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lundi, 22 juillet 2024

Politique : l’incroyable spectacle

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Alain de Benoist

MONDE&VIE. Alain de Benoist, vous êtes chef d’école, mais vous êtes aussi un des meilleurs analystes politiques sur la place de Paris. Avez-vous vécu la soirée électorale du 7 juillet comme une surprise, annonçant éventuellement un grand bouleversement politique, ou bien plutôt avez-vous pris ce scrutin comme un simple effet de tectonique des plaques électorales, au nom de l’impératif antifasciste, toujours de sortie ?

ALAIN DE BENOIST : J’ai bien sûr été surpris, comme tout le monde. Mais aussi et surtout consterné de voir, dans les réactions qui ont suivi, les affects prendre immédiatement le dessus sur les nécessités de l’analyse scientifique. D’un côté une sorte d’affliction désespérée (« tout est foutu ! »), de l’autre un lâche soulagement assorti de forfanterie (« on a gagné ! »). Or, si l’on regarde les choses d’un peu près, aucune de ces deux réactions ne permettait de comprendre ce qui s’est passé. Ma conclusion personnelle est bien différente. Elle tient plutôt dans les deux constats suivants : le Rassemblement national continue à progresser, et la France est devenue ingouvernable.

     Sur le premier point, les chiffres sont parlants. En 2017 le RN avait seulement 6 députés à l’Assemblée nationale. Aux législatives de 2022, il avait bondi à 89 députés (ce qui avait été considéré, à juste titre, comme un extraordinaire succès). Le 7 juillet dernier, il en a obtenu 143, ce qui est tout le contraire d’un échec (Bardella n’a pas eu tort de parler de « la percée la plus importantes de l’histoire » de son parti) ! Il a également recueilli près de 10 millions de suffrages (en 2022, il n’en avait obtenu que 4,2 millions), contre 7,4 millions pour le Nouveau Front populaire et 6,5 millions pour Ensemble, la coalition électorale du centre macronien. Parler d’un « recul du RN » est, dans ces conditions, parfaitement grotesque.

     Certes, le RN n’est pas parvenu à atteindre la majorité absolue (289 sièges sur 577), contrairement à ce que laissaient prévoir ses excellents résultats (plus de 34 % des voix) obtenu aux dernières élections européennes et au premier tour des législatives, résultats qui s’expliquent avant tout par le sentiment de dépossession des couches populaires toujours plus confrontées aujourd’hui à l’insécurité, à l’immigration, à l’inflation, à la baisse du pouvoir d’achat et à la précarité.

     Cet échec s’explique par les particularités du scrutin majoritaire à deux tours, qui autorise entre les deux tours tout une série de tractations et de marchandages qui ont l’étrange caractéristique de ne pas favoriser les gagnants du premier tout mais la coalition des perdants. Au total, 224 candidats de la gauche et du centre se sont retirés ou désistés dans le seul objectif d’empêcher le RN d’emporter la majorité qui aurait normalement dû lui revenir. On a alors assisté, sous prétexte de « faire barrage à l’extrême droite », et dans un climat d’hystérie entretenu par les grands médias, qui présentaient l’arrivée du RN comme la version moderne de l’Apocalypse, à une série d’alliances contre-nature – Jordan Bardella a parlé d’« alliance du déshonneur » – entre des personnalités et des partis que tout opposait la veille encore, à seule fin de priver le Rassemblement national, arrivé très souvent en tête au premier tour, de la victoire qu’il aurait dû obtenir. Incroyable spectacle des centristes faisant élire des communistes ou des fichés S et d’une extrême gauche hystérique appelant à soutenir les fondés de pouvoir du grand capital !

     Ce sont ces désistements qui expliquent que le RN n’a pu gagner que 93 duels de second tour sur les 353 où il était représenté.

     Ce système profondément antidémocratique, il faut le souligner, est une particularité française : avec les modes de scrutin qui existent en Grande-Bretagne ou en Allemagne, Jordan Bardella, qui a encore battu son record des élections européennes en remportant 37 % des voix, serait aujourd’hui à Matignon !

