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jeudi, 18 mars 2021

Troisième partie de l'entretien avec Franck Buleux sur Pierre Poujade publié sur Metainfos

Ni capitalisme, ni marxisme, une troisième voie. 2.jpg

Entretien publié sur le site Metainfos cliquez ici

Propos recueillis par Michel Lhomme

Permettez-moi d’inaugurer avec vous un « troisième poujadisme », je le situerai avec l’arrivée de De Gaulle en 58, que fait alors Pierre Poujade ? Anti-gaulliste dans ses écrits et ses publications, il soutiendra pourtant toujours De Gaulle et les gaullistes me semble-t-il au second tour de chaque élection ? N’est-il alors que l’idiot utile du Général ? Que fera-t-il par exemple en 68 et après en 81 ? Deviendra-t-il pompidolien, giscardien, mitterrandien, « droitard », « gauchard » ce que j’appelle personnellement la « drauche » en somme ? En quel sens Poujade est-il vraiment de « droite » ?

Oui, comme je l’ai rappelé précédemment, à partir du 19 décembre 1965, la réélection de De Gaulle au suffrage universel direct face à l’opposant socialiste Mitterrand (55 % contre 45 %, ce qui est loin d’être le plébiscite attendu et souhaité par un homme qui se pensait être réélu, sans campagne, dès le premier tour…) Poujade fait partie de la majorité présidentielle… jusqu’à son décès, ou presque et c’est un tour de force car la majorité présidentielle évolue, de droite à gauche puis de gauche à droite. En effet, sa disparition en 2003 lui aura permis de soutenir Chevènement en 2002 (seule erreur de casting présidentiel depuis le second tour de 1965) mais il appela, évidemment, à « barrer la route » à Le Pen au second tour. Un peu impardonnable car, lui, Poujade, que l’on avait traité de « nazi » ne pouvait pas ne pas savoir que la méthode dite de reductio ad hitlerum ne pouvait que nuire à la personne ainsi décriée. Fallait-il que l’inimitié de Poujade envers Le Pen soit si immense ?!…

Pour être plus sérieux (car le second tour de la présidentielle de 2002 relève plus de l’hystérie collective que de la réflexion politique et de l’expression électorale libre et démocratique – certains mairies avaient même installé des pédiluves pour se « purifier » avant de voter forcément contre Le Pen), après 1965, Poujade se convertit au « gaullisme de droite », privilégiant ainsi les contacts avec le futur président (et Premier ministre) Georges Pompidou et ses proches. Au décès de ce dernier, en avril 1974, il mena une campagne active (c’est lui qui l’écrit) en faveur de Valéry Giscard d’Estaing en diffusant, auprès des travailleurs indépendants, une missive de soutien au candidat des républicains indépendants (RI). Poujade, d’ailleurs, n’hésite pas à faire passer le message post-électoral suivant : sans son action (épistolaire) auprès des commerçants et des artisans, et compte tenu du faible écart de voix entre les deux belligérants, les socialo-communistes auraient pris le pouvoir en 1974, ce qui d’ailleurs ne l’empêcha pas, déçu par les droites, de soutenir l’élection de François Mitterrand dès le premier tour de 1981 et de participer à sa réélection en 1988 (sous l’égide du slogan « branché » ou « bléca » : « Tonton, laisse pas béton » comme le demandait la pétition de soutien lancée par le chanteur Renaud à cette époque). Poujade avait d’ailleurs coutume d’indiquer qu’il choisissait toujours le vainqueur, tel un « Madame Irma » de la politique…

Ces choix électoraux lui permirent d’obtenir quelques prébendes dans différents cercles, comme le Conseil économique et social (CES, devenu le Conseil économique, social et environnemental, CESE, en 2008). Il représenta aussi les intérêts français en Roumanie où il rencontra certains de nos amis qui s’y étaient installés.

Quand datez-vous la fin du poujadisme proprement dit ? N’est-ce pas alors la fin de la défense des commerçants absorbés par les super et les hyper ? Que peut-on dire de Gérard Nicoud et quels liens idéologiques ou personnels entretenait-il avec Pierre Poujade ?

