Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 17 décembre 2024

De l’utopie panarabe à la tragédie moderne du Moyen-Orient

image-33.png

Anton Cenvint

Mayenne aujourd'hui cliquez ici

Le nationalisme arabe

Après treize années d’une guerre imposée à la Syrie par des puissances régionales et internationales avides de dépecer ce territoire, le système patiemment mis en place par Hafez al-Assad s’est effondré. Ainsi prend fin un grand mouvement, né à la fin du XIXème siècle, qui non seulement représentait les espoirs de plusieurs générations d’Arabes mais surtout une alternative à l’islamisme.

Conçu dans la perspective d’une émancipation de la tutelle ottomane et des puissances occidentales, c’est finalement en victime du néo-ottoman Erdogan et de ses alliés anglo-saxons, par proxi interposés que le nationalisme arabe est tombé. La satisfaction affichée des dirigeants occidentaux et de la presse mainstream à l’annonce de cette nouvelle risque pourtant d’être de courte durée. Elle raisonne d’ailleurs comme un triste écho aux réjouissances de journaux comme Libération ou Le Monde lorsqu’ils apprirent la chute de Phnom Pen entre les mains des Khmers rouges en avril 1975.

Les origines du nationalisme arabe

Beaucoup de choses ont été dites sur les régimes arabes d’inspiration nationaliste comme l’Irak de Saddam Hussein ou la Syrie des Assad père et fils. Malheureusement la plupart des commentateurs ne se sont guère penchés sur l’idéologie qui était à l’œuvre ni sur les perspectives qu’elle pouvait offrir.

Il faut remonter au XIXème siècle pour comprendre la genèse de ce mouvement. Une époque où l’Empire ottoman règne en maître sur tout le Moyen-Orient ainsi que sur une partie significative de l’Afrique du nord.

A la suite du retrait de l’armée française d’Egypte en 1801, un officier ottoman d’origine albanaise du nom de Méhémet Ali fut envoyé dans cette province de l’empire afin d’y restaurer l’ordre, ce qu’il fit avec une grande efficacité. Mais ce nouveau gouverneur avait pour ce territoire d’autres ambitions, notamment celle de l’émancipation de la « Sublime Porte ». Sous son règne, l’Egypte connut une rapide modernisation non seulement économique mais aussi philosophique puisque l’idée de laïcité commençait timidement à y émerger.

Méhémet Ali, ainsi que son fils Ibrahim, adhère pleinement à un projet d’Etat-nation qui rassemblerait tous les Arabes de l’Egypte à la Mésopotamie. Mais comme on peut s’y attendre, cette nouvelle politique proposée par Le Caire n’enchante guère les autorités ottomanes. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à prendre ombrage de ces velléités indépendantistes. La Grande-Bretagne considère également ce mouvement comme une redoutable menace pour ses intérêts. En 1848, Ibrahim Pacha, qui vient de succéder à son père, est renversé par Abbas Ier, hostile aux idées de laïcité et proche des milieux conservateurs religieux mais aussi… de la Grande-Bretagne. Comme le rappelle Charles Saint-Prot, « cette hostilité au nationalisme arabe encore balbutiant deviendra vite l’une des constantes de la politique anglo-saxonne. » Ces derniers lui préférant un Islam politique maintenant ces peuples dans l’obscurantisme.


Anton Cenvint

image-33.png

Mayenne aujourd'hui cliquez ici

Le nationalisme arabe

Après treize années d’une guerre imposée à la Syrie par des puissances régionales et internationales avides de dépecer ce territoire, le système patiemment mis en place par Hafez al-Assad s’est effondré. Ainsi prend fin un grand mouvement, né à la fin du XIXème siècle, qui non seulement représentait les espoirs de plusieurs générations d’Arabes mais surtout une alternative à l’islamisme.

