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samedi, 25 juillet 2020

Mers el Kébir. La rançon de la sujétion à un allié déloyal

Mers el-Kébir, la fin du cuirassé Bretagne.jpg

André Posokhow

Le 3 juillet 1940, Churchill ce « grand ami de la France » ordonnait l’agression par la puissante Navy des unités de la flotte française stationnées dans les rades  de Mers El Kébir, d’Alexandrie ou dans des ports anglais ; et ce après avoir décidé et organisé le lâchage, en pleine bataille, de ses alliés belge et français,

Des prémices qui remontent à loin.

La Grande-Bretagne a toujours été hostile à l’existence d’une marine française forte. A la conférence de  Washington de 1922, de connivence avec les USA, elle avait ravalé celle-ci à un rang subalterne au même niveau que la marine italienne. Les négociateurs français, Aristide Briand et Albert Sarraut avaient été contraints d’accepter des limitations arbitraires de parité qui se révéleront pour elles contraignantes et de subir cette humiliation.

Le traité naval bilatéral germano-britannique signé le 18 juin 1935, torpillait les dispositions du traité de Versailles. Les Britanniques, sans se  concerter avec les Français ni même les avertir, autorisaient le Troisième Reich à disposer d'une flotte de guerre au tonnage limité de façon permanente à 35% de celui de la Royal Navy.

Cet accord qui s’inscrivait dans le cadre d’une politique anglaise de sympathie et « d’appeasement » à l’égard de l’Allemagne hitlérienne contraignit les Français à augmenter le budget de la marine de guerre au détriment de celui de l’armée de terre.

Une coopération amicale durant la drôle de guerre.

Pendant neuf mois la Marine nationale et la Navy ont coopéré dans un climat de camaraderie, notamment pour escorter des convois. La Marine nationale a même participé à l’interception du Graf Spee, à la campagne de Norvège et surtout, ce qui est bien oublié, à l’évacuation de Dunkerque au cours de laquelle elle connut des pertes sensibles.

La question posée du sort de la flotte de guerre française.

Dès que la conclusion funeste de la bataille de France, sur la Somme et l’Aisne, devint certaine, la question du sort de la marine française fut posée par Churchill, anxieux d’éviter qu’elle passe aux mains de l’ennemi, même si rien ne laissait prévoir une telle issue.


Les pressions britanniques pour s’approprier la flotte française.

Les deux télégrammes de Churchill.

Le 15 juin Raynaud rédigea un message à destination de Churchill pour lui demander l’autorisation de s’enquérir des conditions d’armistice allemandes, étant affirmé que la livraison de la flotte serait une condition inacceptable.

Le lendemain, 16 juin, Churchill, répondit par deux télégrammes apportés à Raynaud, par deux émissaires : Spears et l’ambassadeur Campbell, d’ailleurs particulièrement malveillants et méprisants à l’égard de Français en perdition. Ces deux messages évoquaient l’escroquerie de l’accord du 28 mars 1940 et l’honneur de la France dont le Premier ministre britannique s’arrogeait le droit d’être juge. Il donnait son accord pour que le gouvernement français tente de connaitre les conditions d’armistice de l’ennemi, mais uniquement sous la condition que la flotte française soit dirigée vers les ports britanniques en attendant l’ouverture des négociations. Churchill attendait d’être consulté dès la réception de ces conditions allemandes « eu égard surtout au fait que des troupes britanniques se battent aux côtés de l’armée française » ; mensonge impudent au moment où les Britanniques évacuaient leurs dernières troupes hors de France.

Ainsi les Britanniques donnaient un accord à notre demande d’armistice mais sous la condition visant la flotte.

Le projet d’union des deux pays.

Le même 16 juin le projet aberrant d’union de la France avec la Grande Bretagne fut concocté à Londres entre Jean Monnet, De Gaulle et Churchill afin de gagner du temps avant l’écroulement définitif de la France.

Dans ce contexte et très logiquement, les Britanniques retirèrent les deux notes adressées quelques heures auparavant à Raynaud et, dans l’après-midi appelèrent celui-ci par l’intermédiaire de De Gaulle pour lui présenter le projet d’union, projet qui se heurta à la consternation du Conseil des ministres qui le refusa.

La démission de Raynaud et l’arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain.

Devant ce refus et la proposition renouvelée en Conseil des ministres dans la soirée de demander les conditions de l’armistice, Raynaud donna sa démission. Dans la foulée le Maréchal Pétain prit la tête du gouvernement à la demande du Président de la République. Il est intéressant de noter que sur 17 ministres, 11 faisaient partie du gouvernement Raynaud dont deux socialistes : Février et Rivière avec l’assentiment de Blum et que Laval n’en faisait pas partie. 

