jeudi, 09 juillet 2020
État des lieux de la France
Par Natacha Polony
Un contraste étonnant se dessine entre le caractère profondément insignifiant du nouveau gouvernement et l’exceptionnelle gravité de la situation dans laquelle se trouve la France. On aimerait, pourtant, s’enthousiasmer pour un gouvernement d’union nationale qui préfigurerait un sursaut et donnerait corps aux assauts de lyrisme des communicants présidentiels, occupés à vanter les « talents » dénichés par Jean Castex, l’homme qui, après avoir décon né la France, s’apprête à la redresser en dix-huit mois.
Étrange moment de flottement. L’effervescence médiatique autour d’une équipe dont Me Éric Dupond-Moretti semble devoir à lui seul nourrir l’appétit de spectacle ferait presque croire que la crise économique qui vient serait une promenade de santé. Que pèsent un million de chômeurs à côté d’une guerre possible entre le nouveau ministre et la magistrature ? Même Roselyne Bachelot, indéniablement plus légitime à son poste que ses prédécesseurs, semble reléguée au rang d’attraction, alors même qu’elle tente de faire comprendre de quelle ampleur cataclysmique seront les conséquences du coronavirus sur un monde de la culture réduit à la paralysie. Le spectacle ne vaut que si les acteurs jouent leur rôle. Pas trop de fond. Beaucoup d’effets de manche. Ils ne sont là que pour ça : tenir la scène pour permettre au principal acteur de se représenter en 2022. Le reste n’est qu’accessoire.
Le reste, pourtant, c’est un pays qui mériterait mieux qu’un Premier ministre ectoplasmique et des calculs politiciens. La dernière semaine suffit à en offrir un aperçu. Après les plans sociaux annoncés chez Nokia, Airbus, Air France ou Technicolor, EDF détaille son plan « Mimosa ». Un plan d’économie de plusieurs milliards d’euros, avec gel des investissements et des embauches, et économies de bouts de chandelle. Et le prochain programme de restriction budgétaire, on le baptise « Pâquerettes et coquelicots » ?
La France va connaître une crise plus importante que celles de ses voisins. Pour des raisons qui ne tiennent pas à Emmanuel Macron mais à ce système économico-politique dont il est le dernier avatar. « Préférence française pour le chômage », nous dit le président dans un entretien avec la presse régionale dont la longueur n’a d’égal que le vide sidéral du contenu. Une fois de plus, on se focalise sur les conséquences, le poids du système social, pour ne pas regarder les causes, une désindustrialisation acceptée comme prix d’une monnaie forte et d’une préférence des élites françaises pour les services et la nanciarisation à l’anglo-saxonne. Tourisme et banque pour compenser l’éradication de filières industrielles dont les savoir-faire ont été méprisés et abandonnés à la prédation. Qui regarde la composition du nouveau gouvernement y trouvera deux ministères délégués, l’un à l’Industrie et l’autre aux Petites et Moyennes Entreprises. À défaut d’un véritable plan de réindustrialisation, d’aménagement du territoire, de développement des infrastructures et de plani cation, quelques pansements sur les plaies béantes.
Mais poussons un peu plus loin le diagnostic. La France n’est pas seulement confrontée à une crise économique majeure. Emmanuel Macron n’appelle pas pour rien à une reconstruction « économique, sociale, environnementale et culturelle ». On peut même espérer que, au-delà du slogan, il entrevoit quel chantier titanesque s’offre à lui. Reconstruction culturelle. L’expression ne se résume pas au sauvetage d’un secteur que le président ne daigne pas citer dans ses interventions. Disons-le brutalement : la France est un pays dans lequel un chauffeur de bus, un père de famille, peut mourir pour avoir voulu accomplir son devoir et faire respecter la loi. La France est un pays dans lequel l’école produit à la pelle des jeunes gens non seulement incapables de raisonnement mathématique, mais parfaitement ignorants de tout ce qui constitue la civilisation à laquelle ils appartiennent.
On est ravi que Marlène Schiappa ait été promue ministre déléguée à la Citoyenneté, mais il faudra davantage que des déclarations racoleuses pour rebâtir ce qui fait l’essence même d’une nation : l’idée que nous formons un peuple, c’est-à-dire une entité politique dont les membres se sentent un destin commun, qui les oblige vis-à-vis de ceux qu’ils croisent et qui ne seront jamais ni des ennemis ni les membres d’une tribu adverse. La France est traversée par des haines, elle est défigurée par des comportements qui relèvent d’une guerre de territoires, elle est fracturée par le fait que, à tous les échelons de la société, certains s’affranchissent des règles communes.
Y a-t-il encore un sens à terminer les discours officiels par un « vive la République et vive la France » qui sonne creux ? La République n’existe que par la promesse d’ascension sociale sur la base du mérite, qui permet à chacun d’exprimer ses talents et de s’émanciper, notamment par le travail, des déterminismes qui l’entravent. La France n’est rien sans la perpétuation d’une culture faite du souci de la beauté sous toutes ses formes, géographiques ou artistiques, et de l’homme comme incarnation et comme idée. Retrouver la République et la France devrait être le programme premier d’un gouvernement digne de ce nom.
Source : Marianne 9/7/2020
12:32 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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