Conçu dans la perspective d’une émancipation de la tutelle ottomane et des puissances occidentales, c’est finalement en victime du néo-ottoman Erdogan et de ses alliés anglo-saxons, par proxi interposés que le nationalisme arabe est tombé. La satisfaction affichée des dirigeants occidentaux et de la presse mainstream à l’annonce de cette nouvelle risque pourtant d’être de courte durée. Elle raisonne d’ailleurs comme un triste écho aux réjouissances de journaux comme Libération ou Le Monde lorsqu’ils apprirent la chute de Phnom Pen entre les mains des Khmers rouges en avril 1975.

Les origines du nationalisme arabe

Beaucoup de choses ont été dites sur les régimes arabes d’inspiration nationaliste comme l’Irak de Saddam Hussein ou la Syrie des Assad père et fils. Malheureusement la plupart des commentateurs ne se sont guère penchés sur l’idéologie qui était à l’œuvre ni sur les perspectives qu’elle pouvait offrir.

Il faut remonter au XIXème siècle pour comprendre la genèse de ce mouvement. Une époque où l’Empire ottoman règne en maître sur tout le Moyen-Orient ainsi que sur une partie significative de l’Afrique du nord.

A la suite du retrait de l’armée française d’Egypte en 1801, un officier ottoman d’origine albanaise du nom de Méhémet Ali fut envoyé dans cette province de l’empire afin d’y restaurer l’ordre, ce qu’il fit avec une grande efficacité. Mais ce nouveau gouverneur avait pour ce territoire d’autres ambitions, notamment celle de l’émancipation de la « Sublime Porte ». Sous son règne, l’Egypte connut une rapide modernisation non seulement économique mais aussi philosophique puisque l’idée de laïcité commençait timidement à y émerger.

Méhémet Ali, ainsi que son fils Ibrahim, adhère pleinement à un projet d’Etat-nation qui rassemblerait tous les Arabes de l’Egypte à la Mésopotamie. Mais comme on peut s’y attendre, cette nouvelle politique proposée par Le Caire n’enchante guère les autorités ottomanes. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à prendre ombrage de ces velléités indépendantistes. La Grande-Bretagne considère également ce mouvement comme une redoutable menace pour ses intérêts. En 1848, Ibrahim Pacha, qui vient de succéder à son père, est renversé par Abbas Ier, hostile aux idées de laïcité et proche des milieux conservateurs religieux mais aussi… de la Grande-Bretagne. Comme le rappelle Charles Saint-Prot, « cette hostilité au nationalisme arabe encore balbutiant deviendra vite l’une des constantes de la politique anglo-saxonne. » Ces derniers lui préférant un Islam politique maintenant ces peuples dans l’obscurantisme.

De la révolution « Jeune-turc » au réveil national arabe

Le 14 juillet 1889 est fondé à Constantinople le mouvement jeune-turc dont les rituels d’adhésion sont clairement inspirés de la franc-maçonnerie. Il se transforme en parti politique en 1907 sous le nom de Comité Union et Progrès. Les Jeunes-Turcs parviennent à s’emparer du pouvoir à la faveur d’une révolution en 1908 – 1909 non sans avoir su bénéficier du concours de l’armée. Le Sultan est interné et remplacé par Mehmed V mais dont les pouvoirs sont considérablement amoindris. Enver Pacha devient le nouvel homme fort du pays à partir de 1913.

Les choix politiques des nouveaux dirigeants (nationalisme pantouranien, laïcité, politique anti-califal) bouleversent la structure même de l’empire, un empire déjà passablement malade et en voie d’effondrement : perte de la Bosnie-Herzégovine annexée par l’Autriche-Hongrie en 1908, de la Libye et de l’île de Rhodes prises par les Italiens en 1912, indépendance de la Bulgarie. Sur un plan économique, la situation n’est guère plus brillante. La dette extérieure de l’empire est gérée directement par les Européens qui détiennent également le réseau de chemin de fer.

