Le 16 janvier 2014 s’éteignait à Tokyo à l’âge respectable de 91 ans Hirô Onoda. Il fut certainement l’ultime porteur des principes fondateurs de l’esprit samouraï, le dernier Japonais à avoir sacrifié sa vie pour la grande idée impériale.
Le Lys noir de feu Rodolphe Crevelle en date du 21 juin 2012 présentait cet incontestable héros contemporain. Le titre du texte claquait tel un défi lancé à la moraline ambiante : « Comment gagner une guerre mondiale quand on est seul… » Hirô Onoda appartient à ces conscrits nippons qui, faute de moyens de transmission appropriés, ignorèrent la défaite de leur pays en 1945 et continuèrent à combattre sur des îles, plus ou moins isolées, de l’aire Asie – Pacifique.
Jeune lieutenant à la fin du conflit, Hirô Onoda rejoint l’île occidentale de Lubang aux Philippines. Instruit auparavant dans une école de guérilla à Futamata, il reçoit des ordres explicites : 1) ne jamais se donner la mort, 2) désorganiser au mieux l’arrière des lignes ennemies une fois que l’armée impériale se sera retirée, 3) tout observer dans l’attente d’un prochain débarquement japonais.
Ce pratiquant de kendô de 22 ans prend très à cœur sa mission. Il s’exaspère en revanche du piètre état physique et moral de ses compatriotes sur place. « Je me retrouvais là sans aucun pouvoir, avec des troupes désordonnées dont aucun soldat ne comprenait rien aux bases de la guérilla que nous aurions à mener sous peu (p. 90). » Son enthousiasme martial contraste avec le défaitisme latent des plus anciens.
Hirô Onoda et trois autres militaires commencent leurs raids dès que les Yankees investissent Lubang. Si l’un d’eux finit par faire défection et se rend, ses trois compagnons de guerre persistent à lutter. Ils restent fidèles au « serment de continuer le combat. C’était le début du mois d’avril 1946 et nous constituions la seule force japonaise de résistance présente à Lubang (p. 120) ». Pendant vingt-neuf ans, Hirô Onoda mène ainsi une vie de camouflage, une existence furtive, sur le qui-vive, une survie permanente. La prouesse est remarquable. À son arrivée, sa « première impression de Lubang fut que c’était un terrain difficile pour y mettre en œuvre la guérilla (p. 74) ».
Hirô Onoda voit successivement ses deux derniers frères d’armes tombés au combat face aux Étatsuniens, à la police locale ou à des habitants de plus en plus téméraires. Les autorités de Manille et de Tokyo emploient divers moyens pour leur faire comprendre la fin des hostilités. Sans succès. « Nous ne pouvions pas nous résoudre à croire que la guerre était finie. Nous pensions que l’ennemi forçait des prisonniers à participer à leur supercherie (p. 117). » Malgré les tracts parachutés dans la jungle, les journaux nippons laissés volontairement bien en évidence près des sentiers et même des émissions radio écoutées grâce à un transistor volé, aucun ne consent à déposer les armes. « Nous avions juré que nous résisterions aux démons américains et anglais jusqu’à la mort du dernier d’entre nous (p. 177). » Pourquoi ? Parce qu’« il était de notre devoir de tenir le coup jusqu’à ce que la Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale soit solidement établie (pp. 168 – 169) ».
Modèle d’abnégation patriotique totale, bel exemple d’impersonnalité active, Hirô Onoda est alors certain qu’en cas d’invasion du Japon, « les femmes et les enfants se battraient avec des bâtons en bambou, tuant un maximum de soldats avant de mourir. En temps de guerre, les journaux martelaient cette résolution avec les mots les plus forts possibles : “ Combattez jusqu’au dernier souffle ! ”, “ Il faut protéger l’Empire à tout prix ! ”, “ Cent millions de morts pour le Japon ! ” (pp. 177 – 178) ». Ce n’est que le 9 mars 1974 que le lieutenant Onoda arrête sa guerre dans des circonstances qu’il reviendra au lecteur de découvrir.
Devenu éleveur de bétail au Brésil où vit depuis le XIXe siècle une forte communauté japonaise, Hirô Onoda retourne ensuite au Japon pour enseigner aux jeunes déformés par le monde moderne les techniques morales et pratiques de survie. Il ne se renia jamais. Préfacier et traducteur d’Au nom du Japon (La manufacture de livres, 2020, 317 p., 20,90 €), le Tokyoïte Sébastien Raizer qualifie ce livre de « récit hors du commun [… qui] se lit comme la plus haletante des aventures humaines (p. 7) ».
Un « bo-bo » du XIVe arrondissement de Paris ou du Lubéron y verra sûrement le témoignage d’un fanatisme ardent. Il ne comprendra pas qu’Au nom du Japon est avant tout une formidable leçon de volonté, de courage, de fidélité et d’honneur. Un très grand ouvrage !
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• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n°166.
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