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jeudi, 29 mai 2025

Derrière Trump au pouvoir, les géants de la tech américaine… De l’utilité de la philosophie et de la religion, pour éviter de tomber de technolâtrie en technophobie

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« (…) Autant qu’on en peut juger, l’humanité est encore dans sa phase de jeunesse et, si elle arrive à éviter les dangers que peut lui faire courir sa propre puissance d’action sur le monde physique, elle est sans doute encore loin des scléroses et des décrépitudes ».

Louis de Broglie,

Sur les sentiers de la science,

Albin Michel, 1960. 

Didier Lecerf

États-Unis, Europe : au sein des milieux politico-médiatiques et d’une partie de la société, deux mentalités, deux attitudes, particulièrement mises en évidence depuis la victoire de Donald Trump… Anticonformisme, volontarisme et dynamisme débridé d’un côté de l’Atlantique ; frilosité, repli, attentisme et peur de l’avenir de l’autre…

À tort ou à raison, les géants de la tech made in USA, nourris du mythe américain, s’inscrivent manifestement - et résolument - dans une démarche volontariste ; ils regardent devant eux avec confiance ; ils voient loin. Les yeux pleins d’étoiles, ils imaginent demain et s’emploient à faire de leurs rêves des réalités, quitte à jouer les apprentis sorciers. Ils continuent de raisonner en termes de grands espaces, de frontières à repousser, de montagnes à renverser, d’accomplissement et de conquêtes… Ils ambitionnent, ils investissent, ils mobilisent, ils inventent, ils créent de la richesse, ils bâtissent des fortunes considérables...

Elon Musk, Jeff Bezos, Sam Altman aux États-Unis ; Sophie Binet, Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau en France…  

Elon Musk, placé par Trump à la tête du nouveau département de l’Efficacité gouvernementale, incarne parfaitement - Pour le meilleur ? Pour le pire ? - cette attitude décomplexée, désinhibée, face à demain. Il en est le mètre étalon. « On a envie de se réveiller le matin et de penser que l’avenir sera formidable – et c’est exactement ce que signifie être une civilisation spatiale. Il s’agit de croire en l’avenir et de penser que l’avenir sera meilleur que le passé ». Cette citation du multimilliardaire d’origine sud-africaine figure sur la page du site de SpaceX intitulée : « Mars et au-delà »… Syndrome d’Asperger de "haut niveau" oblige (intelligence supérieure à la moyenne, capacité à développer des talents remarquables mais déficience problématique dans les interactions sociales), Musk va de l’avant sans frein ni filtre. Ainsi, Starlink, sa constellation de plus de 6 000 satellites en orbite basse, fournit d’ores et déjà une connexion internet haut débit sur toute la surface de la Terre. Avec son lanceur lourd réutilisable Starship, il entend « rendre l’humanité multiplanétaire » ; objectifs de départ : la Lune puis la planète rouge. Il annonce également l’utilisation d’un milliard de robots humanoïdes dans le monde en 2050. Enfin, sa start-up Neuralink travaille sur des implants cérébraux (mais, peste François Berger, le directeur de l’unité BrainTech Lab de Grenoble, dans «  une vision purement transhumaniste, post-humaine » - Réélection de Trump, un nouveau moteur pour la conquête sapatiale ? Adrien Denèle, Science&Vie, mars 2025)… 

Pendant ce temps, en Europe et en France, nous nous mettons en situation d’avoir à subir cet avenir que la tech états-uniennes est en train de créer. Submergés par une forme de lassitude, nous nous laissons gagner par le doute, le pessimisme, la peur instillés par les discours anxiogènes de minorités actives, d’une partie des médias et du monde politique. Nous devenons frileux ; nous mettons sacs à terre ; nous ne faisons plus d’enfants et nous nous condamnons à regarder passer le train de l’innovation et de l’histoire. Un peu comme si nos ancêtres du XVIe siècle avaient choisi de rester sur la plage, face à l’océan, au lieu d’y lancer leurs vaisseaux ! Outre Atlantique, le futur est à écrire, à façonner, sans vraiment se fixer de limites ni se poser de questions ; sur le vieux continent, il devient pour beaucoup une terra incognita pleine de dangers, une source d’angoisses.

