Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 04 septembre 2019

L’Europe doit se tourner vers l’Oural pour tracer son avenir

poutinefinal pp.jpg

Par Edouard Tétreau *

’Europe, de l’Atlantique à l’Oural. » Après les succès éclatants de sa diplomatie lors du sommet du G7 à Biarritz, Emmanuel Macron va-t-il mettre en œuvre la vision du général de Gaulle pour L’Europe, cinquante ans après sa mort ? L’Europe, cet immense territoire de 720 millions d’habitants, allant de Brest jusqu’aux montagnes de l’Oural, partageant depuis des siècles une communauté de destins souvent contrariés par les guerres et les rivalités internes.

Or aujourd’hui, ce ne sont pas les rivalités internes qui menacent la grande Europe, mais bien les deux puissances dévorantes du XXIe siècle : à l’est, la Chine de Xi Jinping, ses routes de la soie et sa capacité infinie à acheter terres, ports, ressources naturelles ; à l’ouest, les Etats-Unis de Donald Trump, et leur impérialisme numérique, juridque, monétaire et militaire éprouvé. Un drôle d’allié, qui ne cesse d’insulter ou de faire chanter ses partenaires.

La vocation de l’Europe est-elle de se laisser dominer par les Etats-Unis aujourd’hui, et piller par la Chine demain, ou bien de choisir une troisième voie : celle de l’autonomie stratégique ? Alors que la Grande-Bretagne de Boris Johnson nous tourne le dos pour s’aligner sur l’agenda américain, c’est vers l’est que nous devons désormais orienter nos initiatives stratégiques. L’Union européenne va perdre la Grande-Bretagne, ses 66 millions d’habitants, son PIB de 2,8 trillions de dollars, son budget militaire de 50 milliards de dollars, ses 215 têtes nucléaires ? La belle affaire. En faisant de l’Ukraine, de la Biélorussie, de la Géorgie, du Kazakhstan et de la Russie des partenaires stratégiques privilégiés, l’Europe continentale pourrait « gagner » 270 millions d’habitants supplémentaires générant un PIB de 2,4 trillions de dollars, possédant des ressources naturelles et énergétiques en abondance. Et 6.500 têtes nucléaires pour la seule Russie.

Comment réussir un tel rapprochement avec un Etat dont les mauvaises manières et la dangerosité sont constamment éprouvées ? Entre les thés au polonium en plein centre de Londres, les robinets de fake news sur les réseaux sociaux, la mise en œuvre de la doctrine Guerassimov pour saper les démocraties occidentales, la guerre hybride en Ukraine, le financement de quasiment tous les partis d’extrême droite européenne, la liste des exactions de la Russie en Europe est longue.

Avec un pouvoir russe fragilisé par son économie moribonde et sa contestation interne, le moment est venu de mettre un terme à cette délinquance, et de créer les conditions d’un New Deal. Nous avons les mêmes préoccupations existentielles : l’islamisme radical et les bombes démographiques latentes autour de la mer Caspienne et de la mer Noire et au sud de la Méditerrannée ; la rivalité sino-américaine pour le leadership mondial au XXIe siècle ; des démographies vieillissantes et donc des économies en croissance structurellement faibles.

A l’instar de la Communauté européenne qui s’est construite d’abord autour du charbon et de l’acier, le rapprochement entre la Russie et l’Europe pourrait démarrer par la mutualisation de ressources et de compétences clefs. Les énergies fossiles et nucléaires (le charbon allemand, le nucléaire français, le gaz russe) sont un premier domaine à explorer. Le numérique, où l’Europe se laisse quotidiennement piller et vassaliser par les infrastructures et plates-formes américaines aujourd’hui, demain chinoises, sera un autre chantier prioritaire. On souligne que la Russie possède un moteur de recherche efficace et indépendant (Yandex), mais qu’il lui manque un écosystème à la française d’entrepreneurs du numérique, d’écoles 42, de Station F, capables de générer de l’emploi et de la richesse. Les seuls hacking, bots, trolls et fake news les veilles d’élections en Europe n’aideront pas durablement ce grand pays, le plus vaste de la Terre, à sortir ses habitants de leur pauvreté (PIB par habitant équivalent à celui du Venezuela ou de Cuba).

Militairement, tout peut être envi- sagé : des exercices communs, et une remise en cause de la présence incongrue de la France dans l’Otan. Diplomatquement, les erreurs funestes de la diplomatie sarkozyste (courir derrière l’Amérique au moment où elle faisait son pivot vers l’Asie ; détruire l’Etat libyen pour favoriser la dispersion de son arsenal en Afrique, et les vagues migratoires) pourront être corrigées là où nos intérêts sont communs : en Afrique (Libye), au Levant (Syrie) et au Proche-Orient (Iran).

L’univers des possibles de la coopération franco-russe et russo-européenne est vaste. Elle réussira à trois conditions : 1) se donner des clauses de revoyure régulières pour évaluer la sincérité des engagements ; 2) convaincre les pays scandinaves et d’Europe de l’Est du bien-fondé de ce mouvement stratégique vers ce voisin envahissant ; 3) trouver les termes d’une paix durable en Ukraine, ce pays-frontière entre l’Europe catholique et la Russie orthodoxe, et qui doit le rester.

La dérive de nos alliés traditionnels anglo-américains, que l’on espère provisoire, nous oblige à préparer ce pivot vers l’Eurasie. Mais sans naïveté, et sans sacrifier nos alliés du nord et de l’est de l’Europe. La partie d’échecs entamée à Brégançon par le président Macron ne fait que commencer.

(*) Conseiller de dirigeants d’entreprises, fondateur et associé-gérant de Mediafin.

Source : Les Echos 04/09/2019

11:42 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

Les commentaires sont fermés.