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jeudi, 18 juillet 2013

Les belles causeries dominicales de Philippe d'Hugues...

th.jpgGeorges Feltin-Tracol

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On connaît Philippe d’Hugues amateur de cinéma qui anime, un jeudi sur quatre, sur Radio Courtoisie un « Libre-Journal du cinéma ». Cet amoureux du septième art en est aussi l’historien qui a écrit à La Nouvelle Revue d’Histoire et sur Arletty (1978), Le Cinéma français (1986) ou Les Écrans de la guerre (2005). On pourrait par conséquent supposer que ces Causeries du dimanche portent sur sa passion. Pas du tout ! Enfin, pas exactement, puisque le grand écran n’y est jamais absent.

L’auteur réputé de biographies dédiées à Brasillach en 2005 et à Roger Nimier, l’année dernière, a réussi sous ce titre – clin d’œil au critique littéraire français du XIXe siècle, Sainte-Beuve – trente-trois articles parus entre 1957 et 1991 dans diverses publications (Revue des Deux Mondes, Revue de Paris, Cahiers de la Cinémathèque, Commentaire, Archives diplomatiques, etc.). On relève toutefois que vingt-trois d’entre-eux proviennent de La Nation française de Pierre Boutang.

Originaire de Saint-Étienne, Pierre Boutang était un philosophe royaliste, formé à L’Action française, et ancien résistant giraudiste. Considéré après-guerre comme le successeur intellectuel de Maurras, il rompt avec la Restauration nationale et crée un hebdomadaire nationaliste et royaliste, La Nation française. En avant-propos, Philippe d’Hugues rappelle que la rédaction comprenait le philosophe paysan ardéchois Gustave Thibon, l’historien Philippe Ariès, Pierre Andreu, Paul Sérant, l’universitaire Raoul Girardet, l’éditeur Roland Laudenbach, l’Auvergnat Alexandre Vialatte, Georges Laffly et Bernard George.

Philippe d’Hugues commença à y collaborer (bénévolement faut-il le  préciser ?) en 1960 « pour succéder à Pierre-André Boutang, fils aîné [du fondateur], et qui était un ami. Titulaire de la rubrique cinéma qu’il abandonnait pour devenir lui-même assistant du metteur en scène Léo Joannon, il me proposa de l’y remplacer (p. 9) ». Quand on lit ses contributions dans le journal de Boutang, on est surpris par la tolérance de son directeur. Ce fidèle maurrassien dans l’invective aurait pu exiger de ses rédacteurs une unité de vue nationaliste intégrale complète. Au contraire, Boutang ne se formalise ni des thèses évoquées par Ariès, ni des sujets traités par Philippe d’Hugues. Ce dernier souligne qu’il proposait « aussi parfois des sujets à Boutang qui n’en refusa jamais aucun, même quand ils étaient fort éloignés de lui. Tel était en effet le libéralisme vrai et au bon sens du terme, de celui que beaucoup dépeignaient comme une féroce autocrate… (p. 10) ».

Cette liberté de ton et d’approche parcourt tout le recueil avec une maestria remarquable. Selon l’humeur et les circonstances, les analyses de Philippe d’Hugues sont plus ou moins fouillées, mais elles tombent souvent justes. De temps en temps apparaît le cinéma avec des articles sur François Vineuil alias Lucien Rebatet ou « François Truffaut épistolier ». Cependant, il ne monopolise pas tout le livre.

La littérature ou – plus exactement – les littératures occupent l’essentiel du volume. Le pluriel s’impose, car Philippe d’Hugues ne se contente pas des classiques. Il témoigne de son intérêt pour la littérature dite populaire en saluant Fantômas. Il loue Robert Brasillach l’écrivain et vante aussi bien Roger Nimier que Jean-René Huguenin. Quand Philippe d’Hugues participe à La Nation française, la mode est encore aux « Hussards », cet ensemble hétéroclite de jeunes plumes talentueuses qui bravent avec panache le conformisme sartrien. En publiant ces Causeries du dimanche, Philippe d’Hugues permet aux jeunes générations de découvrir des écrivains au style racé très éloignés des actuels scribouillards primés grâce à de coupables complaisances éditoriales…