C’est dans ce contexte que le nationalisme arabe va ressurgir, non pas en Egypte cette fois mais en Syrie, au Liban et en Irak où se forment des sociétés secrètes. Ces groupements font apposer des affiches appelant au réveil arabe, à la fin de la soumission au régime ottoman et à la constitution d’une entité politique arabe unie. Comme le relève Charles Saint-Prot « Le thème central est le suivant : les Etats balkaniques ont obtenu l’indépendance, les Arabes, chrétiens et musulmans, doivent à leur tour être libres et former un grand Etat. »1

Sur un plan intellectuel, le monde arabe est également en pleine effervescence et ne concerne pas spécifiquement des Musulmans, ainsi Negib Azoury, un chrétien francophile de la région libanaise écrit en 1904 que « les Arabes constituent une seule nation qui doit se réunir au sein d’un nouvel Etat, détaché de la Turquie et qui s’étendra dans les limites de ses frontières naturelles, depuis la vallée du Tigre et de l’Euphrate jusqu’à l’isthme de Suez, et depuis la Méditerranée jusqu’à la mer d’Oman. Il sera gouverné par une monarchie constitutionnelle et libérale d’un sultan arabe. »

C’est ce même Azoury qui lance en 1907 une Ligue de la patrie arabe sur le modèle des ligues patriotiques françaises ainsi qu’un journal mensuel intitulé l’indépendance arabe.

Le premier Congrès général arabe est organisé à Paris le 17 juin 1913. Fait notable, il rassemble aussi bien des Chrétiens que des Musulmans. Par ailleurs, la seule référence religieuse concerne les Arméniens déjà sous menace turque où le point 8 de la charte indique que « le congrès affirme sa sympathie pour les demandes des réformistes et des Arméniens ottomans ».

Le président du congrès, Abdel Hamid al Zahrawi, prononce également ces mots : « Une égale proportion de délégués chrétiens et musulmans participe à ce congrès. L’idée centrale est l’union de tous les Arabes, sans distinction confessionnelle. La solidarité religieuse est incapable de créer l’unité politique. Nous entendons par Arabes tous ceux qui parlent la langue arabe sans que rien ne les différencie sur le plan religieux. Notre solidarité est entière dans tous les domaines. Nous formons un seul peuple. »2

De la Grande guerre à la trahison anglaise

En 1914 éclate la Première guerre mondiale. L’entrée en guerre de la Turquie aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie précipite les événements. Fortement sollicités par les Anglais, les Arabes sont invités à se soulever contre l’empire ottoman. Le Chérif Hussein de la Mecque, chef de la dynastie Hachémite et gardien des Lieux Saints de l’Islam est approché. Son fils Fayçal a noué des liens avec les milieux nationalistes. C’est lui qui négocie avec les Britanniques les conditions d’une révolte arabe : reconnaissance de l’indépendance dans les frontières allant au nord d’une ligne de Mesrine à Amadia à la frontière iranienne, à l’est le long de la frontière perse jusqu’au Golfe, au sud sur l’Océan indien et à l’ouest la Méditerranée.

Au début, les Britanniques tergiversent puis finalement le Haut Commissaire britannique reçoit l’ordre d’accéder aux requêtes formulées. La Grande Révolte arabe débute alors en juin 1916.

Ce que le Chérif Hussein et le prince Fayçal ignorent, c’est que Britanniques et Français ont pris secrètement la décision de se partager les territoires arabes de l’empire ottoman à l’issue du conflit lors des accords Sykes-Picot de mai 1916. De même, ils ne peuvent se douter du sort réservé à la Palestine où Arthur Balfour, secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères, vient d’adresser à Lionel Walter Rothschild, principal financier du mouvement sioniste, une lettre ouverte se déclarant en faveur de l’établissement en Palestine d’un « foyer national pour le peuple juif ».

Les Alliés ne tiendront aucun compte de leurs engagements passés. La Conférence de San Remo le 25 avril 1920 et le traité de Sèvres du mois d’août de la même année vont d’ailleurs redessiner la carte de la région. La Syrie se voit amputer de la Palestine et du Liban. Syrie et Liban passent sous mandat français et Irak, Transjordanie et Palestine sous mandat britannique.