     On peut comprendre bien sûr la déception de ceux qui, au RN, se voyaient déjà « aux portes du pouvoir ». Mais les portes en question étaient en fait des fourches caudines. Je suis de ceux qui se félicitent que Jordan Bardella n’ait pas eu à assumer la tâche de Premier ministre d’un gouvernement de cohabitation. La cohabitation était un piège très intelligemment tendu par Macron pour amener le président du RN, qui aurait eu à faire face à la fois aux chausse-trappes du chef de l’Etat et aux manœuvres obliques du Conseil constitutionnel, de mesurer son impuissance et d’apparaître comme incapable. La cohabitation revenait à lui confier les clés d’un camion sans roues ni carburant. Pour Macron, c’était le plus sûr moyen d’empêcher le RN de gagner la présidentielle de 2027.

MONDE&VIE. Peut-on dire qu’Emmanuel Macron, en imposant cette dissolution de l’Assemblée le plus tôt possible après les européennes, a pris de court le RN, qui demeure le premier parti en voix, mais devient le dernier des trois blocs en nombre de sièges. Il paye donc, avec la culture antifasciste, son manque d’ancrage local. Et quoi d’autre ?

ALAIN DE BENOIST : Le Rassemblement national n’a pas commis de faute majeure, sinon de croire qu’on pouvait vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. On peut en revanche lui reprocher d’avoir trop vite (et trop mal) sélectionné ses candidats, dont un bon quart, sinon un tiers, n’avaient pas les capacités ou le profil. Gilles Pennelle, qui avait été chargé de ce travail, a d’ailleurs remis sa démission. Il est vrai que la dissolution a pris tout le monde de court, à commencer par ceux qui l’avaient réclamée à grands cris sans y croire, et qu’une campagne aussi courte permettait difficilement de trouver en quelques jours les hommes idoines. Quant à l’ancrage local du mouvement, il est bien meilleur qu’à l’époque du Front national, quand Jean-Marie Le Pen s’en désintéressait complètement, mais il est encore très insuffisant. Ces choses-là prennent du temps.

     Le « front républicain » fonctionne encore, mais de moins en moins. La preuve en est que nombre de candidats RN ont perdu sur le fil, avec des écarts de voix très faibles. Avec le temps, la culture « antifasciste » ne pourra plus qu’apparaître que comme un simulacre. Les gens savent bien que ce n’est pas en agitant le spectre des « années noires », en leur parlant du pétainisme ou du petit peintre bavarois, qu’on va résoudre les problèmes qui empoisonnent leur vie quotidienne.

MONDE&VIE. Quelles leçons pour l’avenir le RN doit-il tirer de sa défaite ?

ALAIN DE BENOIST : En tout premier lieu, qu’il doit tout faire pour ramener le centre à sa plus simple expression : le « bloc bourgeois » doit être pour lui l’ennemi principal.  Qu’il doit privilégier l’analyse et la formation plutôt que de ne marcher qu’à l’enthousiasme ou à l’indignation. Qu’il doit comprendre que la recomposition politique entamée il y a quinze ans se poursuit, mais qu’on ne peut pas brûler les étapes. Et surtout que la seule faute qui ne lui sera jamais pardonnée serait de décevoir les classes populaires et les classes moyennes qui ont mis et continuent à mettre en lui tous leurs espoirs. Tous les sondages montrent que sur des questions-clés comme l’insécurité, le pouvoir d’achat et l’immigration, 70 % des Français sont d’accord avec lui.

MONDE&VIE. A quel avenir politique peut prétendre Eric Ciotti après son coup d’état chez les Républicains ?

ALAIN DE BENOIST : Son avenir politique va maintenant se confondre avec celui du Rassemblement national, mais il peut jouer un rôle de passerelle non négligeable en direction des membres de LR qui n’ont pas encore fait le même choix que lui.

MONDE&VIE. Que signifie le succès au second tour de Marine Tondelier ? Un simple feu de paille lié aux manœuvres électorales du Nouveau Front populaire ou un retour de l’écologie sur la scène politique ?

ALAIN DE BENOIST : L’écologie a conquis tous les esprits, mais les écologistes se sont discrédités. Le cas de Marine Tondelier relève pour l’instant de l’anecdote. Comme Sandrine Rousseau, j’ai tendance à voir en elle un personnage plutôt pittoresque, sinon burlesque.

MONDE&VIE. Malgré les prophéties, le parti présidentiel sauve les meubles et semble désormais inscrit pour longtemps dans le paysage politique français. Qu’en pensez-vous ?

