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samedi, 04 octobre 2025

Tiraillements moldaves

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La chronique flibustière de Georges Feltin-Tracol

Le dimanche 28 septembre 2025 se déroule l’élection des 101 députés du parlement monocaméral de la Moldavie. Coincé entre la Roumanie et l’Ukraine, ce pays de 33.700 km² et d’environ trois millions d’habitants sans oublier un million vivant à l’étranger, suscite l’intérêt, l’attention et la convoitise de voisins plus ou moins proches. Son existence même procède des fracas de la géographie, de l’histoire et de la démographie.

Ancien membre de l’URSS, la Moldavie concentre tous les affres issues de l’effondrement de l’ancienne puissance soviétique. Malgré un drapeau assez similaire, les armoiries étatiques en plus, et l’usage du roumain, la Moldavie – capitale : Chisinau - ne se confond pas avec la région éponyme, cœur historique de la nation roumaine. Le moldave est d’ailleurs un parler roumain qui, à l’époque soviétique, s’écrivait en alphabet cyrillique. Des Moldaves plutôt russophones préfèrent se référer à la Moldova. Problème sémantique permanent pour une terre toujours revendiquée !

Moldavie désigne en effet deux territoires contigus. Le premier s’étend entre l’Ouest des Carpates et le fleuve Prout, constitue une région roumaine avec pour ville principale Jassy. Le second situé entre le Prout et la rive occidentale du fleuve Dniestr s’appelle aussi la Bessarabie du nom d’une dynastie moldave. Quant à la rive orientale, elle a été nommée la Transdniestrie. Cette seconde Moldavie voit à la fin du Moyen Âge les Ottomans amputer à leur profit sa partie méridionale autour du bourg de Boudjak, ce qui la coupe de tout accès à la Mer noire.

Les groupes ethniques présents en Moldavie imaginent un destin politique différent. Au moment de la dislocation de l’Union Soviétique, les Moldaves roumanophones et les Roumains unionistes ont espéré dans le rattachement de la Moldavie à la Roumanie. Les puissances occidentales rejetèrent cette aspiration louable. Superviseur de la soi-disant « transition démocratique » à l’Est entre 1991 et 1993, le président du Conseil constitutionnel français, Robert Badinter, sacralisa l’intangibilité des frontières, quitte à favoriser les conflits armés.

Des violences affectèrent rapidement le nouvel État. Craignant une éventuelle intégration dans l’ensemble roumain, la minorité gagaouze – des turcophones convertis au christianisme orthodoxe au XVe siècle – proclame son indépendance en août 1990 avant de bénéficier d’un statut de république autonome au sein de l’État moldave. Élisant au suffrage universel direct un bashkan (le gouverneur), la Gagaouzie se compose de quatre territoires non continus.

Cette solution constitutionnelle ne concerne pas la Transnistrie ou « République moldave du Dniestr ». S’étirant sur une bande de 5.000 km² entre le Dniestr et la frontière ukrainienne, la Transnistrie défend l’autodétermination des populations slavophones (environ 28% d’Ukrainiens et 25% de Russes), d’où sa sécession en 1991. C’est toujours à l’heure actuelle un « État-fantôme » non reconnu sur le plan diplomatique qui maintient néanmoins une garnison militaire russe de 1.500 hommes (la 15e armée). Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement du maréchal roumain Ion Antonescu avait créé une région spéciale – la grande Transnistrie – s’étendant de la Podolie aux berges du Dniestr et du Boug. Il faut noter qu’en 2005 est fondée à la demande de l’Union dite européenne l’Eurorégion Siret – Prout – Dniestr qui couvre à la fois la Roumanie et la Moldavie.

Quand éclate la guerre entre la Russie et l’Ukraine en février 2022, les commentateurs se surprennent qu’à part quelques missiles tombés sur le sol transnistrien et de brefs incidents, ni les Russes, ni les Ukrainiens n’utilisent ce foyer séparatiste pour lancer des offensives. Des liens économiques étroits, parfois mafieux, existent en fait entre Tiraspol et Kyiv si bien qu’aucun protagoniste n’a vraiment intérêt à ouvrir un nouveau front. Les Ukrainiens considèrent la Transnistrie qui a maintenu le décorum soviétique et les statues du camarade Vladimir Illich comme un espace neutre où se nouent de fructueuses affaires. Kyiv se méfie de tout projet grand-roumain et n’oublie pas qu’Odessa fut un port roumain entre 1941 et 1944…

L’actuel gouvernement moldave, fort d’une majorité absolue au Parlement sortant grâce aux députés du PAS (Parti Action et Solidarité), ne cache pas son orientation euro-atlantiste. Ainsi a-t-il interdit le port du ruban noir et orange de Saint-Georges et le symbole Z. En revanche, la Gagaouzie ignore tout simplement ces interdictions, car les Gagaouzes conservent un tropisme moscovite. Depuis la fin de l’année 2023, le parlement autonome gagaouze a rompu toute relation officielle avec le gouvernement et les autres institutions moldaves. Les autorités gagaouzes dénoncent, sous couvert de lutter contre la corruption, le PAS de volonté centralisatrice.

