mercredi, 29 mai 2024
Jean-Claude Gaudin, thuriféraire ou victime de la droite nationale
Franck Buleux
L’ancien maire de Marseille (entre 1995 et 2020, soit pendant un quart de siècle !), Jean-Claude Gaudin (1939-2024) vient de nous quitter sous les louanges de l’ensemble des politiques. Et c’est, compte tenu de son implication dans la vie politique française, et particulièrement marseillaise, probablement amplement mérité. Sa gouaille et sa sympathie semblent rester dans le souvenir de tous.
Gaudin et les « mouches » de Plantu
Pourtant, longtemps, le caricaturiste Plantu, exerçant en premier page du journal Le Monde le dessinait planqué sous son imperméable (en relevant le col de ce dernier, tellement il devait avoir honte), entouré d’un essaim de mouches… La finesse du dessinateur visait à faire comprendre que l’ancien parlementaire (élu député en 1978) et ancien président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA) de 1986 à 1998 avait franchi le rubicond en passant des accords, horresco referens, avec l’extrême droite, et plus particumièrement le Front national (FN) depuis sa première élection en qualité de président de région en 1986 gràce aux élus du groupe Rassemblement national-Front national (RN-FN), permettant d’ailleurs à ses derniers d’obtenir deux vices-présidences avec l’ancien journaliste du Méridional, alors député des Bouches-du-Rhône, Gabriel Domenech et l’élu régional des Alpes-Maritimes, Claude Scanapieco.
Marche-pied du FN comme le laissait entendre Plantu ? Lorsqu’en 1998, François Léotard, ancien ministre et leader du Parti républicain (PR) dont faisait parti Jean-Claude Gaudin depuis sa création en 1977 (sous l’influence du président Giscard d’Estaing dont le mouvement des Républicains indépendants laissa place au PR, qui devint le pivot de l’Union pour la démocratie française, UDF fondée également en 1977 et dont l’action fut essentielle pour battre a gauche lors des législatives de 1978… Gaudin, lui-même, avait conquis une circonscription à Marseille face à un très proche de Gaston Defferre, alors maire et futur ministre de l’Intérieur à partir de 1981, Charles-Émile Loo).
Une droite marseillaise unie jusqu’au PFN
Or, la droite nationale a effectivement souvent croisé la route de Jean-Claude Gaudin, enseignant et célibataire endurci, dont le mandat de ministre de l’Aménagement du territoire, de la Ville et de l’Intégration entre 1995 et 1997 dans le second gouvernement Juppé couronna la vie politique, mais, contrairement à ce que les médias ne cessèrent de dénoncer, pas nécessairement à son profit.
Élu depuis 1965 conseiller municipal de Marseille, d’abord membre du Centre national des indépendants (CNI) puis des Républicains indépendants (RI), mouvement fondé par l’ambitieux Giscard d’Estaing, c’est en 1977 lors des élections municipales qu’il commença à se forger un destin. En 1977, face aux listes socialiste et communiste (sur sept secteurs), la droite peine à atteindre les 28 % sur l’ensemble de la ville, mais est unie, y compris avec le Parti des forces nouvelles (PFN). Les listes emmenées par le gaulliste Pujol comprennent des candidats PFN, comme Guy Tessier, qui adhérera au PR dès 1978 (comme beaucoup d’autres) et qui, après l’avoir battu en 1988, laissera son siège de parlementaire à l’affairiste Bernard Tapie lors d’une élection partielle en 1989, faisant suite à l’annulation de son élection.
Pour l’anectode, Guy Tessier tenta d’éviter, en 2020, en se présentant devant les conseillers municipaux de la cité phocéenne, que la deuxième ville de France en nombre d’habitants ne passe à gauche. Il n’y parvient pas… il n’y aura pas deux grandes villes gérées par des anciens du PFN. Seul le chef-lieu de la Moselle l’est.
Marseille-Sécurité, une « sécurité » pour Defferre !