Politiquement, Poujade a un sursaut « droitiste » en 1979 lorsqu’il participe avec Philippe Malaud, ancien ministre et dirigeant du CNIP, et le maire de Nice, giscardien en passe de devenir chiraquien, lui aussi ancien ministre, Jacques Médecin, à une liste « divers droite » teintée de corporatisme aux premières élections européennes au suffrage universel direct, intitulée, Union de défense interprofessionnelle pour une France indépendante dans une Europe solidaire. La liste plafonne à 1.4 % des exprimés et n’a pas d’élu (il faut mobiliser 5 % des suffrages au minimum pour entrer au Parlement européen, selon le mode de scrutin français), devançant de peu la liste de l’Eurodroite emmenée par maître Jean-Louis Tixier-Vignancour, qui obtient 1.3 % des suffrages exprimés. Il est vrai que Poujade et Tixier n’ont jamais pratiqué l’union (ou très peu lors de quelques votes au Parlement en 1956), même lorsque cela aurait pu être le cas en 1956, puisque Tixier était député non inscrit, (candidat du Rassemblement national français qu’il a fondé) élu des Basses-Pyrénées (devenues Pyrénées-Atlantiques), notamment contre une liste poujadiste.

Ensuite, Poujade fut candidat sur la liste emmenée par Gérard Nicoud lors des deuxièmes élections européennes en 1984. Le score obtenu fut piètre, seulement 0.7 % des suffrages exprimés. Peut-être permit-il à la liste communiste de devancer de quelques dixièmes de points celle de Le Pen (11.2 % contre 10.9 %) compte tenu de l’amertume de Poujade contre celui qu’il avait lancé dans le bain politique en 1956. En effet, Poujade n’hésitait jamais, lors de ces entretiens, à indiquer tout le regret qu’il avait d’avoir « créer Le Pen » (sic) en l’envoyant siéger, à 27 ans, à l’Assemblée nationale. Le mythe du créateur face à sa créature est éternel…

Poujade aida donc la CID-UNATI (Confédération intersyndicale de défense et Union nationale d’action des travailleurs indépendants) dirigée par Gérard Nicoud à s’imposer dans le paysage des commerçants de France dans les années 1970 et le début des années 1980 puis s’éloigna de toute implication publique après l’échec de la liste UTILE (Union des travailleurs indépendants pour la liberté d’entreprendre) en 1984.

Il est vrai que les grandes surfaces avait déjà pris le dessus au niveau financier et qu’il était difficile de soutenir, à partir de la décennie 1970, l’interdiction de s’installer de magasins permettant aux Français de conserver un certain pouvoir d’achat, entre deux crises pétrolières (1973 et 1979) et la poussée inexorable, à compter de cette époque, du nombre de chômeurs, qui atteint rapidement le million. L’ « ère Auchan » laisse peu de place à la défense du commerce de proximité : il y a des enjeux financiers, des constructions de zones industrielles, des dessous-de-table versés aux élus, des négociations fondées sur le besoin d’emplois à préserver dans tel ou tel bassin de vie…

Vous comprendrez facilement que mon intérêt pour Poujade nous ramène à la fois à la jacquerie populaire quasi-insurrectionnelle des Gilets Jaunes réprimée avec une violence inouïe, à la dictature sanitaire avec son confinement, la fermeture des commerces « non essentiels », la mort en cours des centres villes, la fin des artisans, comment dans l’état où se trouve actuellement le petit commerce expliquer l’oubli de Pierre Poujade en 2021 ? Peut-on considérer le poujadisme comme une forme de populisme ratée ? Comment expliquer que dans la France de 2021 aucune force politique, y compris à droite, ne prenne réellement la défense du commerce ?

Par rapport à ce que je viens d’indiquer, la défense du commerce a laissé la place à d’autres intérêts. Toutefois, nous l’avons vu, il y a des résistances, des souhaits de retourner vers une société à taille humaine. La défense du commerce manque de pugnacité, cette action devrait se caractériser, selon moi, par une volonté plus large de protection d’un paysage identitaire français. Plus que la défense du commerce, c’est la protection de nos régions qui devrait inclure cela. Sur l’affiche officielle de François Mitterrand, imaginée et conçue par le publiciste Jacques Séguéla, « l’homme à la Rolex à 50 ans » en 1981, il y avait un village et un clocher. Que sont devenus ces symboles, car ce n’était que des symboles. La droite française, surtout quand on voit ses scores dans la plupart des métropoles, serait bien inspirée de s’intégrer dans un projet régional français qui permettrait le maintien d’une certaine jeunesse (pas les « jeunes » des médias, les autres) au cœur de leurs territoires. « Vivre et travailler au pays » était un slogan de la CFDT, syndicat proche des socialistes, dans les années 1970, il serait probablement temps de le réinventer. La CFDT n’a probablement pas déposé le slogan auprès de l’INPI, s’agissant à l’époque, plus prosaïquement, de soutenir chevelus et crasseux du Larzac plutôt que l’enracinement des Français. Le poujadisme, c’est aussi cet esprit, celui du respect des territoires que reprend d’ailleurs de manière très opportuniste quand on connaît le pouvoir de nuisance qu’a exercé dans les coulisses de manière très efficace notre premier ministre actuel Jean Castex (ancien bras droit du bordelais Juppé et principal artisan du sabordement de Fillon en 2017). Bien évidemment, le respect des territoires c’est aussi leur développement, notamment avec le maintien des services publics de base mais nous ne sommes pas en train de rédiger un programme même si le slogan « La Corrèze avant le Zambèze » peut être porteur d’avenir.