La réalité est toutefois plus complexe et moins binaire. Certes, certains Moldaves souhaitent rejoindre le monde russe tandis que d’autres rêvent d’unir la Moldavie à la Roumanie. Mais des Moldaves aspirent à rester indépendants, voire à former une « grande Moldavie » aux dépens des Roumains (le moldovenisme) alors qu’une infime minorité a envisagé avant la guerre de 2022 une éventuelle intégration à l’Ukraine.

Le gouvernement moldave et les Occidentaux s’élèvent contre les ingérences russes dans les affaires intérieures moldaves tout en pratiquant une influence atlantiste poussée. Ces mêmes Occidentaux se taisent, approuvent ou se félicitent de l’expulsion du champ électoral de certaines formations politiques suspectées de collusions avec Moscou. Le 26 septembre dernier, à la demande du ministère de la Justice et au lendemain d’un jugement rendu par la cour d’appel de Chisinau, la commission électorale moldave interdit d’activités pour un an le mouvement Cœur de la Moldavie, membre du Bloc électoral patriotique avec les communistes et les socialistes, alliance soutenue par l’ancien chef d’État Igor Dodon (2016–2020). Le parti d’Irina Vlah, ancien bashkan, se voit accusé d’achats de suffrages, de financement illégal et de blanchiment d’argent (on se croirait chez les macroniens et les socialistes hexagonaux !). Supposé lié à Moscou, le Bloc Alternatif entend dépasser le clivage gauche – droite. Jugé « populiste », Notre Parti de Renato Usatii se méfie à la fois des factions pro-occidentales et pro-russes et tendrait vers un moldovenisme modéré. Quant au bloc Victoire du banquier millionnaire moldavo-russo-israélien Ilan Shor, il n’a pas eu le droit de présenter des candidats, car son fondateur vit à Moscou. L’oligarque verserait des sommes d’argent à des milliers de Moldaves nécessiteux. Le gouvernement ne goûte guère cette charité intéressée. La police moldave a pris l’habitude de donner des amendes aux bénéficiaires d’Igor Shor d’un montant de 1.275 à 1.780 €. Une fortune pour les Moldaves !

La désinformation n’est pas seulement russe; elle provient aussi du gouvernement. Le lundi 22 septembre, les policiers arrêtent une centaine de personnes suspectées de préparer des opérations de déstabilisation. Les services russes les auraient formées lors d’un récent séjour en Serbie elle-même en plein tumulte politico-social. Serait-ce l’embryon d’une contre-révolution de couleur ? Les personnes arrêtées ont moins de chance que les Géorgiens parce qu’on attend toujours la réaction scandalisée de l’Union pseudo-européenne !

Ces initiatives liberticides se réfèrent aux restrictions politiques roumaines au moment de l’élection présidentielle controversée en 2024–2025 en attendant l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France. On constate qu’une indéniable frénésie complotiste frappe maintenant les officines atlantistes.

Gangréné par une corruption endémique, l’État moldave, le plus pauvre du continent européen, demeure par son histoire, sa population et sa géographie, tiraillé entre Bucarest, Moscou et Kyiv sans omettre l’ombre d’Ankara. Les cénacles islamo-nationalistes néo-ottomans turcs se souviennent que la Bessarabie relevait de l’Empire ottoman. Malgré leur confession chrétienne, leur fidélité au patriarcat de Moscou et leur russophilie, les Gagaouzes sont des turcophones, ce qui peut favoriser les volontés pantouraniennes.

Le destin imbriqué de la Moldavie, de la Gagaouzie et de la Transnistrie demeure énigmatique. Leurs velléités nationales se contrarient bien évidemment. Il faut donc craindre que la situation moldave soit plus que jamais insoluble à moyenne échéance.     

Salutations flibustières !

• « Vigie d’un monde en ébullition », n°168, mise en ligne le 3 octobre 2025

21:52 Publié dans Georges Feltin-Tracol | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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