre, perdurera pendant des décennies.
Ce qu’il parait possible d’affirmer à minima, c’est que faire le choix politique et idéologique de poursuivre la guerre en AFN dans les conditions décrites ci-dessus, comportait un risque stratégique dangereux à l’extrême pour la cause alliée et la lutte contre les dictatures de l’Axe.
Ce risque, des décideurs lucides et responsables devaient ne pas le prendre.
En l’occurrence ceux qui ont tranché ont neutralisé l’AFN au profit, non d’Hitler, mais à celui des Alliés. Ils ont ainsi rendu un service inestimable et d’ailleurs mésestimé aux démocraties.
14:47 Publié dans André Posokhow, Un peu d'Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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