La demande d’armistice.

Immédiatement après, le nouveau conseil des ministres décida de demander à l’Allemagne ses conditions d’arrêt des hostilités sans que lui aient été communiquée la teneur complète des deux notes de Churchill qui avaient été retirées et ne lui avaient pas été communiquées officiellement.

Selon le livre de Bernard Legoux « les mensonges de juin 1940 » qui cite l’historien Masson, Churchill prit contact téléphoniquement avec Pétain dans la nuit du 16 au 17 juin et se serait exprimé avec une rare violence en reprochant au Maréchal de n’avoir pas respecté le communiqué de presse du 28 mars et de ne pas avoir envoyé la flotte dans les ports anglais.

Ainsi, la France avait commencé cette guerre de 1939-40 sous les imprécations téléphoniques menaçantes que Churchill avait adressées à l’ambassade de France au début de septembre 39 et la terminait sous les invectives par lesquelles ce forcené s’en prenait au vieux soldat. 

Les assurances françaises de non-livraison de la flotte.

Pendant les jours qui suivirent le gouvernement français et l’amiral Darlan commandant en chef de la marine de guerre s’employèrent à répondre face aux demandes anglaises concernant la flotte que celle-ci ne serait jamais livrée.

Ce fut particulièrement le cas les 18 et 19 juin lors de la venue à Bordeaux  d’Alexander, Premier Lord de l’Amirauté, Dudley Pound, chef d’état-major de la Marine et de Lord Lloyd, ministre des colonies. L’amiral Darlan et le ministre des affaires étrangères, Baudouin, ont donné toutes assurances sur le sort de la flotte à ces interlocuteurs. Ceux-ci, semble-t-il n’auraient pas évoqué l’envoi de nos bateaux en Angleterre et se sont montrés apparemment rassurés. Ils ont simplement demandé d’envoyer la flotte en AFN ce qui avait déjà été décidé en conseil des ministres.

Les objectifs de Churchill.

Vis-à-vis de la France et de sa flotte, ces objectifs étaient triples.

Churchill souhaitait ne délier notre pays du faux accord du 28 mars que sous condition d’envoyer les bateaux de notre Marine dans les ports anglais. C’était très fort. Le bénéfice pour l’Angleterre était, en plein désastre, triple :

1° - Tout d’abord, récupérer gratuitement ou neutraliser notre magnifique flotte au profit de sa propre stratégie.

2° - Annuler l’armistice et contraindre une France écrasée à poursuivre la guerre en faveur de l’Angleterre.

En effet les Allemands avaient conclu l’armistice pour éviter que nos bateaux et l’Empire viennent renforcer l’effort de guerre britannique en 1940 et les Français pour sauvegarder ceux-ci.

Le 23 juin, c’est-à-dire, le lendemain de la signature de l’armistice à Rethondes, les Britanniques revinrent à la charge en donnant le choix à Darlan entre une entrée en dissidence et la poursuite de la lutte avec les Anglais ou l’envoi de la flotte en Angleterre.

Si les Britanniques avaient eu satisfaction, les Allemands auraient considéré la demande d’armistice comme nulle et non avenue et seraient revenus immédiatement à la solution de la capitulation et du régime d’occupation intégrale.

La France se serait retrouvée dans la situation prévisible avant le 17 juin et peut-être contrainte de poursuivre la guerre en AFN, ce que souhaitait Churchill, mais dans des conditions catastrophiques.

3° - Eliminer les défenses de l’Empire.

Churchill avait des visées sur l’Empire français pour poursuivre la guerre et, accessoirement, pour en tailler des morceaux. De 1940 à fin 1942 il engagera un conflit anglo-français qui ne fera qu’aggraver la situation de notre pays :

- sollicitations des gouverneurs généraux des colonies comme le général Noguès en AFN pour qu’ils fassent défection et rentrent en dissidence ;
- double attaque de Dakar avec, peut-être l’espoir de s’emparer de l’or de la Banque de France mis en lieu sûr à Thiès ;
- blocus de famine de Djibouti ;
- attaque de la Syrie pour faire passer les pilules des défaites en Grèce et en Crête et   procéder à l’éviction des Français ;
- attaque de Madagascar après l’humiliante reddition anglaise de Singapour ;
- blocus maritime de notre pays.

La neutralisation de la Marine française ne pouvait que favoriser ces desseins. Ces bateaux n’auraient plus pu, comme ils le firent à Dakar, défendre l’Empire dont la Grande-Bretagne aurait été en mesure de récupérer des territoires.

Vis-à-vis de l’opinion intérieure et internationale.