Outre la littérature, Philippe d’Hugues n’hésite pas à non plus à traiter de l’histoire, y compris celle de l’avenir. Avec le recul, on a l’impression que ses papiers portent un sens prédictif certain. Serait-il inconsciemment un devin ? Il faut le croire. En effet, dans « Louis Chevalier et l’histoire de Paris », on lit que « ce Parisien, si fort conscient de sa singularité, ne serait que le produit résiduel de toute métropole, l’animal des grandes cités, le monstre passe-partout que caressent certains sociologues, bref cette interchangeable et anonyme entité : le mégapolitain (p. 188) ». Écrit en 1963, ce texte présente une savoureuse actualité à l’heure des projets métropolitains du « Grand Paris ».

En esprit curieux, Philippe d’Hugues s’intéresse à une étude d’Émile Faguet (1847 – 1916). Avant Bertrand de Jouvenel, Faguet œuvra à la futurologie en réfléchissant en 1899 sur le XXe siècle bientôt naissant. Faguet pressent que ce nouveau siècle s’organisera autour de la démocratie, des grandes agglomérations politiques et de la ploutocratie. Sous ce dernier terme quelque peu désuet, Faguet évoque l’avènement d’une société capitaliste dominée par la spéculation… Philippe d’Hugues pense en 1962 aux temps des « Trente Glorieuses » que Faguet s’est trompé parce que ce dernier envisageait que « la ploutocratie en haut et la misère en bas augmenteront et le fossé s’élargira entre ceux d’en bas et ceux d’en haut ». L’auteur estime que « Faguet n’a pas deviné ce qui est sans doute le phénomène majeur de son évolution : les classes moyennes et tout ce que cela entraîne pour une humanité ainsi façonnée (p. 59) ». Or cinquante ans plus tard, force est d’observer au contraire l’extraordinaire lucidité de Faguet. Celui-ci prévoit en effet la formation sur les décombres des classes moyennes d’une société en sablier… Par ailleurs, Faguet croît aux grandes agglomérations politiques, c’est-à-dire aux constructions politiques continentales. Philippe d’Hugues juge que Faguet s’est trompé, car les deux conflits mondiaux « ont mis fin à ces grandes “ agglomérations politiques ” dont il prévoyait la pérennité (p. 61) ». Or, un demi-siècle plus tard, c’est la vision de Faguet qui l’emporte avec la prolifération d’ensembles géopolitiques continentaux tels que l’Union européenne, le Mercosur sud-américain, l’A.L.E.N.A. nord-américain, l’Union africaine, le Marché commun eurasien, l’A.S.E.A.N. extrême-orientale…

Philippe d’Hugues fait enfin des incursions en politique ou, plutôt, dans le champ des idées politiques. Familier de Maurice Bardèche, il chronique son Qu’est-ce que le fascisme ? et considère, la crise algérienne aidant, que « l’antifascisme a encore une belle carrière devant lui (p. 237) ». Il a très tôt compris qu’il s’agissait là de la pierre angulaire du Système.

Le goût sûr de Philippe d’Hugues pour les « réprouvés » se retrouve dans ce recueil avec de magnifiques recensions sur les écrits orientaux de Jacques Benoist-Méchin, sur ce « rebelle pour l’ordre » nommé Ernst Jünger ou sur l’activiste devenu écrivain Ernst von Salomon. Paru en 1966 dans une revue intitulée L’Intérêt européen, « L’Europe médiatrice » parachève l’ouvrage d’une brillante façon. « Nous ne voulons pas être de vagues Américains en moins riches, non plus que des sortes de Russes de l’Ouest. Nous voulons être des Européens : Français d’abord, Européen ensuite (p. 273). » Cette profession de foi très bardéchienne, l’auteur l’assume complètement. Il affirme même que « l’Europe doit se faire pour tous, mais au début, elle ne peut être que les écrits de quelques uns plus conscients et plus avisés (p. 277) ». Là encore, l’auteur frappe fort ! C’est à se demander que plutôt intituler ce livre Causeries du dimanche, il n’aurait pas mieux valu l’appeler en référence à l’Historien du dimanche de son compère Ariès Des divinations dominicales ?

Philippe d’Hugues, Causeries du dimanche, Auda Isarn, 2013, 282 p., 23 €.

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