samedi, 14 août 2021
La « communauté catholique », vraiment ?
Mathieu Bock-Côté
L’assassinat du père Olivier ’Maire a bouleversé la France, qui n’a pu s’empêcher d’y voir un écho du sort réservé au père Hamel, il y a cinq ans. Le scénario diffère cette fois, certes. Nous ne sommes pas devant un islamiste égorgeur comme il y en a tant, mais devant un immigré clandestin, qui n’aurait pas dû être en France, qui l’an passé avait incendié la cathédrale de Nantes, et qui cette année a décidé d’égorger le prêtre qui l’accueillait chez lui par charité chrétienne. Les ratiocinations psychiatrisantes qui accompagnent le commentaire lorsque vient le temps de parler de l’auteur de ce meurtre ne sauraient faire oublier que nous sommes témoins, de manière caricaturale, d’une faillite de l’État régalien, devenu incapable d’assumer sa fonction première, croulant sous la pression du gouvernement des juges, des groupes de pression immigrationnistes et de l’humanitarisme médiatique, qui le condamnent à l’impuissance quand vient le temps de se défendre.
Pourtant, quelque chose de plus et, pourrait-on dire, d’encore plus triste, s’est révélé dans cette histoire. Au moment de présenter leurs condoléances, ils furent nombreux, parmi les politiques, à se dire bouleversés pour la communauté catholique française. Cette formule biscornue qui tournait en boucle et se voulait pleine d’empathie était révélatrice de la segmentation de la communauté nationale, où l’assassinat d’un homme est d’abord censé heurter sa communauté particulière, et seulement ensuite l’ensemble de la nation, comme si le langage politique avait intériorisé les paramètres du multiculturalisme anglo-saxon. La France, dans cette perspective, n’est plus d’abord composée de Français participant au destin national, à travers un pacte politique noué dans l’histoire et la culture, mais d’un assemblage de communautés enfermées dans leur expérience du monde, qu’elle soit ethnique, religieuse ou même sexuelle. Le langage de la diversité masque la désagrégation du peuple français. Il y a peut-être même pire. Le catholicisme, selon ce que l’histoire enseignait jusqu’à récemment, n’était pas une communauté religieuse parmi d’autres en France, mais la matrice existentielle du pays, qui a structuré le rapport au politique et à la culture, aux mœurs et à l’architecture, et qui, encore aujourd’hui, codifie l’univers rituel de l’immense majorité des Français. La référence, dès lors, à une «communauté catholique», qui représenterait une nuance identitaire parmi d’autres d’un pays bariolé, témoigne d’une rétrogradation symbolique majeure du catholicisme ou, si on préfère, de son dénoyautage culturel. Longtemps combattu au nom d’une conception quelque peu étroite de la laïcité, le catholicisme est réintroduit dans la communauté nationale à condition de ne plus en être considéré comme l’un des fondements.
On ne le nomme que pour l’exclure de sa fonction identitaire historique. On a entendu parler, ces dernières années, de manière assez fréquente, de «catho-laïcité». La formule suscite souvent un agacement allant jusqu’à la méfiance : comment faire tenir ensemble au point d’en constituer une synthèse deux concepts représentant des visions du monde s’étant ardemment combattues depuis la Révolution ? Pourtant, dans une époque marquée par l’affrontement des civilisations sur le territoire même de l’Europe occidentale, ce qui semblait hier disjoint et conflictuel trouve à s’assembler de manière inédite et féconde, en découvrant le monde commun qu’elles avaient en partage et qui remonte à la surface devant le visage hostile de l’altérité conquérante. La question de l’islamisme, notamment, est venue troubler les anciennes polarisation et révéler les limites d’affrontements aujourd’hui éculés.
De même, la gauche républicaine et la droite patriote et conservatrice ont aujourd’hui bien plus en commun que ne le laissent croire leurs univers symboliques respectifs, même si certains atavismes les empêchent d’en prendre pleinement conscience.
On en revient dès lors à la manière d’aborder un crime abject n’ayant rien d’un malheureux fait divers, qui heurte intimement les Français et tous ceux qui aiment la France, et qui devrait être nommé de cette manière, sans conjuguer le chagrin qu’il suscite avec une logique communautariste. Quelle que soit leur religion, et qu’ils croient au ciel ou qu’ils n’y croient pas ou qu’ils le scrutent dans l’espoir incertain d’y repérer une trace du divin, c’est d’abord en tant que Français qu’ils sont heurtés, et la classe politique devrait avoir le souci de se faire la gardienne de ce primat de la conscience nationale, qui seule peut faire tenir ensemble des hommes et des femmes qui finiront sans cela par vivre face à face, selon la formule désormais convenue. Si la classe politique elle-même renonce à cette tâche, pourtant fondamentale, si elle capitule devant les fous qui ont concassé au marteau-piqueur de la déconstruction la réalité intime de la nation, elle se rendra malgré elle complice de ces derniers.
Source : Le Figaro 14/08/2021
07:58 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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