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dimanche, 03 juin 2018

Un monde en voie de sous-développement ?

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Hervé Juvin Eléments n°112 cliquez ici

La première des croyances implicites de l’Occident, c’est l’irréversibilité du progrès. Le développement ne connaît qu’un seul sens, le progrès est le destin des hommes, et tous y sont appelés. Voilà le mantra de la modernité. En avant ! résume toute la politique moderne. Savoir où aller est une autre histoire.

Le problème est que le tableau du monde dément cette croyance, et condamne les politiques qui en résultent.

Madagascar, la grande Île, est aujourd’hui plus pauvre en infrastructures et plus de Malgaches vivent dans la misère qu’à la fin de la colonisation française, en 1964. Il faudrait analyser

comment le processus de sous-développement y est à l’œuvre, et comment les impacts du marché mondial, par exemple de la vanille ou des bois précieux, comment les implantations de sociétés étrangères attirées par des rendements financiers à court terme élevés, réalisent un autre modèle colonial, d’exploitation à distance, indifférent au pays et aussi chaleureux qu’un tableau Excel.

La Rhodésie était le grenier à céréales de l’Afrique subéquatoriale. Devenue le Zimbabwe, elle est parvenue après cinquante ans de présidence de Robert Mugabe, à diviser par... quatre sa production, au point qu’elle dépend pour nourrir sa population d’importations alimentaires, au point aussi que quelque deux à trois millions de Zimbabwéens vivent en Afrique du Sud dans des conditions des plus précaires – que ceux qui croient que la question des migrants est une question européenne aillent à Johburg !

Un nouvel invité, le marché

L’Afrique, dira le lecteur en levant les bras au ciel, l’Afrique, bien sûr ! Partons donc vers l’Amérique du Sud. Le Brésil et le Mexique partagent le privilège d’être deux grands pays en paix avec leurs voisins, mais que le taux annuel d’homicides classe parmi les pays en guerre civile. La criminalité y fait un nombre de victimes comparable à celui observé dans des pays comme la Syrie, la Libye ou la Centrafrique. Une évolution récente. Dans la plupart des régions rurales, une justice coutumière discrète et efficace faisait régner une sécurité qui allait de soi. Et la décomposition politique et sociale engendrée par la violence criminelle équivaut, par ses effets, à un recul majeur de la civilité et de la qualité de la vie – ici encore, le sous-développement territorial est à l’œuvre, dissimulé sous les pompes de l’« État de droit » et des droits de l’individu.

Aux Moyen et Proche-Orient, au-delà de la succession des drames irakien, syrien et libyen dont il faudra bien un jour chercher les vrais coupables, derrière la destruction des régimes baasistes, c’est la régression politique qui est à l’œuvre. Qu’elle soit marquée par la reprise de pouvoir de la religion, et l’islamisation en profondeur de sociétés qui n’étaient occidentalisées qu’en surface, qu’elle affole l’Europe d’un retour du sacré, de l’irrationnel et du sacrifice qui déjoue son matérialisme, cette régression politique renvoie d’immenses territoires et des populations nombreuses avant l’ordre des nations, des empires et de l’État, du côté de la survie communautaire et du politique comme moyen de la foi. Sans doute, dans les temps qui viennent, ne sera-t-il pas donné à tous les peuples, à toutes les nations, d’avoir un État – vous n’êtes pas conformes ? retournez à l’état tribal ! À l’évidence, ce qui se passe au Maroc comme en Syrie, et en Iran ou en Turquie comme au Liban, peut difficilement être rangé dans la lignée du progrès, et compté parmi les réussites de la politique d’intervention occidentale. Le volontarisme du plan américain de « Great Middle East » laisse derrière lui un champ de ruines, et toute une région ramenée plus d’un demi-siècle en arrière. Pour quelles convulsions à venir ?

Qu’en est-il en Europe ? Le front du fondamentalisme est ouvert au nord de la Méditerranée, et déjà sont en place les scénarios d’affrontement ethno-religieux qui ramèneront l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou la France trois ou quatre siècles en arrière, au temps des guerres de religion. Pour abaisser l’Europe, rien de tel que de diviser ses nations et de détruire l’unité interne qui était leur première force, celle de la Serbie résistante comme celle de la Hongrie ou de la Pologne. Pour paralyser l’Europe rien de mieux que d’y animer des conflits internes, ceux qui se préparent dans les Balkans pour contrer l’influence chinoise, la présence russe et le poids de la religion orthodoxe.

Il n’est jusqu’au discours dominant sur la « start-up » nation, l’économie entrepreneuriale, etc., qui ne puisse être enrôlé dans ce processus de sous- développement, de régression politique et de décomposition interne. Le processus de sous-développement social est manifeste dans le renoncement implicite aux idéaux de justice, d’égalité de citoyenneté – qui oserait encore s’en prévaloir en Europe ?

À ce point, l’observateur s’arrête et sent le moment venu de faire le point. Et s’il existait une stratégie du sous-développement ? Et si la ruine des sociétés civiles, la destruction d’États en pleine possession de leur territoire et de leurs ressources, et si la privatisation des institutions et des fonctions collectives dans les régions qui ne se conforment pas à l’ordre marchand, étaient une politique ? En-dessous des confrontations entre États, celui de la destruction des infrastructures politiques tant bien que mal mises en place par les puissances coloniales sur le modèle de l’État-nation. Le rôle inédit joué par les sociétés de sécurité privées au Moyen et Proche-Orient, en RDC, au Mozambique, ou dans le coup d’État réussi en Arabie saoudite, devrait alerter davantage. Car, dans l’arrangement conclu voici deux siècles entre le droit, le politique et l’histoire, un invité que nul n’attendait sous cette forme apparaît, et c’est le marché, qui fait de la paix et de la guerre, de la faim et de la soif, de la vie ou de la mort, un produit comme les autres, une prestation comme une autre, qui se paieront leur prix.

11:03 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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