C’est en 1983 que tout s’accélère pour Jean-Claude Gaudin. Face au cacique et âgé maire sortant et ministre de l’Intérieur socialiste, Gaston Defferre, l’élu républicain a ses chances. Marseille a fait l’objet d’un redécoupage favorable à la gauche et ne compte plus que 6 secteurs au lieu de 7. Deux grandes listes concourent : « Changeons Marseille » avec Gaudin face à l’Union de la gauche, enfin réalisée à Marseille (ce n’était pas le cas en 1977, ni avant où Defferre gérait la ville avec une partie de la droite contre les communistes). Au premier tour, deux secteurs tombent (ils étaient tous à gauche) à droite (dont celui dans lequel se présente Gaudin) et un reste à gauche (sous la férule d’un élu communiste, Guy Hermier). Les trois autres sont en ballotage, dont celui où candidate le maire sortant Defferre, laissant augurer le passage dans l’opposition de droite du port méditérannéen.
Sauf que… Malgré l’union des droites, un avocat marseillais, issu du Rassemblement pour la République (RPR) dont il vient d’être exclu, Bernard Manovelli lance une liste « Marseille Sécurité » et ses thèmes de prédilection sont l’immigration et l’insécurité. Les listes de Manovelle dépassent les 5 % et sont crédités de scores supérieurs dans les secteurs du nord de la ville, tous en ballotage. En clair, dans deux secteurs en ballotage, le cumul des listes Gaudin et Manovelli dépassent pour l’un 52 % et pour l’autre 53 % ! Ces scores auraient laissé entendre les victoires des listes de droite dès le 1er tour comme dans deux autres secteurs. Dans le 3e secteur en ballotage, le score de Defferre (près de 49%) ne laisse pas la majorité aux listes de droite.
Certes, entre les deux tours, les listes Gaudin et Manovelli fusionnent, mais certains colistiers de « Marseille Sécurité » appellent à voter pour les listes de gauche… et rue du Dragon, deux colleurs d’affiches de l’équipe Gaudin sont tués, dans la nuit du 7 au 8 mars 1983, par un engin explosif qu’ils transportaient à bord d’une 504 Peugeot vers 2 h du matin… à 150 mètres d’une synagogue. La violente déflagration brise de nombreuses vitres et déclanche l’incentie du véhicule qui se communique à d’autres voitures en stationnement. La piste politique est favorisée compte tenu des relations des occupants du véhicule avec l’équipe du candidat PR.
Le dimanche suivant, les 3 secteurs restent aux mains de la gauche. Marseille-Sécririté obtient deux élus municipaux. Ce groupe n’aura servi qu’à produire un second tour dans deux secteurs gagnables par Gaudin. Il lui faudra attendre 12 ans pour gagner Marseille, en 1995.
Président de région, mais si seul…
En 1986, Jean-Claude Gaudin devient président de région succédant au socialiste Michel Pezet, prenant sa revanche sur 1983. Il doit son élection à l’ensemble des élus UDF, RPR et FN. Sur 8 vice-présidents, l’UDF et le RPR en obtiennent 3 chacun et le parti de Jean-Marie Le Pen, 2. Les mouches de Plantu peuvent commercer à voler.
Mais le pire reste à venir.
Et pourant… Gaudin va faire l’objet d’une odieuse campagne de déstabilisation durant la première cohabitation (1986-88). Député UDF-PR et président de région, sa vie privée laisse passer quelques zones d’ombre et parfois, de vives critiques. Certes, à Marseille, il n’est pas le seul à être un homme politique célibataire. Il y en a aussi au PS comme au FN. Et tout Marseille le sait. Mais Gaudin est un homme affable. Il a été battu en 1983 à Marseille alors qu’il totalisait plus de voix que son challenger socialiste (du fait du nouveau découpage en 6 secteurs). Ses adversaires ne sont plus à ça près, de droite comme de gauche…
Condamné à mort…
La deuxième moitié des années 1980, c’est aussi le développement d’une maladie mortelle, le SIDA, souvent rattachée à la population homosexuelle en raison du nombre de leurs partenaires. Le SIDA est un des thèmes politiques faisant l’objet de controverses, pas exclusivement médicales.