C’est sous la protection de l’armée anglaise que les colons juifs s’installent en Palestine. Quant à Fayçal, appelé à régner sur la Syrie par un congrès national, il sera chassé par les troupes du général Gouraud. Il en sera de même pour son frère Abdallah qui ne pourra jamais gagner l’Irak bien qu’un congrès national l’ait intronisé roi. Une révolte irakienne éclate à l’été 1920 et est noyée dans le sang par la perfide Albion.

Cerise sur le gâteau, les Britanniques apportent leur soutien au chef bédouin wahhabite Ibn Séoud afin qu’il prenne le contrôle l’Arabie et chasse le Chérif Hussein et la dynastie Hachémite.

C’est donc bien par l’entremise de l’Angleterre qu’est né l’Arabie Saoudite, principal soutien financier des mouvements islamistes à travers le monde. Il est vrai qu’Ibn Séoud a su donner aux anglo-saxons des garanties satisfaisantes pour l’exploitation du pétrole.

Sati al Housri et la révolution irakienne

Après son éviction de Syrie, les Britanniques offrent le trône d’Irak à Fayçal. Cette solution devant permettre à Londres de stabiliser la situation dans le pays sans devoir recourir à une occupation militaire coûteuse. Malgré le poids exercé par la puissance mandataire, Fayçal parvient néanmoins à arracher une véritable indépendance en 1932 et obtient la même année l’adhésion de l’Irak à la Société des Nations.

Pour parvenir à ce résultat, le roi dispose d’un conseiller particulièrement brillant en la personne de son ministre de l’enseignement et de la culture et qui va devenir l’un des principaux doctrinaires du nationalisme arabe : Sati al Housri.

A la mort du roi, il sera maintenu dans ses fonctions par le nouveau souverain Ghazi Ier qui est acquis aux idées nationalistes. Mais après l’assassinat de ce dernier par un homme de main manipulé par les Anglais (une constante chez nos « amis » d’outre-Manche), Sati al Housri entre en conflit avec Noury Saïd, nouveau Premier ministre et pion de Londres en Irak.

C’est dans ce contexte qu’éclate la révolution irakienne de 1941 menée par Rachid Ali et des officiers du Carré d’or. Ces derniers s’emparent du pouvoir en avril mais l’aventure tourne court. L’Irak est envahi par l’armée anglaise qui y instaure un gouvernement à sa solde. Rachid Ali et Sati al Housri sont contraints de fuir le pays. Le premier trouve refuge en Allemagne et le second au Liban. Il ne reviendra en Irak qu’en 1965 à la faveur du coup d’Etat du parti Baas.

Sur un plan doctrinal, Housri oppose clairement la vision nationaliste à la vision panislamiste. Il affirme notamment que l’identité arabe doit prendre en compte la période pré-islamique et tous les autres apports. Pour faire simple, il dissocie l’identité musulmane de l’identité arabe. Il considère l’islamisme comme la négation même du nationalisme arabe et exclut la fusion entre le pouvoir temporel et spirituel, clé de voûte de la pensée islamiste.

Michel Aflak père du Baas

Michel Aflak, qui est l’un des disciples de Sati al Housri, aura une influence considérable sur la scène du Proche-Orient. Issu d’une famille de la petite bourgeoisie chrétienne orthodoxe de Damas, père nationaliste membre du Bloc national de Choukri al Kouatli, Aflak a toutes les prédispositions nécessaires pour un engagement militant. Etudiant à la Sorbonne, il s’intéresse à tous les courants d’idées de l’époque, de Marx à Maurras en passant par Proudhon, Sorel.

C’est à Paris qu’il fonde avec son ami Salahedine al Bitar, musulman sunnite, l’Union des étudiants arabes en France.

