mercredi, 30 décembre 2020
L’Etat français. Quel Etat ?
Patrick Parment
Nul ne le contestera et tout un chacun en a bien conscience, on ne sortira pas indemne de cette pandémie. Aucune crise depuis que nous sommes en République n’a atteint une telle ampleur – même celle de 1929 -, d’autant qu’elle n’est pas uniquement nationale mais internationale. Toutes nos vies et nos économies sont impactées par le covid et ses mutations. Partant du principe que toute crise a ses vertus, celle-ci aura eu pour effet immédiat de mettre en lumière les limites de l’économie néolibérale. Pour être plus précis, ce capitalisme financier qui est en train de détruire les hommes comme les nations. La question qui se pose donc est bien de savoir si ce capitalisme fera l’objet de réformes en profondeur ou bien s’il continuera sa route mortifère. Le capitalisme a une très forte capacité d’adaptation. Or, on imagine mal les principaux bénéficiaires de cette économie baisser les bras. Sauf qu’à force de tendre la corde, celle-ci finit par rompre. Sommes-nous au bord de cette rupture ?
Pour ce qui nous concerne, la France souffre de deux maux majeurs : sa soumission au néolibéralisme et un Etat dont le politique vit sous la férule de son administration. Ce qui a pour effet d’abolir ce qu’hier encore on appelait l’Etat régalien. Dans un Etat régalien, c’est le politique qui détermine les choix destinés à assurer le bon fonctionnement de la société et la paix civile. Sans paix civile, il n’y a plus d’Etat de droit. Et par une perversion du sens, c’est aujourd’hui l’économie qui dicte sa loi au politique. Au bout du compte, on aboutit à une crise du politique, donc de l’Etat, et d’une économie qui dicte sa loi d’airain.
L’Etat en crise
Selon une formule qui reflète bien la réalité, on est passé d’un Etat régalien à un Etat providence. Redéfinissons d’abord, ce qu’est un Etat régalien. Régalien définit ce qui est attaché à la souveraineté d’un chef qui exerce la puissance gouvernante : président, roi ou empereur. Toute société a à sa tête un chef qui exerce cette puissance régalienne. En monarchie, il n’est pas un domaine qui échappe à la volonté du souverain. En démocratie, le président exerce son pouvoir au travers de ministères dits régaliens que sont la Défense, les Affaires étrangères, la Justice, les Finances, et l’Intérieur.
Or, la prépondérance de l’économie a littéralement perverti les missions de ces ministères régaliens en les soumettant au dogme libéral qui exige moins d’Etat mais surtout une vision comptable de leur fonctionnement au détriment – voire au mépris - de la réalité humain. Comme on a pu le constater en matière de santé avec la crise du covid et la gestion des hôpitaux sans parler de notre dépendance pharmacologique de pays comme la Chine ou l’Inde. Comme le dit Arnaud Montebourg (Le Figaro 28/12) : « La multiplication de ces défaillances a été aggravée par l’incapacité de l’État à agir sur le terrain malgré sa présence, en raison de la multiplication des instances décisionnelles : les préfets ont été dépossédés de leur capacité d’action par les agences régionales de santé. Cela traduit la prise de pouvoir, dans notre pays, d’une bureaucratie irresponsable, qui entend enrégimenter la société sans jamais s’appuyer sur elle. » Et Henri Guaino de préciser (idem) : « Ce que nous payons au prix fort, ce sont les dégâts causés par une idéologie qui depuis quarante ans ne regarde toute dépense publique que comme un coût à réduire à tout prix. »
Notre souveraineté budgétaire a volé en éclats puisque la France a remis cette fonction de la monnaie commune l’Euro via la Banque centrale européenne (BCE). Autrement dit aux instances européennes – la fameuse Commission, instance fort peu démocratique au demeurant - qui sont elles-mêmes inféodés au modèle néolibéral. Ce qui induit qu’en matière de politique étrangère notre marge de manœuvre ne dépasse pas le rôle de flic qu’on a accepté de jouer au Sahel en vertu d’un passé colonial… qu’au demeurant on ne cesse de nous reprocher. De toute manière, la grande misère de l’armée française s’évalue à son budget qui sert désormais de variable d’ajustement au Budget général de l’Etat. L’armée française est un tigre de papier comme disait Mao et ce malgré la qualité de nos soldats. Seule demeure notre dissuasion nucléaire, nos quelques sous-marins de grande qualité… mais pour défendre quoi ?
En matière de sécurité nous ne sommes pas mieux lotis. Qui dit sécurité, dit évidemment police. Or, celle-ci est aussi un parent pauvre de l’Etat libéral. Ce n’est un secret pour personne de son manque cruel de moyens et de l’état indigent dans lequel on la maintient. Là encore au mépris des réalités. A l’heure même où l’insécurité n’a jamais été aussi grande, les crimes et délits en augmentation constante, les trafics de drogue aux mains de populations immigrées et qui sèment la terreur dans les banlieues. D’après Eric Zemmour, 70% de la population carcérale est musulmane. Mais la pensée dominante se refuse à faire le lien entre délinquance et immigration. Et pour ne rien arranger les rapports entre police et justice ne sont pas au beau fixe.
« Les manifestations massives de policiers et de gendarmes en décembre et les mots de plus en plus durs échangés entre policiers et magistrats sont venus donner l'image exactement contraire : celle d'une police qui a peur, d'une gendarmerie en manque de moyens et de considération, d'une justice contestée et sans boussole, bref, celle d'un Etat vulnérable et parfois sans repère solide, en particulier dans ses missions régaliennes », écrivait Cécile Cornudet dans Les Echos (10/01/2002). Rien n’a changé depuis.
Alors la question de savoir où est l’Etat aujourd’hui quand celui-ci ne maîtrise plus rien, agit au jour le jour et dont l’action se résume à traiter les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent. Sans vision aucune. Pour Arnaud Montebourg (idem) : « Pourquoi des minorités agissantes de toutes sortes détruisent-elles le commun ? Parce que la France n’a pas de projet. Pour que des urbains, des ruraux, des Français de tous horizons se réunissent et avancent ensemble, il leur faut un projet commun dans lequel se réunir. Emmanuel Macron n’a proposé aux Français qu’une stratégie (pauvre) d’adaptation à une mondialisation décriée de toutes parts. » Le chemin à parcourir risque d’être long.
11:22 Publié dans Le Billet de Patrick Parment | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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