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dimanche, 31 janvier 2016

Il était une fois le solidarisme

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Un entretien avec Francis Bergeron publié dans Rivarol :

A la fin des années 1960, les militants solidaristes affirmaient la nécessité d'une révolution. A la recherche d'une troisième voie entre le capitalisme et le communisme bureaucratique, ils rejetaient la logique des Blocs de la Guerre Froide. Durant dix ans, ils allaient être à la pointe de la réflexion et de l'action révolutionnaire. Francis Bergeron fut l'un d'entre eux.

Rivarol : Le solidarisme est un courant politique très particulier. Comment le définissez-vous ?

Francis Bergeron : C’est un mot en « isme », qui entend marquer la préoccupation sociale au sein du courant national, et l’idée d’une convergence possible entre deux courants trop souvent opposés dans le passé.

Le mot « socialisme » était employé avant la guerre de 14 par beaucoup de patriotes. Chez Maurice Barrès, par exemple. Mais à présent c’est un mot connoté à gauche. Il est notamment revendiqué par le courant communiste. Or le « socialisme réalisé », ce fut le Goulag, les famines, les millions de morts, la plus grande catastrophe de l’histoire de l’humanité. Quant à l’accoler avec l’adjectif « national », ce ne serait peut-être pas une bonne idée…

A la fin des années soixante, nous n’étions « ni de droite ni de gauche mais en avant ! », et ne voulions « ni trusts ni soviets », « ni capitalisme, ni marxisme » ; mais nous souhaitions aussi pouvoir nous définir par un mot résumant cette troisième voie que nous prétendions construire.

Le mot « nationalisme », utilisé par les maurrassiens et l’extrême droite traditionnelle ne mettait l’accent que sur le côté patriotique.

Nous avions trouvé ce mot « solidarisme » chez les Russes anticommunistes du NTS (Le Narodny Troudovoy Soyouz ou Union Populaire du Travail), et les Flamands du DSB (Joris van Severen). Au début de la IIIe République, en France, Léon Bourgeois avait également essayé de populariser ce mot, en tant que troisième voie (mais positionnée au centre).

D’autre part le mot « nationalisme » renvoyait à l’idée de la France seule, alors que notre courant était très européiste (face au bloc communiste) et favorable au concept d’Eurafrique, l’idée que l’Europe et l’Afrique avaient un destin commun. Thème que l’on trouvait chez Pierre Sergent et dans la littérature OAS

Vous avez participé à plusieurs organisations de cette mouvance dans votre jeunesse. Que gardez vous de cet engagement radical ?

J’en garde d’abord ce que gardent tous ceux qui sont passés par des mouvements extrémistes, dans leur jeunesse, de droite ou de gauche, d’ailleurs : le goût de l’action, l’absence de la peur physique, une certaine indifférence au « qu’en dira-t-on », une hiérarchie des valeurs quelque peu différente de celle du commun des mortels, et aussi une capacité à parler en public et à écrire.

La politique, le scoutisme et le service militaire (quand il existait), sont d’excellentes écoles de formation au management et leadership comme on dit aujourd’hui. Les extrémistes de droite et de gauche des années soixante dix n’étaient pas bien nombreux, en fait. Quarante ans plus tard, ils sont partout, jusqu’à la présidence du vénérable Sénat !

Bernanos dit quelque part que celui qui n’a pas été extrémiste avant trente ans est un salaud ou un saint. Je n’étais ni un salaud ni un saint…

Je me rends bien compte de la part d’utopie et d’immaturité de nos idées de l’époque. Vouloir construire un corpus doctrinal de A à Z ! Mais je garde la nostalgie d’une époque où je voyais le monde en noir et blanc, les « bons » et les « méchants ». Comme dans Tintin. La découverte que le monde est trop rarement noir ou blanc, mais surtout gris, est finalement assez pénible !

Pouvez-vous retracer les principales étapes de ce courant à partir de la fin des années 1960 ?

Le Mouvement Jeune Révolution (devenu Mouvement Solidariste Français par la suite) a été constitué par des anciens de l’OAS Métro Jeunes ou OMJ. Leur grand homme – notre grand homme - était Pierre Sergent. Quand Sergent est revenu d’exil, il semble ne pas avoir été très séduit par ce groupuscule. Et du coup le mouvement s’est cherché d’autres causes faisant un peu appel aux mêmes ressorts que l’OAS : esprit de résistance, action secrète ou au moins discrète etc. Et nous avons rencontré les Russes du NTS et toute l’action (parfois clandestine) tournée vers l’Europe de l’Est.