En juin 1940 la position de Churchill apparaissait encore fragile face aux deux poids lourds de son gouvernement : Chamberlain et Lord Halifax, fortement tentés par des négociations de paix avec l’Allemagne.

Le Premier Ministre se trouvait également obligé de convaincre l’opinion publique et le Parlement britanniques de sa détermination à mener la guerre quoiqu’il arrive.

Enfin il avait à montrer à l’opinion américaine et surtout au président Roosevelt qu’il irait jusqu’au bout.

Il y a réussi en créant la formidable sensation d’un crime de guerre envers des alliés écrasés largement par la faute de son pays et d’une flotte en cours de désarmement.

C’était plus facile, au vu de l’état des forces anglaises, que de marquer des points sur l’Allemagne. Quant à l’Italie rappelons que le 14 juin une escadre française avait bombardé les ports de Gênes et de Savone. C’était donc jouable. Mais non, c’était les Français qu’il fallait frapper pour les punir le la « french désertion » et assouvir sa fureur de voir son plan échouer en France.

Le prétexte.

Le prétexte churchillien invoqué à la face du monde était la rédaction de l’article 8 de l’armistice concernant la flotte et la quasi-certitude affichée que l’Allemagne mettrait la main sur notre flotte si celle-ci était désarmée dans des ports d’attache comme Brest et Cherbourg.

S’y ajoutait  la crainte que la Marine française se joigne à la marine allemande contre la Navy en cas de retournement d’alliance.

La profonde malhonnêteté de ces prétextes.

- Tout d’abord c’était oublier que, sur ordre de Darlan, tous les navires de guerre ou de commerce qui se trouvaient dans des ports qui allaient être occupés par les Allemands, avaient été évacués comme le Richelieu ou le Jean Bart, ou avaient été sabordés et que les installations portuaires avaient fait l’objet de destructions, montrant bien la volonté française de ne pas laisser de navires aux mains ennemies.

- C’était également faire semblant d’ignorer que comme l’avait souhaité Lord Lloyd, l’essentiel de la Marine s’était réfugiée dans les ports de l’Empire et d’AFN ou à Toulon, c’est-à-dire hors de portée des Allemands après l’armistice.

- C’était feindre d’ignorer que si l’article 8 spécifiait bien que la flotte de guerre serait démobilisée et désarmée dans les ports d’attache du temps de paix sous le contrôle de l’Allemagne ou de l’Italie, des négociations étaient en cours avec celles-ci pour que cela ait lieu en AFN et à Toulon. Or ces négociations avaient abouti à un accord dans ce sens à la suite de la signature de l’armistice avec l’Italie le 25 juin.

Selon le livre de François Beltgens « Mers El Kébir. 3 juillet 1940 », la commission d’armistice italienne avait accepté le 24 juin que la démobilisation de nos navires ait lieu en AFN et à Toulon. Le 30 juin à Wiesbaden la commission d’armistice allemande se déchargea sur la commission italienne pour toutes les questions concernant la Méditerranée ce qui avalisait la décision italienne concernant le désarmement de notre flotte. Le risque n’existait plus.

- C’était oublier volontairement les assurances formelles du gouvernement français et de l’Amiral Darlan prononcées avant l’armistice devant les plus hautes autorités anglaises.

- C’était faire mine de ne pas avoir connaissance des instructions formelles et réitérées  de l’amiral Darlan de saborder tout unité de la flotte qui risquerait d’être capturée par les Allemands ou qui recevrait l’ordre de se livrer à eux. Cet ordre était connu des Britanniques qui avaient été avertis par l’attaché naval français et, surtout, qui connaissait les codes navals secrets français qu’ils avaient capturés sur le sous-marin Narval qui avait fait défection à Malte pour rallier le général De Gaulle.

C’est en application de cet ordre qu’en novembre 1942, la flotte française se saborda à Toulon plutôt que d’être saisie par les Allemands.

- Il y avait également des raisons plus concrètes. En juin 1940, du fait de caractéristiques techniques très différentes, les navires français ne pouvaient guère être utilisés à court terme par la marine allemande et, mieux, par la marine britannique.

- La raison la plus convaincante que cette prétendue menace n’existait pas est qu’à Rethondes, les négociateurs avaient posé comme conditions impératives à la signature française de l’armistice, la souveraineté sur une partie du territoire métropolitain, la non-livraison de la Marine et l’intégrité de l’Empire.

Les deux seuls atouts qui restaient à la France au cœur de cette catastrophe étaient la Marine et l’Empire. Il était évident, sauf aux yeux d’un forcené qu’elle ne s’en dessaisirait pas au profit de l’Allemagne. Ce qui fut fait. En revanche les graves atteintes qui furent portés à ces deux seuls espoirs de la France le furent par l’Angleterre.