Ses réflexions le mèneront à cette conclusion rapportée par Charles Saint-Prot qui eut le privilège de s’entretenir avec lui : « il est convaincu que les idéologies occidentales – marxistes, libérales ou autoritaires – n’ont pas une valeur absolue car chaque société doit trouver en elle-même la réponse propre aux défis qu’il lui faut surmonter. L’intérêt qu’il porte aux penseurs européens ne le conduit pas à construire, comme certains idéologues arabes, une théorie calquée sur leurs systèmes. Il se méfie des dogmes importés et du prêt-à-penser tout autant que des spéculations de l’esprit et des idéologies. Pour lui, la politique est une science qui s’applique sur un corps social bien précis. Il appartient à chaque nation de concevoir les solutions qui correspondent le mieux à sa spécificité et ces conclusions doivent être envisagées en prenant en considération toutes les questions. Ainsi s’il rejette l’imitation de modèles étrangers, Aflak condamne tout autant les systèmes qui privilégient un seul aspect des choses : l’économie, la religion, la crise sociale. Enfin, il estime que les sous-nationalismes sont également des réponses incomplètes, le plus souvent fondées sur des critères irrationnels comme l’ethnie, l’appartenance confessionnelle ou le chauvinisme, et propres à perpétuer les divisions instituées par les puissances étrangères pour servir leur cause. »

En 1939, il fonde un cercle de réflexion appelé la Renaissance arabe. Le contexte géopolitique d’alors favorise considérablement son écoute, guerre en Europe, soulèvement irakien de Rachid Ali, pénétration sioniste en Palestine. Les sympathisants affluent de partout.

Suite à l’échec de la révolution irakienne de mai 1941, les nationalistes arabes de Syrie organisent alors un parti qui prend le nom de Baas (la résurrection) dont Jacques Benoist-Méchin dira qu’il est « une victoire de l’intelligence. Cette intelligence porte un nom Michel Aflak. »3

De l’Egypte nassérienne à la république arabe unifiée

La concrétisation de ce bouillonnement intellectuel va trouver son débouché en Egypte. Le 23 juillet 1952, un groupe de militaires, les « Officiers libres », renverse le roi Farouk. Une figure va se démarquer de cette nouvelle direction, Gamal Abdel Nasser. Celui que l’on surnomme alors le Raïs va non seulement s’imposer sur la scène nationale mais aussi internationale. Il est surtout connu en Occident pour la nationalisation du canal de Suez en 1956, qui a conduit à la désastreuse expédition franco-britannique. Très attaché à une troisième voie entre les deux blocs est et ouest, Nasser participe à la conférence de Bandoung en avril 1955 et à la fondation des pays non-alignés. Il dénonce également avec fermeté le Pacte de Bagdad du 24 février 1955, sorte de prolongement de l’OTAN au Proche-Orient.

En revanche, sur un plan doctrinal, le nassérisme est un concept plutôt pauvre. Albert Hourani écrit à son propos : « Si le Baas était une idéologie qui s’était transformée en force politique, l’autre mouvement majeur de la période, le nassérisme, fut un régime politique qui tenta d’élaborer peu à peu un système idéologique »4.

Cette lacune ne l’empêchera pas de devenir le champion de la cause arabe. Cependant, au sein de la société civile, tout le monde ne partage pas cet enthousiasme. C’est notamment le cas de la confrérie des Frères musulmans qui n’aura de cesse de le combattre et de dénoncer l’orientation laïque du régime. Là encore, les « frèristes » vont bénéficier d’un allié bien connu des milieux islamistes, la Grande-Bretagne.

L’insufflation provoquée par le Raïs du Caire va également entrainer des bouleversements majeurs sur la scène internationale, à commencer par la Syrie où en octobre 1954, les baassistes, dans le cadre d’une large coalition, remportent les élections. La vision commune des deux pays va les pousser à mettre en application « l’unité populaire entre l’Egypte et la Syrie, afin de réaliser l’aspiration nationale arabe ». C’est ainsi que la République arabe unie (RAU) voit le jour le 1er février 1958. Cette dernière sera d’ailleurs rejointe par le Yémen du nord. La réaction occidentale va être brutale. Au Yémen du sud, la révolte unioniste est noyée dans le sang par les Britanniques et au Liban, l’intervention américaine contraint les unionistes à reculer.