Parmi les plus activistes, le Groupe Action Jeunesse ( GAJ) se fit remarquer en son temps par son style musclé. A quoi tenait le succès de ce groupe de « jeunes turbulents » ?

Le GAJ a été au départ une scission du GUD. Ce dernier mouvement était accusé par certains de ses militants d’être trop proche du pouvoir giscardien (pour faire simple). Les scissionnistes ont rejoint le Mouvement Solidariste.

Mais c’était surtout l’esprit de la bande, les valeurs viriles de la bagarre qui motivaient tout ce petit monde. A l’époque, aux deux extrêmes, nous étions beaucoup plus violents qu’aujourd’hui. Les batailles rangées à coups de manches de pioche étaient fréquentes. Le pouvoir laissait faire. Peut-être les moyens de la police n’étaient-ils pas aussi sophistiqués qu’aujourd’hui.

Entre GAJ et GUD, ce fut une surenchère d’activisme ; puis GAJ et GUD s’affrontèrent, comme deux bandes de quartier se disputant un trafic de drogue. Ce qui était parfaitement ridicule.

Les solidaristes prirent fait et cause pour les dissidents d'Europe de l'Est durant la Guerre Froide. Quelles furent les formes de cette action de solidarité ?

Cette partie est la plus intéressante de l’histoire du solidarisme. Le mouvement solidariste a constitué un véritable vivier pour les organisations de résistance à l’Est. Chaque semaine des hommes et des femmes partaient en URSS, emportant des livres, des lettres, des revues, dissimulés dans leurs bagages ou à même le corps. Il n’y avait pas de scanners, à l’époque !

Et ils repartaient à l’Ouest, en rapportant d’autres courriers, des photos, ou encore des samizdats, ouvrages autoédités, que des maisons d’édition russes implantées en Occident pouvaient alors éditer et diffuser (Possev ou Ymca, notamment). C’est dans ce cadre que j’ai croisé la route de quelques dissidents qui eurent leur heure de gloire, comme Maximov et Guinzburg, ou encore Vadim Delaunay.

Le job était risqué et les jeunes militants du mouvement solidariste avaient peut-être moins froid aux yeux que la moyenne. C’est pour cela que les solidaristes russes venaient y chercher des volontaires.

Vous avez été expulsé d'URSS après une opération spectaculaire sur la Place Rouge. Comment avez vous vécu cette aventure ?

Ces allers-retours entre Paris et Moscou ou Paris et Léningrad (le plus souvent) pouvaient mal se terminer : une filature, une fouille, une arrestation. Et il y avait parfois des opérations spectaculaires et symboliques, des manifestations publiques de jeunes Occidentaux, en soutien à des prisonniers du Goulag. Ces jeunes Occidentaux risquaient tout de même moins que les gens du pays. Au maximum : six mois de prison, peut-être. C’est dans ce cadre que j’ai été arrêté, sur la Place Rouge, avec mon ami Jacques Arnould (qui dirige aujourd’hui les fameux Chœurs Montjoie Saint-Denis). C’était il y a 35 ans, déjà…Nous avons été très rapidement relâchés. Les relations entre la France et l’URSS, à cette période-là n’étaient pas mauvaises…

Les solidaristes français étaient en contact avec les solidaristes russes du NTS. Pouvez-vous rappeler l'histoire et l'originalité de ce groupe très particulier ?

Le NTS – ou Narodny Troudovoy Soyouz – (Union Populaire du Travail) était un mouvement de résistance clandestin, dans la mouvance du grand ministre réformateur du Tsar, Piotr Stolypine. Stolypine était un visionnaire et un homme de convictions. Il aurait pu sauver la Russie de la catastrophe bolchevique. Mais il a été assassiné en septembre 1911 par un agent bolchevique nommé Bogrov.

Le NTS a été créé par des exilés russes, en particulier Arcady Stolypine, le fils de Piotr.

L’intérêt du NTS, c’est qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un mouvement politique de l’émigration russe. Il y avait, en URSS même, des résistants clandestins du NTS. Tous ceux qui ont été pris, ont été liquidés par les communistes.