ALAIN DE BENOIST : Il ne sauve nullement les meubles !  Il va certes s’efforcer de débaucher quelques LR non ciotistes et quelques sociaux-démocrates modérés, mais je doute que cela lui serve à grand-chose. Je le vois plutôt comme le grand perdant. Il avait justifié sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale par un souci de « clarification ». En fait de clarification, il a créé une situation totalement opaque et chaotique. En fait de dissolution, il a d’abord dissous son ancienne majorité, il a dissous le macronisme et il s’est en quelque sorte dissous lui-même.

     Trois grands blocs de taille comparable vont demain coexister à l’Assemblée nationale. Mais aucun ne possède une majorité lui permettant de gouverner. Avec 168 députés, Ensemble est loin de retrouver les 250 députés que possédait Macron dans la précédente législature, pour ne rien dire des 350 députés qu’il avait fait élire en 2017. Le Nouveau Front de gauche, de son côté, avec 182 députés, se situe encore en dessous des 250 macroniens qui siégeaient au Parlement ces derniers mois.

     Par ailleurs, alors que le Rassemblement national, avec ses alliés républicains regroupés autour d’Eric Ciotti, forme un bloc relativement unifié, ses deux concurrents sont tout sauf unis. Ce sont des agrégats hétéroclites, c’est-à-dire des coalitions de circonstance. Nous entrons dans une période d’instabilité, de rivalités incessantes et de discussions permanentes, où les gouvernements successifs risquent de ne pas durer plus longtemps que sous la IVe République, le tout sur fond de guerre en Ukraine et de tensions internationales d’une gravité exceptionnelle. Au parlement, le groupe Renaissance a déjà commencé à se disloquer. Les Républicains vont connaître de nouvelles scissions avant de disparaître définitivement. Le Nouveau Front de gauche se cassera en morceaux à la première occasion.

     Quel que soit le Premier ministre qu’Emmanuel Macron décidera de nommer, il aura le plus grand mal à trouver une majorité pour gouverner (d’autant que les « grandes coalitions » à l’allemande ne sont pas dans la tradition française). Le chef de l’État, dont les proches ont déjà commencé à s’éloigner – à la façon dont les rats quittent un navire en train de couler – a clairement perdu la main. Il a réussi une sorte de coup d’État institutionnel, mais il risque d’emporter la France dans son échec. Il a fait perdre au RN une bonne centaine de circonscriptions, mais il n’est pas arrivé à enrayer sa progression. La dynamique reste nettement du côté du Rassemblement national, qui est aujourd’hui le premier parti de France.

MONDE&VIE. LFI restera-t-il le parti extrême que ses ennemis veulent qu’il soit ? Ne va-t-il pas plutôt se fondre dans le paysage politique, en devenant une succursale française de la gauche américaine et de son appel à la colère et au désordre ?

ALAIN DE BENOIST : Je ne le vois pas se fondre dans le paysage politique, ni se rallier à une gauche américaine déjà éminemment représentée par Raphaël Glucksmann. Au soir du second tour, Mélenchon a prononcé un grand discours lyrique d’où il ressortait que LFI avait remporté la victoire. En réalité, LFI est aujourd’hui minoritaire au sein du Nouveau Front de gauche, ce qui n’était pas le cas à l’époque de la NUPES. Mais Jean-Luc Mélenchon, qui est moins mauvais stratège qu’on ne le croit, raisonne visiblement sur long terme. Il n’a sans doute pas tort.

     Le centre étant appelé à s’éroder progressivement, s’il est à la fois attaqué par le RN et par LFI (dont les intérêts coïncident sur ce point), la logique voudrait qu’à la prochaine élection présidentielle, Marine Le Pen (ou Jordan Bardella) se retrouve au second tour face à un homme comme Jean-Luc Mélenchon. Elle aurait toutes chances de sortir vainqueur d’un tel duel, d’autant que la situation du pays se sera encore dégradée, tandis que la frustration et la colère de ses partisans aura continué d’augmenter. D’ici là, il faut s’attendre à une paralysie institutionnelle quasi totale, à de l’instabilité, à de la violence sans doute. La Ve République n’avait encore jamais connu cela. C’est une situation inédite. 

Entrevue réalisée par Guillaume de Tanoüarn pour Monde et Vie

 

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