Malheureusement, l’expérience de la RAU tourne court. Les disparités institutionnelles entre les deux pays et les troubles provoqués en Syrie par les Frères musulmans et le parti communiste, tous deux instrumentalisés par les services de renseignement occidentaux aboutissent à l’échec de cette construction. Le 13 octobre 1961, la Syrie recouvre son statut d’Etat indépendant.

Le parti Baas et l’expérience irakienne

Le 14 juillet 1958 un coup d’Etat a lieu en Irak. La monarchie pro-britannique s’effondre et le roi Fayçal II et sa famille sont exécutés. Le nouvel homme fort du pays est le général Abd al-Karim Kassem. Si la république est proclamée, le nouveau pouvoir est néanmoins fortement éloigné de la doctrine panarabe de Michel Aflak. Aussi deux autres coups d’Etat interviennent en 1963 puis 1968 aboutissant à la prise du pouvoir par le parti Baas.

Le nouveau président du pays est Ahmad Hasan al-Bakr, son vice-président, qui lui succédera en 1979 est Saddam Hussein. Le parti au pouvoir est dirigé par un Commandement national interarabe formé de quinze membres dont le secrétaire général n’est autre que Michel Aflak.

Un commandement régional est institué dans chaque pays où le parti est implanté. Il comporte aussi une branche palestinienne, composante de l’OLP, le Front de libération arabe. Les Chrétiens sont représentés au sein du gouvernement en la personne de Tarek Aziz.

Après s’être assuré de la maîtrise des ressources pétrolières lors des nationalisations de 1972 et 1973, la nouvelle équipe dirigeante lance un vaste programme de développement économique, social, industriel et technologique.

En qualité de vice-président, Saddam Hussein procède dès 1973 à une vaste campagne nationale pour l’éradication de l’illettrisme. L’école devient gratuite, obligatoire et laïque, aussi bien pour les filles que pour les garçons. L’Unicef reconnaît à ce titre que « l’Irak a pratiquement éradiqué l’illettrisme et aura poussé la scolarisation des Irakiens à un niveau encore inédit au Moyen-Orient ». En 1982, l’Unesco remet un trophée à l’Irak pour l’effort d’alphabétisation dont avait fait preuve le gouvernement à l’égard des filles, près de 95% d’entre-elles étant scolarisées.

L’Unesco explique dans un rapport que « Le système éducatif en Irak avant 1991 était l’un des plus performants dans la région, avec un taux brut de scolarisation de 100% dans l’enseignement primaire et un niveau élevé d’alphabétisation pour les deux sexes. L’enseignement supérieur était de qualité, particulièrement dans les établissements d’enseignement scientifique et technologique, et le corps enseignant compétent et motivé. »5

Sur le plan de la santé, les réalisations sont tout aussi conséquentes, ainsi les frais d’hospitalisation sont pris en charge par l’Etat. Le système de santé irakien devient l’un des plus modernes et efficace du monde arabe.

Les services publics sont également réformés et le recrutement se fait sur le mérite. Une révolution énergétique est entreprise aboutissant à l’électrification de toutes les villes du pays.

Cependant, cette évolution ne convient ni aux milieux fondamentalistes islamistes et à leurs parrains saoudiens ni aux occidentaux et en premier lieu Israël. En effet l’Etat hébreu n’accepte pas l’idée d’avoir dans son environnement proche un pays de cette envergure.

Trois événements majeurs viennent bouleverser cette pente ascendante : la guerre Iran/Irak qui va sévir huit années consécutives, le bombardement par Israël en juin 1981 de la centrale nucléaire d’Osirak construit par la France et enfin la guerre du Golfe.