Rue Blomet à Paris, au siège français du NTS, on pouvait voir les photos de tous ces martyrs. Le NTS a été très actif pendant plus de cinquante ans. Et ses principaux militants sont partis s’installer en Russie après la chute du mur de Berlin.

Alain Escoffier, le 10 février 1977, fit le choix de s'immoler par le feu pour attirer l'attention de l'opinion française sur la situation en URSS. Quel était le sens profond de cet acte et comment ce sacrifie fut- il perçu par les militants solidaristes ?

Alain Escoffier fait partie de ces solidaristes très marqués par ces actions en direction de l’Est. L’une de nos idoles était Jan Palach, ce jeune Tchèque qui s’était immolé par le feu, place Venceslas, en janvier 1969, face aux chars soviétiques. Il est bien certain que tout ceci a influencé notre camarade.

J’ai porté son cercueil à l’église. Je ne crois pas du tout que son sacrifice ait été inutile.

En France sa mort avait eu un certain retentissement. Mais plus encore dans les pays de l’Est, où les opposants cherchaient constamment des raisons d’espérer. Les informations parvenaient de l’autre côté du rideau de fer ; et l’idée que de jeunes Occidentaux luttaient pour leur liberté était un puissant réconfort pour les résistants anticommunistes.

Vous avez participé, avec d'autres militants solidaristes ou nationalistes français et européens, aux combats de la guerre du Liban au coté des milices chrétiennes. Pourquoi cet engagement, qui a conduit Stéphane Zanettaci, ancien responsable du SO du GAJ, à tomber les armes à la main ?

Stéphane Zanettacci est mort lors du siège de Tall El Zaatar, le camp palestinien « nettoyé » par les chrétiens. C’est à cause de moi qu’il est parti là-bas. Quand je suis revenu de mon premier séjour (avec Jacques Arnould et quelques autres, nous étions les tout premiers Français engagés dans ce combat), je l’ai raconté à Stéphane… qui m’a dit que la cause des chrétiens du Liban n’était pas notre cause ! Quelques mois plus tard, j’apprenais sa mort au combat, dans ces mêmes troupes libanaises !

A l’époque, dans la presse « progressiste » française, les chrétiens du Liban étaient présentés comme des sortes de colonialistes ou de « sud-africains », faisant suer le burnous aux pauvres musulmans exploités. Evidemment, aujourd’hui, plus personne ne ferait ce genre d’analyse. La réalité de la montée de l’islamisme – dont les chrétiens libanais furent les premières victimes – n’est plus contestée.

Comment expliquer la disparition du solidarisme au début des années 1980 ? Quel bilan tirez-vous de cette fantastique expérience ? Pensez-vous que l'esprit solidariste est encore vivant ?

Il faut bien comprendre que l’âge moyen, dans ces groupuscules, tournait autour de 20 ans. J’y ai milité de 1969 à 1977, soit de 16 à 24 ans, et je crois être une sorte d’ « échantillon représentatif ». La fin des études, le service militaire, le mariage constituaient des ruptures du mode de vie qui éloignaient de fait, et souvent définitivement, les anciens camarades. Car il n’y avait pas de « branche adulte » du solidarisme français.

Beaucoup d’anciens solidaristes sont partis explorer les horizons lointains, avec la Guilde européenne du raid, et les missions en l’Afghanistan, auprès du commandant Massoud. Quelques-uns ont poursuivi des engagements politiques, une minorité, au fond.

Et Jean-Pierre Stirbois – qui était l’un des rares adultes : il était né en 1945 – a ramené quelques rescapés du solidarisme dans le giron d’un Front national naissant.

Propos recueillis pour Rivarol par Monika Berchvok

Sous le signe du Trident

C'est en 1970 que le MJR prend comme insigne le trident, déjà adopté par le NTS russe. Il signifie l'union dans un même combat des forces vives de la nation : Les ouvriers, les paysans et les intellectuels. Le trident est un symbole de lutte populaire : luttes paysannes et de libérations nationale. Pour le MJR, le MSF et le GAJ il s'agit également de se distinguer des nationalistes qui ont chois la croix celtique.

Le dernier livre de Francis Bergeron « Georges Remi dit Hergé » est disponible aux éditions Pardès ( 44 rue Wilson – 77880 Grez-sur-Loing) , coll. Qui suis-je ?, 128 pp., illustré, 12 euros.

11:10 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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