mercredi, 09 juillet 2025
Geoffroy de Lagasnerie. La famille ? Non merci, je suis de gauche
Balbino Katz -chroniqueur des vents et des marées -
Parmi les grotesques produits de l’université française postmoderne, Geoffroy de Lagasnerie occupe une place de choix, non seulement par sa capacité à mimer les fulgurances d’un penseur, mais surtout par la constance avec laquelle il enchaîne, semaine après semaine, les appels à la dissolution de toute forme d’ordre naturel ou social. Sa dernière tribune, publiée dans Libération, confirme cette vocation de longue haleine : la famille est à abattre, la lutte homosexuelle doit s’émanciper de toute solidarité trop large, et l’enfant, ce petit être naguère innocent, pourrait bientôt revendiquer le droit de divorcer de ses parents.
On s’y attendait. Après avoir voulu abolir la police, la justice, la prison, l’État, et même la catégorie de crime (dans son précédent opuscule Par-delà le principe de répression), Lagasnerie s’attaque désormais à la structure la plus universelle qui soit : la famille. Et le prétexte, cette fois, est habilement enrubanné dans un discours d’apparente lucidité stratégique. Le philosophe entend que la radicalité homosexuelle cesse de se dissoudre dans le grand bain intersectionnel LGBTQIA+, cette soupe idéologique où tout s’additionne sans jamais s’articuler. Fort bien. Il propose que les homosexuels, les vrais, les mâles, les durs, reprennent leur autonomie de combat et formulent leurs revendications spécifiques.
Jusqu’ici, rien que de très banal dans la logique des chapelles révolutionnaires : retirer sa minorité du grand charivari des minorités pour mieux se recentrer sur son nombril collectif. Mais le verbe se tend, et le fond se dévoile : il faut, selon Lagasnerie, poser de «vraies» revendications. Non pas des platitudes sur l’écologie ou le racisme, mais des objectifs subversifs, concrets. Et que propose-t-il ? Élargir le mariage à plus de deux personnes, créer des «écoles sanctuaires» pour les enfants gays, et surtout, donner à ces enfants le droit de divorcer de leurs parents.
On relit. Puis on relit encore. Ce n’est pas une métaphore. Il parle bien d’un divorce entre enfants et parents, comme s’il s’agissait d’un contrat commercial entre adultes consentants. Derrière ce mot qui choque, se déploie la logique désormais bien connue de Lagasnerie : toute attache est une aliénation, toute fidélité un piège, toute relation stable une oppression. L’enfant doit pouvoir se défaire de ses géniteurs comme on se débarrasse d’un compte bancaire ou d’un fournisseur d’accès.
Ce n’est plus de la subversion, c’est du nihilisme social au service de prédateurs à l’affût. Le rêve n’est plus de réformer la société, mais de la déconstruire jusque dans ses fondements biologiques. La famille ? Une cellule fasciste. L’éducation parentale ? Un terrain de violence homophobe latente. La filiation ? Une tyrannie affective. Pour Lagasnerie, tout ce qui précède le désir individuel est une entrave, un piège dont il faut s’affranchir par des outils juridiques inédits, déracinés de tout lien charnel, culturel, spirituel.
Dans cet univers glaçant, où l’individu s’autodéclare être à partir de rien, le lien parental devient un contrat révocable, et l’héritage une souillure. L’enfant devient une monade politique. Et bien entendu, on trouvera des lecteurs dans Libération pour saluer cette audace, cette « pensée vivifiante », cette « remise en question salutaire ». C’est toujours la même histoire : plus on détruit, plus on se croit créateur.
Or, il faut ici nommer les choses : ce n’est pas la radicalité homosexuelle qui parle sous la plume de Lagasnerie, c’est le ressentiment bourgeois d’un intellectuel stérile incapable d’accepter que la condition humaine s’inscrit dans la durée, la transmission, l’héritage. Sa haine de la famille n’est pas née d’une analyse, mais d’une blessure. Et ce ressentiment devient théorie, puis programme. Une logique qui rappelle, toutes proportions gardées, ce que Carl Schmitt aurait appelé la haine de l’ordre naturel par les modernes : le refus de toute forme d’enracinement, de filiation, de hiérarchie, sous couvert d’émancipation.
En somme, Lagasnerie ne veut pas la libération des enfants, mais l’éradication des pères. Et derrière son vernis de théorie, c’est bien une politique du vide qu’il propose : plus de racines, plus d’appartenances, plus de loyautés. Seulement des individus fluides, interchangeables, contractuels. Des électrons sans charge, des âmes sans lignée.
Mais dans un monde où l’enfant divorcerait de ses parents, qui recueillera les orphelins ? L’État ? Le marché ? Un adulte intéressé ? Les collectifs affinitaires de passage ? Il faut une singulière naïveté, ou une grande indifférence à la réalité humaine, pour croire qu’un tel monde pourrait accoucher de quoi que ce soit d’autre que d’une solitude d’acier où les prédateurs seraient rois.
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