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samedi, 26 avril 2014

Bruno MÉGRET : "Le projet du FN manque de crédibilité"

img_5355b8ac8e65e.jpgInterview de Ghislain DE VIOLET
Paris Match, le 14 avril 2014

L'ancien rival de Jean-Marie Le Pen au sein du Front national analyse la stratégie d'implantation engagée par sa fille. Et revient sur la campagne de 1995.

Il a d'abord hésité. Retiré de la vie politique depuis six ans, Bruno Mégret, 65 ans, ne se voyait pas mêlant sa voix au flot des commentaires d'actualité. Ni paraître régler de vieux comptes avec le clan Le Pen, pour qui l'ancien numéro 2 du FN reste à jamais le '' félon '' de la scission de 1999. Deux jours après le second tour des municipales, celui qui est toujours haut fonctionnaire au ministère de l'Ecologie accepte pourtant une rencontre dans un café du 7e arrondissement de Paris. L'occasion pour Bruno Mégret de revendiquer, avec un peu d'amertume, les bons résultats du mouvement bleu Marine. Car ces victoires sont aussi un peu les siennes.

Sans jamais citer son nom, Marine Le Pen a largement intégré une partie des préceptes mégrétistes. S'il a été l'homme fort de Vitrolles, dont lui et son épouse avaient fait un laboratoire frontiste dès 1997 (avec une polémique prime de naissance pour les enfants européens, cassée par la justice), Bruno Mégret a aussi été le premier à murir la stratégie de dédiabolisation, censée transformer le mouvement d'extrême-droite en un parti apte à gouverner. Plusieurs de ses fidèles à l'époque sont d'ailleurs aujourd'hui des proches de la présidente du FN. Comme Steeve Briois, responsable de la formation des militants et nouveau maire d'Hénin-Beaumont. Ou Nicolas Bay, directeur de la campagne des municipales.

De là à voir dans Marine Le Pen sa digne héritière, il y a un pas que Bruno Mégret ne franchit pas. Surtout en matière économique. Entre le frontisme d'inspiration plutôt libérale du technocrate Mégret et les accents prolétariens de la fille de Jean-Marie Le Pen, il y a visiblement bien plus qu'une génération d'écart.

Paris Match. Le Front national a remporté plusieurs villes et fait élire plus d'un millier de conseillers municipaux. C'est un retour à la situation de 1995 ?

Bruno Mégret. C'est une progression significative du Front national, après une décennie d'obscurité et de reflux. De ce point de vue, je m'en réjouis. Ceci étant, la configuration actuelle est tout à fait différente de celle de 1995. A l'époque, il y avait encore une classe politique qui, malgré toutes ses tares, tenait la route et un front républicain extrêmement virulent. Aujourd'hui, avec un pouvoir discrédité et une opposition inexistante, le système politique est en pleine décomposition. Lorsque mon épouse a été élue à Vitrolles en 1997, l'ensemble du gouvernement s'était mobilisé. Le Premier ministre en personne, Lionel Jospin, était venu faire campagne en faveur de notre adversaire. Ces villes avaient été conquises de haute lutte. Aujourd'hui, ce sont plutôt les digues qui cèdent ici ou là face à la marée qui monte.

Vous aviez engagé à l'époque un mouvement de professionnalisation, de formation de cadres locaux. Vous reconnaissez-vous dans la stratégie portée par Marine Le Pen ?

Il est indéniable qu'elle a mis en oeuvre deux axes qui étaient les miens lorsque j'étais au FN et ensuite au MNR (Mouvement national républicain, NDLR). Le premier c'est la dédiabolisation. J'ai toujours milité pour la fin des dérapages et des provocations. L'autre, c'est l'enracinement territorial. Nous avions accompli un travail considérable qui avait rendu possible l'implantation de cadres performants et formés un peu partout sur le territoire. Tous ces cadres sont d'ailleurs partis avec moi lors de la rupture de 1999. Il semble que ce travail d'enracinement ait repris.

Le Front national est-il dédiabolisé pour de bon ?

Il est certain que la diabolisation est de moins en moins crédible. D'une part parce que Marine Le Pen n'imite pas son père en multipliant les provocations, même si elle gère son parti un peu comme lui. D'autre part, parce qu'à force de crier au loup sans que jamais le loup ne vienne, la diabolisation perd de plus en plus de sa force.

Qu'est-ce qui vous a empêché de mener votre entreprise jusqu'au bout ?

C'est Jean-Marie Le Pen qui s'est opposé à la rénovation du Front national. Quand il a compris qu'une majorité du mouvement soutenait la ligne de dédiabolisation que je proposais, il a entrepris de m'éliminer. C'est ce qui a provoqué la scission. Et je regrette que le système ait soutenu Le Pen lors des élections européennes en 2000, car, si nous l'avions emporté, nous en serions bien plus loin aujourd'hui que ne l'est  le Front national.

Le bilan très contesté des municipalités FN n'a pas non plus aidé...

Dire que la gestion des villes FN a été mauvaise, c'est de la désinformation pure. Si je prends l'exemple de Vitrolles, que je connais le mieux, nous avons réduit l'endettement de 130 millions à 100 millions d'euros en six ans. Dans le même temps, il n'y a pas eu d'augmentation d'impôts. La taxe sur les ordures ménagères a été réduite de 25% et le prix de l'eau de 10%. C'est ce que j'appelle une gestion triple A. Et tout cela en continuant à investir, sans subventions ni du conseil régional ni du conseil général. Quant à la délinquance, elle a baissé de 17% sur la durée du mandat. Une bonne gestion qui a d'ailleurs valu à mon épouse d'être réélue en 2001 ! Même si un recours a ensuite cassé l'élection.

Le vote FN est-il aujourd'hui un vote d'adhésion, comme l'assurent ses dirigeants ?

Il y a une adhésion aux thèses traditionnelles sur la question de la sécurité et de l'immigration, c'est clair. Au delà, je ne le pense pas. Sur la question de l'économie ou celle de l'Europe, le projet du FN manque de crédibilité.

Vous pensez à la sortie de l'euro ? Ou à la retraite à 60 ans ?

Personnellement, je ne suis pas pour la sortie de l'euro. Je considère que la devise européenne devrait être utilisée pour servir les économies de l'Union comme le dollar sert l'économie américaine.  Il faut faire baisser le cours de l'euro d'au moins 30 % et obtenir que la Banque centrale européenne soutiennent financièrement les Etats, comme le font les autres banques centrales. Sur la retraite, je suis partisan d'aller au-delà des 62 ans, en instaurant par exemple un système de retraite par points, avec des départs à la carte dans une fourchette entre 60 et 70 ans.

Marine Le Pen, elle, a développé un discours beaucoup plus étatiste et antilibéral...

Le FN actuel, c'est le discours ancien de Jean-Marie Le Pen réorienté à gauche sur le plan économique. Moi je pense qu'il faut s'intéresser surtout à la situation des classes moyennes. La France, ce n'est pas seulement les classes défavorisées du nord de la France. C'est d'abord une majorité d'artisans, de chefs de petites entreprises, de cadres, de membres des professions libérales qui créent la richesse et qui sont systématiquement pénalisés.

Selon vous, le FN peut-il encore progresser ? Ou est-il arrivé à un plafond ?

Je pense que la configuration politique rend possible l'émergence d'une force alternative au système.

18:06 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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