lundi, 10 décembre 2012
LE « SCANDALE » RICHARD MILLET...
Francis Bergeron
En 2009, les lecteurs de Synthèse nationale avaient eu leur attention attirée sur l’œuvre de l’écrivain Richard Millet. De ce point de vue, Synthèse nationale était tout à fait précurseur, à une époque où personne, dans le camp national, ne semblait avoir entendu parler de Richard Millet. L’homme – gros bonnet chez Gallimard – venait de publier La Confession négative, un récit largement autobiographique sur ses engagements politiques, contre les gauchistes et les communistes, au lycée, puis dans les rangs des phalangistes chrétiens, au Liban, à la fin des années soixante-dix.
A l’époque, quelques critiques (mais seulement quelques uns) avaient pincé le nez devant cette « littérature nauséabonde » (d’autant que Millet signalait avec une certaine jouissance qu’un membre de sa famille s’était engagé dans la Charlemagne !). Mais c’est surtout par le silence que le petit monde qui fait les réputations littéraires avait traité l’ouvrage. Pourtant Millet, déjà, apparaissait comme un écrivain majeur de l’époque : un style proche de celui de Proust, mais une violence dans les mots et les scènes, et une crudité, qui le situaient du côté de Céline.
Trois ans plus tard (et dix-sept livres plus tard, car notre écrivain a une redoutable production), Millet se retrouve au centre des débats de cette rentrée littéraire. Il vient en effet de publier deux petits pamphlets, qui, là encore, le rapprochent de ceux de Céline, quant au contenu, mais dans une France officielle qui n’admet plus, précisément, que l’on s’exprime comme Céline. Les objets de ce « scandale » sont les deux textes suivants : De l’antiracisme comme terreur littéraire, et Langue fantôme suivi de Eloge littéraire d’Anders Breivik. Dés la parution de ces textes, des voix ont commencé à s’élever pour que Millet soit renvoyé de chez Gallimard.
Chez cet éditeur (qui est l’éditeur de Céline, soit dit en passant), Millet est chargé de découvrir des talents, de travailler avec les auteurs, et éventuellement de les accompagner jusqu’à l’obtention de ces prix prestigieux qui transforment un livre en évènement et apportent parfois fortune à l’auteur et… à l’éditeur. Or il se trouve que Millet a découvert, partiellement réécrit, et accompagné Les Bienveillantes de Jonathan Littell prix Goncourt 2006), ainsi que L’Art français de guerre d’Alexis Jenni (prix Goncourt 2011). Gallimard est donc à présent sommé de se débarrasser de ce « fâcheux » d’extrême droite, accusé même de racisme et d’antipathie à l’égard de l’immigration extra-européenne. Mais en même temps Richard Millet est en quelque sorte le meilleur salarié de chez Gallimard. Et puis, côté talent, personne ne met le sien en doute, même ses pires persécuteurs. Chasser Millet de la maison Gallimard, cela ne risque-t-il pas de faire tâche, sur le plan de la littérature, alors même qu’en 1932, déjà, un Gallimard était passé à côté de Céline, publié alors par Denoël ? C’est seulement après guerre que « le plus grand éditeur de littérature » avait réussi à intégrer dans son écurie celui qui fait à présent figure de « plus grand écrivain du XXe siècle ».
Quel est le crime commis par Richard Millet ? Dans ses deux textes, aux titres, certes, provocateurs, il s’en prend au multiculturalisme. Il explique notamment que « Breivik est un enfant (…) de la fracture idéologico-raciale que l’immigration extra-européenne a introduite en Europe depuis une vingtaine d’années, et dont l’avènement avait été préparé de longue date par la sous-culture de masse américaine (…) ». Pas si mal vu, non ? Et, plus loin, il écrit encore : « Breivik est, comme tant d’autres individus, jeunes ou non, exemplaire d’une population devant qui la constante dévalorisation de l’idée de nation, l’opprobre jeté sur l’amour de son pays, voire la criminalisation du patriotisme, ouvrent un abîme identitaire ».
Le Nouvel Observateur, Le Monde, les écrivains Laclavetine, Tahar ben Jelloul, Annie Ernaux en appellent au lynchage en place publique. Invité à s’expliquer chez Taddéî, sur France 3, début septembre, Richard Millet s’est retrouvé devant une sorte de jury, que présidait le cacochyme ex-communiste Edgar Morin. Malheureusement Millet est un homme de cabinet, un homme de plume. Devant cet aréopage de salopards, il lui a manqué la verve et le talent dialectique d’un Zemmour, la facilité d’élocution d’un Robert Ménard, et sa prestation fut quelque peu lamentable. Mais peu importe : Millet, c’est d’abord une langue, c’est une pensée qui trouve toute sa force quand elle est couchée sur le papier.
En conséquence, outre les deux pamphlets précédemment cités, précipitez-vous sur Ma vie parmi les ombres et sa suite, La Confession négative, sur L’Opprobre, sur La Fiancée libanaise (ouvrages parus chez Gallimard), mais aussi sur Le Sentiment de la langue (La Table ronde et Champ Vallon), ou Fatigue du sens (éditions Pierre-Guillaume de Roux). Soit vous n’aimerez pas du tout ce style dense et pointilliste, soit vous vous direz que vous venez de rencontrer l’Ecrivain de ce XXIe siècle. Et pas seulement pour les idées. Mais dans un cas comme dans l’autre, vous rangerez ses livres, dans votre bibliothèque, du côté d’autres auteurs Gallimard, comme Céline ou encore Drieu la Rochelle. C’est d’ailleurs une citation de Drieu qui ouvre son Eloge littéraire d’Anders Breivik…
De Richard Millet (cette année) :
De l’antiracisme comme terreur littéraire, Ed. Pierre-Guillaume de Roux, 2012.
Langue fantôme suivi de Eloge littéraire d’Anders Breivik, Ed. Pierre-Guillaume de Roux, 2012.
Article de Francis Bergeron publié dans le n°29 (septembre octobre 2012) de la revue Synthèse nationale cliquez ici
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