dimanche, 29 décembre 2013
Entretien avec Arnaud Guyot-Jeannin. Cinéma : il faut mettre en place un protectionnisme français intelligent
Réalisé par Nicolas Gauthier pour Boulevard Voltaire cliquez là
L’année cinématographique 2013 est close. Grâce à notre système d’avance sur recettes, le cinéma français est le dernier à résister à la déferlante américaine. Système souvent critiqué, mais sans lui, quid du cinéma français ?
Je suis favorable au système d’avance sur recettes qui permet au cinéma français de résister au rouleau compresseur américain. Bien entendu, il est loisible d’émettre des réserves sur ce système qui fait coïncider cooptation avec entre-soi politique et culturel. Souvent, les films sont non seulement sans talent, sans public, mais d’un conformisme navrant. Mais nous n’avons pas le choix. En effet, si le cinéma est un art, il est avant tout une industrie.
Le 28 mai 1946 a été signé l’accord Blum-Byrnes, un pacte d’intérêts entre la France et les USA exigeant que toutes les salles de cinéma françaises projettent des films états-uniens, excepté une semaine par mois. C’était un moyen pour Hollywood de diffuser l’American way of life et, ainsi, de présenter la société américaine comme un modèle pour le monde. 300 millions de dollars ont été injectés sur le marché français, auxquels s’ajoute un prêt bancaire de 650 millions de dollars (respectivement 3,5 et 7,6 milliards de dollars, valeurs 2013). Depuis lors, les investissements américains n’ont cessé d’augmenter et l’invasion concomitante des sous-produits américains n’a cessé de se renforcer. Les avances sur recettes ne suffisent donc pas. Il faut établir une politique des quotas, mettre en place un protectionnisme français intelligent. Il y va de la survie du cinéma français : le protectionnisme ou la mort ! D’ailleurs, les Américains l’ont bien compris, en appliquant eux-mêmes ce protectionnisme.
En Italie et avant l’arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi, un système semblable existait en Italie, permettant à divers cinéastes de travailler, du plus « prestigieux » jusqu’au plus « modeste »…
Oui, c’est d’ailleurs l’époque où Cinecittà représentait le premier cinéma national dans le monde. Il a commencé à décliner à partir de la fin des années 70. Hollywood et Billancourt ont longtemps été supplantés par Cinecittà, en termes de qualité cinématographique, de nombre de spectateurs et de rayonnement culturel. Mais l’avance sur recettes participait plus largement d’un protectionnisme économique hérité du fascisme. À cet égard, n’oublions pas que Mussolini est le créateur de Cinecittà. On peut reprocher beaucoup de choses au Duce, mais certainement pas d’avoir minimisé la culture italienne en général, et le cinéma italien en particulier. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, une partie de la gauche – notamment les communistes – n’a fait que poursuivre cette politique.
Le cinéma italien plonge ses racines dans l’histoire. Il a été l’un des plus beaux au monde, le cinéma de l’ironie sur la condition humaine. Un genre prisé de façon paroxystique par les maîtres de la comédie (dramatique) italienne : Dino Risi, Mario Monicelli et Luigi Comencini.
Vous avez porté le deuil, en ces colonnes, de Georges Lautner et d’Édouard Molinaro. On attend la relève…
Personne ne peut remplacer Lautner et Molinaro. Ils sont uniques comme de nombreux autres metteurs en scène français décédés ! Bien sûr, parmi les vivants, celui qui s’en rapprocherait le plus serait certainement Francis Veber, qui a beaucoup travaillé avec eux en tant que scénariste, et qui a fini par passer à la mise en scène. Mais ses derniers films laissent assez perplexe. Et puis, nous vivons dans une autre époque, avec d’autres acteurs qui ne sont pas très enthousiasmants. Les Dany Boon, Gad Elmaleh, Patrick Timsit et consorts ne sont ni drôles, ni émouvants, ni représentatifs de notre génie national. Ils revendiquent d’ailleurs eux-mêmes leur cosmopolitisme et vivent la plupart du temps en dehors de France. Quant aux metteurs en scène, je n’en vois plus qui renvoient aux premiers critères, hormis peut-être Pascal Thomas, Lucas Belvaux, Philippe Harel, Christian Vincent et Philippe le Guay. Mais le seul vrai résistant qui réunit ces trois premiers critères est sans conteste Jean Becker. Un cinéaste artisanal réalisant le bel ouvrage. D’ailleurs, artisan signifiait artiste jusqu’à la fin du XVIIe siècle ! Le contraire de l’académisme que l’on reproche à Becker, avec de beaux films comme Les Enfants du marais, Effroyables jardins, La Tête en friche, etc. En revanche, ne s’agit-il pas là d’un cinéma de commémoration ?
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