Dans un entretien sur Pierre Poujade, nous ne pouvons ne pas évoquer les rapports de Pierre Poujade avec son député le plus célèbre, Jean-Marie Le Pen, pouvez-vous nous rappeler brièvement la rencontre Poujade/Le Pen, le rôle de député poujadiste exercé par Jean-Marie, et ensuite, les rapports soutien ou absence de soutien de Poujade au lepénisme ?

Dans le tome 1 de ses Mémoires, paru en 2018 chez les courageuses éditions Muller, Jean-Marie Le Pen nous fait vivre son retour au sein de la mère-patrie après l’Indochine où il a combattu comme volontaire, son envie – avec Jean-Maurice Demarquet, un autre jeune revenu d’Indochine avec une passion pour la vie de la cité et qui deviendra pharmacien – de faire de la politique. C’est le président des anciens d’Indochine, l’auteur Roger Delpey, déjà connu pour son livre Soldats de la boue qui va d’abord le présenter au gaulliste de droite, le commissaire de police Jean Dides (qui deviendra député poujadiste de l’est parisien, fief communiste) puis au leader commerçant. Poujade a besoin de candidats valables, qui savent parler au peuple d’une tribune et nous sommes déjà en décembre 1955. Le Pen, futur député du premier secteur de Paris, et Demarquet, futur député poujadiste du Finistère, participent à des rassemblements populaires et sont conquis par cet homme jeune (Poujade a 35 ans) et dynamique. Les Bretons sont conquis par l’éloquence du Midi et c’est lors du meeting de Rennes qu’ils acceptent la proposition de Poujade de candidater sous ses couleurs. La trahison des élites leur sert de « maison commune » dans l’espoir d’une contre-révolution nationale et populaire que le co-fondateur du FN n’hésite pas à comparer avec l’élection de Trump aux États-Unis en 2016.

Un an après l’élection des jeunes gens ambitieux et fougueux, les liens entre Poujade et le tribun Le Pen sont déjà irrémédiablement rompus. Le Pen se fait remarquer à l’Assemblée, ses diatribes contre Mendès lui valent le même traitement qu’à l’encontre de Poujade, la diabolisation est lancée, elle n’aura jamais de cesse. Demarquet quitte, lui aussi, l’UFF et s’opposera violemment à Le Pen en septembre 1985 dans le quotidien Le Monde, probablement faute d’avoir été retenu parmi les candidats éligibles des Bouches-du-Rhône pour les législatives de mars 1986… Il n’y aura pas de retour, Le Pen conteste la mainmise de Poujade sur l’Union et le peu de professionnalisme des cadres historiques du mouvement, leur absence de volonté politique, en quelque sorte. Poujade ne soutiendra jamais Le Pen, même lors de « l’effet Le Pen » à partir de 1984. Au contraire, il regrettera de lui avoir mis le pied à l’étrier en 1955, après ce rassemblement de Rennes, où il lui offrit la tête de liste dans un secteur parisien, celui de la rive gauche. Avec 8 % des suffrages exprimés, face notamment à l’indépendant de droite (CNIP) Édouard Frédéric-Dupont (député des « loges », c’est-à-dire des concierges du VIIe arrondissement de Paris des années 1930 aux années 1990…) et au communiste Roger Garaudy, dont la figure finira au pilori, y compris chez les siens, la proportionnelle permit l’élection de Le Pen à Paris (où il sera réélu en 1958, puis battu en 1962 par le gaulliste de gauche René Capitant avant de revenir se faire élire dans la capitale en 1986, jusqu’à la dissolution et le changement de mode de scrutin de 1988).  

Il aura manqué les ouvriers à Poujade et les boutiquiers à Le Pen (lors de la poussée du FN dans les années 1980 et au-delà). Certains regretteront cette impossibilité de réunir l’usine et la boutique, distinction toujours vivifiée par la lutte des classes, si chère au PCF avant qu’il ne devienne (électoralement parlant) moribond.