- Enfin, le retournement d’alliance était purement imaginaire. Il faut souligner que le gouvernement du Maréchal tenait à rester en bons termes avec l’Angleterre et de préserver l’alliance avec elle. C’est Churchill qui rompit de fait les relations diplomatiques au nom de l’Empire britannique en rappelant son ambassadeur Campbell le 22 juin

L’attaque.

Les faits sont connus. Bornons nous à les résumer

- A Mers El Kebir il y eut deux attaques navales et aériennes successives. La destruction fut loin d’être complète. Le cuirassé Bretagne fut coulé avec prés de1000 hommes emprisonnés dans ses flancs dont on ne récupèrera les corps que bien des années après. Le Strasbourg et plusieurs navires s’échappèrent et rejoignirent Toulon.

Mers El Kebir est comparable à l’attaque de Pearl Harbor en 1941 qui fut qualifiée d « infamy » par Roosevelt. Celui-ci félicita cependant chaudement Churchill pour son action. Il y a de bonnes et de mauvaises infamies.

- A Alexandrie où se trouvait une importante escadre française, un accord amiable entre l’amiral Godfroy et l’amiral Cunningham, un des plus grands marins de l’histoire britannique, permit d’éviter que les navires anglais et français se tirent dessus en pleine rade, ce qu’exigeait frénétiquement Churchill.

- Dans les ports britanniques se trouvaient de nombreux bateaux français depuis Dunkerque. Un coup de main monté avec un maximum de duplicité par les Anglais leur permirent de s’en emparer. Les personnels furent maltraités, brutalisés et traités comme des prisonniers de guerre.

- A Dakar, le cuirassé Richelieu fut attaqué deux fois et endommagé, notamment lors la tentative anglo-gaulliste de s’emparer de Dakar. En cette occasion il y eut une bataille navale qui se termina par un succès français.

- Enfin, conformément aux traditions de piraterie anglaise ordre fut donné à la Navy de s’emparer des bateaux de commerce français.

Les conséquences.

Ces attaques, et en particulier, Mers El Kébir, furent des crimes de guerre commis contre d’anciens alliés qui ne se trouvaient pas en situation d’hostilité envers la Grande Bretagne et dont les navires étaient en cours de désarmement.

Moralement indéfendables, leurs conséquences en démontrent la stupidité.

- D’abord il demeurait une flotte française  appréciable même si elle était durement touchée. Le cuirassé Dunkerque fut remis en état

- Un des objectifs de Churchill était prétendument de mettre la flotte hors de portée d’atteinte par les Allemands. A la suite de ces agressions l’essentiel de la flotte remonta vers Toulon.

- Les Allemands acceptèrent que nos bateaux soient réarmés. Ce n’est pas ce qu’attendait Churchill.

- Ce renversement d’alliance faillit se produire. Peut-être était-ce ce qu’espérait Churchill ? En tout cas certains : Laval et Darlan, furieux, tendaient vers une telle solution. Le général Weygand et Baudouin s’y opposèrent et Pétain, convaincu, y mit son véto.

- Une profonde anglophobie se développa en France mais fut rapidement contrebalancée par la détestation de l’occupant allemand.  

Mers El Kébir fut comme l’a dit le général De Gaulle un « terrible coup de hache » dans les espoirs gaullistes. Les recrutements se tarirent et la France libre vécut de ce point de vue des jours difficiles.

Enfin, le plus grave fut que les Allemands tirèrent prétexte de cette agression pour, le 15 juillet, demander au gouvernement français l’utilisation des ports, d’aérodromes et des voies ferrées d’AFN ce qui représentait purement et simplement une occupation de l’AFN, c’est-à-dire un désastre stratégique. Comme on le sait, Pétain refusa mais le coup qui aurait pu être catastrophique pour la cause alliée ne passa pas loin.

En conclusion.

Les leçons à tirer de cet épisode tragique sont d’actualité.

Ne jamais se mettre en situation de sujétion à l’égard d’autres puissances et surtout pas d’alliés comme la Grande Bretagne en 1939, à l’exemple du lamentable régime politique français de l’entre-deux guerres.

Ne jamais accepter un licol comme l’accord du 28 mars 1939.

En toutes circonstances ne penser qu’à sauvegarder sa souveraineté nationale et son indépendance de décision en s’appuyant sur les moyens de la puissance économique, financière, diplomatique et militaire.

En 2020 la France en est loin.

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09:50 Publié dans André Posokhow, Un peu d'Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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