Les uns parlent de dérégulation, de baisse des impôts, de libération des énergies, de croissance, de maîtrise et d’exploitation des ressources naturelles, de prospection, de pétrole, de gaz de schiste, de terres rares, de métaux stratégiques, d’IA, d’ordinateur quantique, de robotisation, de conquête de l’espace, de transhumanisme… Les autres mettent en avant le réchauffement climatique, l’Anthropocène, les extinctions d’espèces, l’encadrement et le contrôle, la taxation, le développement durable, l’économie des ressources, le partage équitable des richesses, voire la décroissance, l’arrêt de la procréation, la fin du monde. 

Un avenir radieux ou odieux ?

Fondamentalement, qui a tort, qui a raison ? Où se trouve la vérité ? Quel est le chemin ? Il est difficile, somme toute, de répondre d’emblée à ces questions existentielles - qui portent sur le devenir de l’homme et de notre monde - d’une manière catégorique, définitive. L’histoire nous apprend que le futur n’est jamais vraiment blanc ou noir. Il est le résultat des besoins, des intérêts, des ambitions du moment, des priorités qui ont été arrêtées, de ce que l’on a bien voulu voir ou au contraire, voulu ignorer. Mais elle nous enseigne aussi que les pusillanimes, les attentistes, les abstentionnistes ont toujours tort.

Globalement, jusqu’à présent, l’avenir s’est traduit par le progrès scientifique, technique, technologique, l’augmentation des productions, l’amélioration du niveau et des conditions de vie. Mais demain ? Pour les générations à venir, nous sommes en droit, voire en devoir, de nous interroger. Depuis fort longtemps, l’humanité sait que le bien a pour ombre le mal. Beaucoup de nouveautés ont leur face sombre, malfaisante. L’atome éclaire et rase des villes. Dans la Genèse, le sixième jour, Dieu dit à l’homme et à la femme qu’il vient de créer : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la » ; il ne leur enjoint pas de la ravager, de l’enlaidir, de la  détruire ; et encore moins de prendre la place du Créateur pour manipuler la Création. L’homme est fait pour aller de l’avant, mais pas n’importe comment ni pour faire n’importe quoi.

Malgré tout, Français, Européens, n’ayons pas peur

Jadis, nos aïeux, à nous, Français et Européens, sont partis à la découverte, la conquête du monde. Ils ont montré la voie, ouvert des chemins. « La science moderne est la fille de (leur) étonnement et de (leur) curiosité » (Louis de Broglie). Alors, n’ayons pas peur. Entretenons « l’ardent désir de comprendre, l’appétit de connaissance » qui nous ont si longtemps habités.  Jean-Baptiste Noé, le rédacteur en chef de la revue Conflits, a raison d’écrire dans le numéro de janvier-février 2025 : «  Un pays qui n’innove pas, qui ne dispose pas d’entreprises de classe mondiale, qui ne forme pas d’élite, est voué à demeurer un nain. Quand, face à la dépense publique et à la suradministration, la réponse est de taxer toujours plus, c’est l’innovation et les talents qui sont réprimés et découragés. Taxer les profits d’aujourd’hui, c’est empêcher les inventions de demain. Pourquoi le pays des frères Montgolfier, de la naissance de l’aviation et de l’automobile, de Charles Nungesser et des frères Lumière n’a pas inventé l’iPhone, Tesla, Huawei ou les puces électroniques ? Si la France s’est faite à coups d’épée, elle s’est bâtie, aussi, à coup d’inventions et d’innovations. (…) À entendre les politiques et à observer les mesures économiques adoptées, c’est à se demander si les Français savent que la Chine existe, c’est-à-dire qu’il y a, en Asie, des pays décidés à prendre les premières places, à tenir les rênes du monde. Personne ne nous attendra ».

Français et Européens, nous appartenons à des nations de savants, d’ingénieurs, de créateurs. Ne laissons pas le capitalisme financier des États-Unis et le communo-capitalisme de la République populaire de Chine façonner seuls le monde à venir. Forts de nos longues histoires, de nos expériences, de l’ancienneté de notre questionnement, de la richesse des produits de notre réflexion, nous avons encore à faire entendre une voix singulière. Nous avons aussi, toujours, beaucoup à entreprendre, à apporter, car nous savons, depuis Rabelais, que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Un sujet classique de philo au bac : allez, vous avez deux heures !

Article publié dans le n°69 (printemps 2025) de la revue Synthèse nationale cliquez ici

12:19 Publié dans Didier Lecerf | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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