Pour terminer, j’aimerai revenir sur un point particulier, à savoir une présence très forte du poujadisme dans l’Algérie française d’avant l’indépendance ? De quelle manière ce créolisme politique a-t-il pu influencer les évènements de la guerre d’Algérie ? Pourquoi le 13 mai 58, le Général Salan crie-t-il « Vive de Gaulle » et pas « Vive Poujade » ? L’OAS était-elle poujadiste ?

À partir de 1954, Poujade a en effet, vous avez raison de le souligner, une popularité très importante en Algérie. L’UDCA algérienne naît en mai 1954 et le premier congrès national de l’Union a lieu dans la « ville blanche » en novembre de cette même année, tout un symbole ! Les renseignements généraux (RG) estiment que 80 % des commerçants algérois suivent les consignes de Poujade. L’absence d’élections législatives en 1956 casse le thermomètre et ne permet pas à l’UFF d’envoyer des députés représentant les départements algériens malgré la forte présence militante. Bien évidemment, le maintien des départements algériens dans l’Union française est l’axe principal du combat poujadiste même si Poujade reviendra sur cet aspect lors de ses autobiographies vingt ans plus tard, privilégiant l’hypothèse d’une Algérie européenne mais indépendante, à la manière de la Rhodésie de 1965 à 1979.

L’émeute populaire du 13 mai 1958, parfois qualifié de « coup d’État » ou de « putsch » contre le gouvernement général (GG) d’Alger, ce « sursaut patriotique » a été préparé sur le terrain par nombre de poujadistes. Pour mémoire, il s’agissait de s’opposer au nouveau gouvernement Pflimlin et de condamner l’exécution par le FLN, en Tunisie, de trois prisonniers français. Après le renversement in absentiadu gouverneur socialiste Robert Lacoste jugé trop modéré par les partisans de l’Algérie française (Lacoste a quitté Alger pour Paris le 10 mai) un Comité de salut public est constitué avec à sa tête des civils et des militaires, européens et arabes, qui comprend de nombreux poujadistes.

Le 14 mai, du balcon du GG, le général Salan, nommé président du Comité, précisa la demande d’un nouveau gouvernement par un sonore « Vive De Gaulle ». Léon Delbecque, membre du RPF puis des Républicains sociaux et fidèle du général De Gaulle, devient vice-président du Comité de salut public. Un autre fidèle du général, Lucien Neuwirth, le futur « père de la pilule contraceptive » en fait aussi partie.

Même si les poujadistes étaient en nombre, ce que les putschistes souhaitaient, c’était l’arrivée du « Général ». Comment pouvez-vous penser un seul instant qu’un « Général » (Salan) allait appeler un modeste papetier du Quercy ?

Je vous passe les querelles entre gaullistes et poujadistes, dont la plupart votent les pleins pouvoirs, à l’Assemblée, au Général en juin 1958. Pierre Poujade est déçu que l’on ne fasse pas appel à ses compétences et se définira rapidement, comme Le Pen, en opposant résolu puisqu’il appellera à voter « non » à la Constitution de la Cinquième République, seuls 17 % des Français (dont la plupart des communistes et certains socialistes) suivront ce refus en septembre 1958.

Quant à l’OAS, pour répondre à votre ultime questionnement, des anciens poujadistes et non des moindres comme l’ancien député de Charente-Maritime, Marcel Bouyer la rejoindra. Pour la petite histoire, ce pâtissier de Royan sera candidat, sans succès, en 1986, lors des élections législatives, pour le Front national. Engagé dans le combat pour l’Algérie maintenue dans la République, il sera réfugié dans l’Espagne franquiste en 1961, puis il revient finalement en France l’année suivante. Il est arrêté et condamné par un tribunal militaire à douze ans de prison. Il est cependant libéré en 1967, à la suite d’une remise de peine décidée par décret.

Plus globalement, le mouvement Poujade, via son journal Fraternité française va soutenir l’OAS sans y participer. Aussi, Fraternité française, sous-titré « La tribune de Pierre Poujade », affirme, à sa une, en juillet 1963 : « Parti OAS » dénonçant, une nouvelle fois, le pouvoir gaulliste et demandant aux « nationaux de ce pays » de « se taire » pour protéger les fugitifs et espérer, encore, non plus un sursaut militaire, mais une victoire politique. L’espérance sera de courte durée. Il est temps, ou presque, pour Poujade de tourner la page et de laisser la place au poujadisme, véritable mouvement d’expression populaire qui fit trembler… et tomber la IVe République.

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09:26 Publié dans Les Cahiers d'Histoire du Nationalisme, Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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