La guerre du Golfe ou la mise à mort de l’expérience irakienne

Sur ce dossier, la question est de savoir si l’Irak est tombé dans un piège. Suite à un différend pétrolier avec son voisin, l’Irak envahi le Koweït le 2 août 1990. Or, comme l’indique le géopolitologue Alexandre del Valle, « on s’accorde aujourd’hui à penser que l’invasion du Koweït par l’Irak a été encouragée par la CIA et le département d’Etat, via John Kelly, secrétaire d’Etat adjoint chargé du Moyen Orient et April Glaspie, ambassadeur des Etats-Unis. Les deux représentants des Etats-Unis laissèrent effectivement entendre que ces derniers ne réagiraient pas en cas d’invasion du Koweït ».6

Le général Salvan retrace de son côté les propos exactes qui ont été tenus : « Nous n’avons pas d’opinion sur les conflits inter-arabes comme votre différend frontalier avec le Koweït. C’est une règle ancienne que James Baker a donné ordre à son porte-parole de confirmer »7, déclara madame Glaspie le 25 juillet 1990 alors qu’elle était justement consultée par Saddam Hussein qui souhaitait connaître la position de Washington sur le risque d’une confrontation militaire avec le Koweït.

John Kelly va même plus loin en déclarant devant la Chambre des représentants le 31 juillet, soit deux jours avant l’offensive irakienne, « le régime irakien va dans le bon sens et que les Etats-Unis ne s’étaient pas engagés à défendre le Koweït en cas d’agression ».

Deux jours plus tard, le piège se referme sur l’Irak baassiste. Les Etats-Unis déploient une formidable armada en vue de l’anéantissement de l’Irak. Au vue des cibles, le choix n’est pas simplement de libérer le Koweït mais de ramener l’Irak à l’âge de pierre en détruisant de façon méthodique ses infrastructures économico- industrielles et scientifiques.

La fin du conflit en lui-même ne signifie pas pour autant la fin du cauchemar puisqu’un embargo sévère provoque la mort de pas moins de 800 000 civils, dont une majorité d’enfants, mal nourris ou inopérés, faute de matériels et de médicaments.

Interrogée à ce sujet lors de l’émission 60 minutes sur CBS le 12 mai 1996 alors qu’elle était ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU, Madeleine Albright fut confrontée à cette question : « Nous avons entendu dire qu’un demi-million d’enfants sont morts. C’est plus d’enfants morts qu’à Hiroshima. Cela en valait-il ce prix ? » Sa réponse fut la suivante : « Je pense que c’est un choix très dur, mais le prix… je pense que cela en valait le prix […] il faut être multilatéraux quand nous le pouvons et unilatéraux quand nous le devons. »

Finalement, les événements du 11 septembre 2001, vont offrir le prétexte aux Etats-Unis et à leur nouvelle équipe dirigeante néoconservatrice pour en finir avec l’idée même de nationalisme arabe, tout du moins dans sa partie irakienne et ainsi remodeler la région à leur guise. Le 20 mars 2003, utilisant le prétexte fallacieux de prétendues armes de destruction massives irakienne, Georges W Bush lance l’opération « Liberté irakienne ». Saddam Hussein renversé et le parti Baas démantelé, l’Irak s’enfonce dans le brouillard. A la résistance offerte au départ par le peuple irakien contre l’envahisseur va répondre une terrible guerre civile opposant Chiites et Sunnites puis l’avènement d’organisations islamistes qui donneront naissance à Daesh et à l’Etat islamique.

L’expérience syrienne

C’est en février 1963 que la branche syrienne du Baas s’empare du pouvoir. Cependant, d’importantes frictions internes déstabilisent le nouveau régime et le parti lui-même l’empêchant de mener à bien les réformes nécessaires. Une césure de plus en plus affirmée oppose par ailleurs militaires néobaassistes et civils baassistes de l’ancienne école, les premiers reprochant aux seconds une orientation trop socialisante. Finalement, ce sont les militaires qui triomphent en novembre 1970 en portant au pouvoir Hafez al-Assad.

A l’instar de l’Irak, on assiste alors à d’importantes réformes sur le plan intérieur : renforcement des institutions, réouverture du parlement et adoption d’une constitution. Des mesures correctives sont également apportées modifiant les politiques économiques socialistes jugées trop radicales.

