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mardi, 23 février 2016

Un entretien entre Franck Abed et l'historien Jean-Baptiste Noé

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J’ai interrogé Jean-Baptiste NOE, historien et écrivain, au sujet d’une discipline qui m’est chère : l’histoire. Cette matière aujourd’hui, mais déjà hier, reste un enjeu fondamental pour toutes les générations. Comment définir l’histoire ? Est-il légitime pour un peuple d’aimer son histoire ? L’entretien évoque également les programmes d’histoire de l’Education Nationale et les lois mémorielles. Mon invité du jour présente aussi ses personnages historiques préférés et les raisons de ses choix. Devant les désastres intellectuels quotidiens que nous vivons, les plus anciens ont une responsabilité énorme envers les plus jeunes dans la transmission du savoir. Cela passe – entre autres – par de saines lectures….

Franck ABED

Franck ABED : Comment définiriez-vous l’histoire à une personne ne connaissant pas cette discipline intellectuelle ?

Jean-Baptiste NOE : L’histoire n’est pas l’apprentissage des dates ou la mémorisation d’une chronologie descriptive. Il est difficile d’en donner une définition délimitée, car c’est une science qui englobe de nombreux champs du savoir humain. Dans L’étrange défaite, Marc Bloch a cette formule frappante pour définir ses contemporains, et comprendre les causes de la défaite de 1940 : « Nous pensions en retard ». L’histoire permet de penser à l’avance et de remettre les faits à l’endroit, en comprenant les enchaînements des causes et des conséquences de l’agir des hommes, en prenant conscience du substrat culturel qui sous-tend toutes les civilisations et tous les peuples. L’histoire permet de comprendre et de connaître même ceux qui nous sont lointains, par le temps et par la culture, et donc de rentrer en dialogue avec eux. Compréhension de soi-même et des autres, l’histoire est une discipline qui permet d’établir la paix et la concorde entre les peuples et entre les hommes.

Comprenez-vous que les Français soient fiers de leur histoire nationale ? Pensez-vous que toutes les histoires nationales se valent ?

Chaque peuple doit être fier de l’histoire de son peuple. La fierté de soi-même est une condition nécessaire à la survie de sa culture. C’est en étant attaché à son histoire que l’on peut le mieux comprendre l’histoire des autres peuples, et donc comprendre leurs spécificités. Quant à l’histoire de France, il est vrai qu’elle est particulièrement riche et dense. Trop souvent on se concentre sur l’histoire politique et militaire, ce qui est assez restrictif. C’est oublier que l’histoire économique et culturelle de la France est elle aussi très riche. Pensons à nos grands inventeurs ou découvreurs, les Michelin, Montgolfier ou Wendel. La France a un rôle particulier dans l’histoire de l’Europe et du monde. Elle en est consciente, même si elle a tendance, depuis quelques décennies, à renier son histoire. C’est parfois en allant voir chez les autres que l’on se comprend mieux soi-même, et c’est en comprenant l’attachement des autres peuples pour l’histoire et la culture de la France que nous nous rendons compte de sa spécificité.

Que pensez-vous des programmes d’histoire de l’Éducation Nationale pour les collèges et lycées ?

Ils sont creux et vides. Les élèves qui ont eu le malheur de subir ces programmes au long de leur scolarité sortent de douze ans d’école en ne connaissant pas grand-chose. Le plus grave, c’est que des professeurs appliquent ces programmes. Ils devraient soit refuser de les appliquer, pour le bien de leurs élèves, soit quitter l’Éducation Nationale. Tant que nous n’aurons pas la liberté scolaire, tant que nous n’aurons pas des facilités juridiques et financières pour créer des écoles libres, c’est-à-dire des écoles où professeurs, programmes et pédagogie sont choisis et non subis, nous ne pourrons pas résoudre les problèmes engendrés par l’Éducation Nationale.

Les jeunes générations sont-elles encore intéressées par l’histoire ? Existe-t-il une méthode, une technique pour leur enseigner cette merveilleuse discipline ?

Avec les programmes qui leur sont infligés, ce serait miracle que des élèves aiment cette discipline. La meilleure des méthodes est de leur montrer ce qu’est véritablement l’histoire : la connaissance du passé pour la compréhension du présent, la transmission de la culture, pour édifier des intelligences. Il est essentiel de prendre les élèves au sérieux, de leur montrer qu’ils ont beaucoup de choses à apprendre, et qu’ils s’inscrivent dans une longue chaîne de transmission et de partage, dont ils sont les héritiers et qu’ils devront transmettre à leurs enfants. Il faut aussi insister sur les personnes : l’histoire est faite par les hommes. Présentez des biographies, évoquez des peintres et des créateurs. L’histoire va de pair avec la géographie : il faut apprendre aux élèves à lire les paysages. Pouvoir reconnaître dans une ville l’empilement des siècles et l’enchevêtrement des activités. Pouvoir situer un bâtiment dans le temps et comprendre sa fonction au long de son histoire.

Pourriez-vous nous présenter vos trois personnages historiques préférés et les raisons de ces choix ?

S’il fallait en choisir trois, je nommerais ceux-ci : saint Benoît de Nursie, Alexis de Tocqueville et André Michelin. Saint Benoît de Nursie, car c’est un des pères de l’Europe. Il a certes apporté une des règles monastiques les plus suivies dans les monastères, mais il a surtout imprégné le christianisme dans les campagnes et dans les villes, et il a contribué à fonder le long manteau de monastères et d’églises qui marquent nos paysages et notre forma mentis. Alexis de Tocqueville, parce que c’est un modèle d’historien : attaché aux faits et à la réalité, il analyse et il démontre sans se tenir aux idéologies, et allant souvent contre sa famille de pensée. C’est également un grand écrivain, dont la plume alerte et précise sait magnifier la pensée et la démonstration.

André Michelin, parce que c’est le fondateur de l’une des sociétés les plus connut en France et dans le monde. C’est à lui également que l’on doit la création du guide Michelin, en 1900, hommage à la gastronomie et à l’art de recevoir qui est un des traits marquants de la culture française. Michelin est une des plus belles images de la longue chaîne des entrepreneurs et des inventeurs qui ont façonné l’histoire du pays.

Que pensez-vous des lois mémorielles (Gayssot, Pleven, Rocard, Taubira) qui suppriment la liberté d’expression et de recherches tout en fixant dans le marbre de la loi des faits historiques ?

Ces lois sont la conséquence de postures politiciennes. Elles n’ont pas été votées pour permettre une meilleure compréhension de l’histoire, mais pour soumettre la recherche historique à la nécessité politique. Elles sont le témoin d’une régression intellectuelle de la France. Elles montrent qu’il est difficile de réfléchir et de débattre sereinement, en ne se fondant que sur la raison et le logos. Le politique essaye de capter l’histoire à son profit, en la déformant et en la manipulant. Ce n’est pas nouveau, et ce n’est pas bon, ni pour l’histoire ni pour la politique. Avec ses lois nous quittons le logos et même l’histoire telle qu’elle a été engagée par Thucydide, pour revenir au mythe, le muthos des premiers Grecs. C’est une régression intellectuelle de grande ampleur : le politique veut, par la loi, changer la réalité et la nature de l’homme. Nous sommes là dans le constructivisme le plus dangereux et le plus néfaste, celui qui nie la liberté humaine.

Propos recueillis par Franck ABED le 22 février 2016

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