Or, un essayiste, proche du courant de la Nouvelle Droite (qui d’ailleurs s’éloigne du GRECE ), Guillaume Faye, lance une revue trimestrielle (3 numéros seulement paraîtront) : J’ai tout compris (JTC). Dans sa deuxième édition, en 1987, le thème principal (unique) est le SIDA, vue comme une épidémie violente dont de nombreux élus seraient atteints et donc, sous mort imminente (il n’y avait pas de trithérapie à cette époque). Le magazine JTC informe d’un nombre de malades (« sidaïques ») dans tous les groupes parlementaires, y compris le FN. Le sous-titre de la revue est « Bonjour l’Holocauste »… Guillaume Faye, essayiste le plus souvent éclairé, se mue en héraut de l’ordre moral. Plus grave, on apprend, au fil des pages, « qu’il y aurait un député qui aurait peu de chances de participer à la prochaine farce électorale ». La revue précise aussitôt : « Nous ne pouvons pas vous dire non nom, mais de mauvaises langues indiquent que le condamné à mort appartient au groupe UDF ». L’étau se resserre sur le malade « condamné à mort »…
La revue publie un jeu appelé « Sidapoly » et à la 20e question du jeu, le lecteur apprend que « vous représentez la France au congrès mondial des Gays Against Uranium, Despotism, Imperialism and Nazism »… Au-delà du mélange des thèmes évoqués, le fait que les initiales de chacun des mots soient en gras dans le texte et forment le nom de Gaudin, alors président du groupe UDF à l’Assemblée nationale est probablement dû au hasard… Ben voyons, comme dirait l’autre ! Il y a là un respect de la vie privée bien étrange de la part de la jeune revue droitière.
Ce n’est que 37 ans après que Gaudin décèdera… Erreur d’appréciation ou traitement opportun ? Peu importe… Ce qui assez incroyable ici, c’est la volonté de calomnier cet homme.
Pacte de retrait entre droite et FN sur la Côte…
En juin 1988, Gaudin signe un pacte de non agression entre les deux tours des législatives entre l’URC (Union des républicains et du centre qui regroupe, pour la circonstance, l’UDF et le RPR) et le FN. Ce pacte exige des candidats FN et URC, uniquement dans les Bouches-du-Rhône et les Alpes-Maritimes (mais il n’y a pas de candidat FN arrivé devant l’URC dans ce département), le retrait du candidat de droite arrivé derrière. Aussi, les candidats FN des Bouches-du-Rhône, arrivés devant l’URC, seont en duel contre la gauche : Jean-Pierre Stirbois, Bruno Megret, Jean-Marie Le Pen, Pascal Arrighi, Gabriel Domenech, Jean Roussel, André Isoardo et Ronald Perdomo seront tous battus face à la gauche, mais ils atteindront jusqu’à 49,87 % (Jean Roussel, issu du PR, dans la 3e circonscription). En revanche, avec de meilleurs reports du FN vers la droite, Jean-Claude Gaudin et certains de ses amis seront élus. Sur 16 circonscriptions, la droite était représentée par des candidats FN. Pour la classe politique et les médias, c’était déjà une révolution… Pour être complet, la députée Yann Piat, dans le Var voisin, bénéficiait de cette même « ouverture » et elle sera rééelue avec près de 54 % dans la 3e circonscription face à un socialiste.
Ces « arrangements locaux » (dixit le quotidien Le Monde) entre l’URC et le FN ne permirent pas de dépasser le « cordon sanitaire » déjà en place, mais il tendait à démontrer le courage politique de Gaudin sur ses terres du Sud.
La suite… Gaudin élu maire de Marseille en 1995 ne se représenta pas à la présidence du conseil régional en 1998. François Léotard, élu du Var et président du PR, refusant toute alliance (doctrine Chirac) refusa les voix du FN, qui s’abstient lors du 3e tour de l’élection du président, permettant l’élection d’un socialiste. Jean-Claude Gaudin ne s’opposa pas au choix de Léotard.
Mais cette histoire-là, vous la connaissez….
18:47 Publié dans Franck Buleux | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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