Cependant, la politique laïque du pays est activement combattue par les islamistes, en particulier les Frères musulmans qui bénéficient d’un large soutien de l’étranger. Ces derniers organisent une série de soulèvements et de révoltes entre 1976 et 1982. L’insurrection est finalement écrasée en 1982 dans la ville de Hama.

Sur un plan doctrinal, le régime de Hafez el-Assad s’éloigne de l’idéologie panarabe. En rupture avec la branche irakienne du parti, il aura une nette tendance à se rapprocher de l’Iran khomeiniste dans les années 1980 contre le « frère irakien ». Un choix géopolitique qui va durablement isoler la Syrie de la scène arabe. Il en va de même pour l’implication du pays dans la guerre civile libanaise.

Si l’arrivée de Bachar al-Assad au pouvoir en juillet 2000 ouvre de nouvelles perspectives, le contexte géopolitique a considérablement changé. Malgré les ouvertures entreprises par le nouveau Raïs de Damas, la Syrie est dans l’œil du cyclone. La Maison Blanche est désormais entre les mains des néoconservateurs et ces derniers entendent bien remodeler la région. Ainsi en septembre 2003, le général américain Wesley Clark affirme que « dès novembre 2001, Washington avait un plan d’intervention militaire au Proche-Orient, l’invasion de l’Irak n’étant qu’une étape. […] les Etats-Unis avaient prévu en 2001 un plan militaire sur cinq ans qui consistait à intervenir en Irak, mais aussi dans d’autres pays de la région comme le Liban, la Syrie, l’Iran, la Somalie et le Soudan. »8

La Syrie ne subit pas directement le feu de l’armée américaine mais doit faire face à une guerre de quatrième génération. Ce concept, forgé par William Lind implique une guerre sur le long terme utilisant le terrorisme comme guerre asymétrique, s’appuyant sur une base transnationale hautement décentralisée, tout en développant une guerre psychologique et de subversion à travers la manipulation des médias. Tout observateur attentif de la guerre civile syrienne s’apercevra que l’ensemble de ces éléments figurent dans le schéma appliqué en Syrie.

Selon le forum social mondial, avant la guerre débutée en 2011, la Syrie ne connaissait pas de dette publique, les emprunts étaient sans intérêts, le système de santé et l’école étaient gratuites. Tout ceci n’est plus qu’un vieux souvenir. Vieux rêve également que le nationalisme arabe, seule alternative crédible au fondamentalisme islamique sunnite qui risque désormais d’emporter la région et la morceler au profit d’une Turquie néo-ottomane et d’un Grand Israël débarrassé de ses concurrents régionaux. Le président turc Erdogan, lors de son discours à Sakarya, a d’ailleurs déclaré qu’il compterait bien revenir sur les tracés frontaliers issus de la première guerre mondiale. « Il est fort probable que ce que nous appelons Alep, ce que nous appelons Idlib, ce que nous appelons Hama, ce que nous appelons Damas, ce que nous appelons Raqqa, deviendraient nos provinces, comme Antep, comme Hatay, comme Urfa. » Des propos raisonnant comme un écho à ceux du ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich qui déclare lui qu’Israël doit s’étendre jusqu’à Damas.

 

1 Le nationalisme arabe (1995) – Charles Saint-Prot

2 Le réveil de la nation arabe dans l’Asie turque (1904) – Negib Azoury

3 Un printemps arabe (1958) – Jacques Benoist-Méchin

4 Histoire des peuples arabes (1993) – Albert Hourani

5 Archive.wikiwix.com

6 Islamisme et Etats-Unis, une alliance contre l’Europe (1997) – Alexandre del Valle

7 La paix et la guerre, introduction générale aux problèmes de défense et de stratégie – Général J. Salvan

8 L’Orient Le Jour – 23 septembre 2003

22:58 Publié dans Tribunes libres, Un peu d'Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

Les commentaires sont fermés.