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jeudi, 25 juin 2020

Convention climat : la démocratie est révolutionnaire

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par Natacha Polony

Tout cela finira-t-il encore en eau de boudin ? Encore une bonne idée abîmée par les instrumentalisations politiciennes ? Une chose est sûre : les réactions outrées de certains économistes bon teint aux pro- positions de la convention citoyenne sur le climat laissent penser que, malgré tout, mettre des citoyens tirés au sort autour d’une table peut être révolutionnaire. Reste à savoir ce qu’Emmanuel Macron tirera d’un objet politique non identifié qu’il a lui même sorti du chapeau pour contrer les revendications démocratiques nées avec les « gilets jaunes ».

Prenons un pari : les propositions de cette convention niront pour leur très grande majorité dans un classeur, après quelques discours lyriques visant à remercier les 150 auteurs pour ce merveilleux travail qui honore la démocratie. Comme l’a déjà esquissé la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, Agnès Pannier-Runacher, on retiendra quelques éléments anecdotiques qui – heureux hasard – correspondent à des décisions déjà engagées par le gouvernement. On interdira la publicité pour les véhicules les plus polluants. On incitera à la rénovation thermique des bâtiments (sans la rendre obligatoire : beaucoup trop volontariste). Au mieux verra-t-on fleurir un référendum sur quelques éléments symboliques destinés à montrer que le pouvoir se soucie du climat et croit en la démocratie.

Il y a pourtant beaucoup plus dans ces propositions, qui dépassent, et c’est tant mieux, la question du climat, pour s’intéresser à la préservation des sols, à la souveraineté alimentaire, à la fin de la logique consumériste. Les boucliers qui se lèvent dessinent d’ailleurs le portrait de l’immobilisme drapé des atours de la raison. D’un côté, ceux qui crient à l’aberration économique. Limiter la production d’objets inutiles et réparer ceux qui servent ? Quelle horreur ! « Décroissantisme », lancent quelques parfaits spécimens de l’aristocratie administrative qui gouverne la France depuis le Conseil d’État. De l’autre, ceux qui s’insurgent contre le fait que ces vaillants citoyens aient évacué toute idée de taxe carbone. Ceux-là sont les représentants de cette social-démocratie qui accepte toutes les règles du marché mais tente de l’infléchir par la fiscalité. Taxer ce qui est néfaste pour orienter vers ce qui est vertueux. Ces 149 propositions ne sont pas exemptes de ce type de logique mais avec l’idée que l’État prévaut sur le marché. Écologie punitive ! entend-on. Les mêmes qui font preuve d’un mépris de classe effarant face à la demande de démocratie exprimée par nombre de citoyens jouent aux défenseurs des libertés outrés qu’on puisse interdire au peuple de manger ces aliments « ultratransformés » qui sont des concentrés de gras, de sucre, de sel et d’arômes artificiels. Il en est aussi, bien sûr, pour se frotter les mains : cette convention tirée au sort – quelle horreur (bis) – pour répondre à la révolte des « gilets jaunes » formule des propositions qui, nous assurent-ils, les feraient immédiatement redescendre dans la rue. Est-ce si sûr ? Si l’on veut bien regarder plus loin que ces 110 km/h sur autoroute qui servent d’étendard pour commentateur paresseux, ces propositions ne sont pas en contradiction flagrante avec celles publiées par les premiers « gilets jaunes », qui réclamaient plus de justice fiscale et de protection des filières françaises. La logique est une reprise en main par les citoyens, face à un système qui industrialise chaque processus et favorise des multinationales déterritorialisées et irresponsables.

C’est le sens de ce crime d’écocide, concept largement contestable mais qui se veut un symbole, comme tous ces mots en « cide » dont on abuse aujourd’hui. Pas sûr que le débat y gagne grand-chose. Les atteintes graves à l’environnement doivent être punies à leur juste mesure, mais il y faut un arsenal juridique précis plutôt qu’un slogan.

Enfin, certains se gaussent : le nucléaire est absent, c’est bien la preuve qu’on se moque du monde. On peut au contraire en conclure que cette convention n’est en rien radicale, et qu’elle a préféré le consensus plutôt que d’aborder un domaine où se mêlent écologie, industrie, recherche, filières d’excellence et indépendance stratégique. Peut-être certains de ses membres ont-ils considéré que le nucléaire nous permettait d’obtenir une énergie non carbonée à un prix abordable, malgré les problèmes incommensurables qu’il pose. De même, cette convention a préféré prôner l’agroécologie plutôt qu’un passage brutal au bio. Aucun maximalisme. On est loin de la figure du méchant décroissant qui veut ruiner notre belle économie.

Que conclure de cette expérience démocratique ? D’abord ceci : quiconque fait l’effort de s’intéresser à l’état des sols, détruits par l’agriculture intensive et le béton des zones commerciales, à la biodiversité, à la pollution des eaux... en conclut qu’il faut agir. De manière massive et globale. Pourquoi ne pas laisser les représentants élus en juger ? Parce que, visiblement, ils sont enfermés dans des préjugés et des idéologies qui leur interdisent toute action. Tout sera fait, bien sûr, pour vider ce travail de sa substance et n’en garder que l’écume inoffensive. La démocratie véritable est révolutionnaire.

Source : Marianne 25/6/2020

09:37 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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