dimanche, 26 février 2012
Sortir de la crise est possible … question de volonté
Entretien avec l’ancien ministre argentin des Finances, Roberto Lavagna
L’ancien ministre de l’Economie argentin Roberto Lavagna, 69 ans, est le principal artisan du redressement de l’Argentine engluée dans une terrible crise économique il y a dix ans. Lorsqu’il prend ses fonctions, en avril 2002, le peso vient d’être dévalué de 70 %, le pays est en cessation de paiement, la dette privée s’élève à plus de 72 milliards d’euros, l’inflation annuelle flirte avec les 125%, le chômage explose, les petits épargnants sont ruinés et les troubles sociaux ont déjà fait plus de 30 morts dans le pays. Cet ancien ambassadeur auprès de l’Union européenne décide immédiatement de se passer de «l’aide» du Fonds monétaire international (FMI) et des marchés financiers.
Quelles sont les similitudes entre la crise argentine de 2001-2002 et la crise grecque ?
Sur le plan économique, tout est semblable. L’Argentine avait établi une parité fixe entre le peso et le dollar, la Grèce est ficelée à l’euro, perdant ainsi le contrôle de sa monnaie. Un taux de change fixe, associant des pays à forte productivité et d’autres dont la compétitivité est beaucoup plus faible, ne peut qu’engendrer une crise. La Grèce est déjà dans sa quatrième année de récession, l’Argentine l’était aussi. Le déficit fiscal, le déficit des comptes courants, la chute vertigineuse du PIB, l’endettement, l’explosion du chômage… toutes les grandes données macroéconomiques sont similaires. En revanche, la situation sociale de la Grèce est bien meilleure qu’elle ne l’était en Argentine. Sur le plan institutionnel, l’Argentine était un pays isolé alors que la Grèce fait partie de l’ensemble économique le plus puissant du monde.
Comment avez-vous tiré l’Argentine du chaos ?
Dès mon entrée en fonction, en avril 2002, j’ai décidé de changer radicalement notre manière de penser la sortie de crise. Le mois suivant, j’étais à Washington pour rencontrer les dirigeants du FMI et leur expliquer que nos rapports allaient s’en ressentir. Depuis le début du marasme économique, en 1998, nous avions déjà eu deux programmes du Fonds pour un total de 51 milliards d’euros. Les deux avaient été des échecs retentissants et certaines voix s’élevaient pour demander une troisième tournée de quelque 17 milliards supplémentaires. Je n’ai pas voulu suivre cette voie et j’ai expliqué au Fonds que nous ne voulions plus de prêt et que nous sortirions seuls de la crise. La seule chose que j’ai demandée était un «roll over» [report, ndlr] partiel de toutes les échéances. Je me suis également engagé à payer les intérêts de la dette et une partie du capital. Mais pas tout et pas tout de suite.
Cette position était tout simplement impensable pour le FMI, car nous affichions notre volonté de fixer nous-même notre propre politique économique. J’ai dû leur expliquer trois fois de suite ma position avant qu’ils finissent par comprendre. A partir de là, nous avons arrêté de soutenir financièrement les banques alors que le FMI nous l’imposait, exigeant même que nous privatisions la Banque de la nation. Mais comme nous étions sortis du jeu, le Fonds n’avait plus de moyen de pression sur l’Argentine !
Vous avez donc œuvré contre le FMI et vos principaux créanciers ?
Les sorties de crise se font en dehors des chemins tracés par le FMI. Cette institution propose toujours le même type de contrat d’ajustement fiscal qui consiste à diminuer l’argent qu’on donne aux gens - les salaires, les pensions, les aides publiques, mais également les grands travaux publics qui génèrent de l’emploi - pour consacrer l’argent économisé à payer les créanciers. C’est absurde. Après quatre ans de crise, on ne peut pas continuer à prélever l’argent aux mêmes. Or, c’est exactement ce qu’on veut imposer à la Grèce ! Tout diminuer pour donner aux banques. Le FMI s’est transformé en une institution chargée de protéger les seuls intérêts financiers. Quand on est dans une situation désespérée, comme l’était l’Argentine en 2001, il faut savoir changer la donne.
Selon vous, les plans d’austérité et de rigueur ne sont pas nécessaires, mais c’est pourtant ce qu’on impose à la Grèce…
A tort, car l’argent prêté risque de ne jamais être remboursé et le déficit fiscal grec est plus élevé aujourd’hui qu’avant la première injection d’argent frais. Ce sont les mêmes éternelles erreurs. C’est le secteur financier qui impose sa manière de voir les choses au monde entier. On préfère sauver les banques plutôt que les gens qui ont des crédits immobiliers à rembourser. La première chose qu’on a faite, nous, c’est de rallonger les échéances pour les propriétaires endettés. Les fonctionnaires du FMI nous ont alors dit que nous violions les règles essentielles du capitalisme ! Ils oubliaient simplement que des gens ruinés ne consomment plus, ce qui obère une relance par la croissance. Au lieu de payer les banques, la Grèce devrait investir dans l’éducation, les sciences et la technologie, financer des infrastructures et récupérer ainsi une certaine productivité, ne serait-ce que dans les secteurs des services ou du tourisme.
Vous devez avoir beaucoup d’ennemis chez les banquiers…
Ils me détestent ! Ce qui ne les a pas empêchés, en 2005, de frapper à notre porte pour nous prêter de l’argent quarante-huit heures exactement après que nous avons terminé la restructuration de notre dette ! J’ai refusé ces offres intéressées en leur répondant que nous ne reviendrions pas sur le marché financier avant 2014, car nous n’en avions plus besoin. La dette sera alors de seulement 30% du PIB, la moitié des critères européens de Maastricht ! Je pense qu’un pays comme l’Argentine ne doit pas être tout le temps présent sur le marché financier. C’est un risque beaucoup trop grand d’augmenter à nouveau la dette. Le problème, c’est que ce sont les banquiers eux-mêmes qui estiment qu’il est positif pour l’image d’un pays d’emprunter à l’international. Il est clair que si je vendais des tomates, je trouverais très bien qu’on en mange ! Eux, ils vendent de l’argent.
Gérard Thomas à Buenos Aires pour Libération 2/02/2012
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