vendredi, 10 décembre 2021
Nationalisme appellation contrôlée
Jean-Gilles Malliarakis, L'Insolent cliquez là
Les remous de la campagne présidentielle, qui désormais bat son plein, ne devraient pas dissimuler une problématique permanente, et centrale : celle du sens national. On peut appeler cette vertu de divers noms : patriotisme pour les uns, identité pour les autres, nationalisme osait-on invoquer autrefois, sans que ce mot ne fasse peur qu'aux victimes de la tremblante du mouton. Ces mots devraient être considérés comme plus ou moins synonymes dans notre langue. Barrès et Maurras, en tant que fondateurs en ont définitivement tracé les contours.
Dire comme on l'entend souvent que le nationalisme est un facteur de guerre, c'est considérer que le radical-socialiste Daladier, qui déclara la guerre en 1939, ou Viviani en 1914 étaient des nationalistes. Maurras prévoyait la guerre : il ne l'appelait pas de ses vœux, soulignant avec véhémence, combien il était monstrueux de ne pas s'y préparer. "Armons, armons" écrivait-il au moment de la crise de Munich de 1938. Lorsqu'elle survint en 1939, du fait de l'alliance Staline-Hitler (1) on put redécouvrir à quel point il avait tragiquement raison.
Constatons d'abord une ambiguïté : strictement, le mot et la rhétorique "nationaliste" ou "patriote" devrait transcender l'antagonisme droite gauche. Même si leurs solutions sont mauvaises et leurs liaisons internationales calamiteuses, un Mélenchon aujourd'hui, un Chevènement hier, se réfèrent, par intermittence, à un discours d'apparence "nationale". Or, ils s'expriment toujours sous les plis d'une idéologie qui s'appelle en fait le jacobinisme, terme qu'il semble préférable d'utiliser en l'occurrence et que ne récusent pas les "nationalistes de gauche".
Il faut donc saluer ici la parution récente d'un fort utile petit volume, où l'on retrouvera la plupart des questions que posent, aujourd'hui plus que jamais, la référence au nationalisme et sa dénaturation. L'ouvrage est intitulé "Critique du nationalisme" (2).
Le texte central, de 59 pages, est l'œuvre d'Arnaud Guyot-Jeannin. Intelligemment sous-titré comme un "plaidoyer pour l’enracinement et l’identité des peuples", il est encadré d'une fort éclairante préface signée d'Alain de Benoist (3), et plus encore d'une très dense et pertinente postface que l'on doit à Philippe Lamarque (4). L'ensemble de ce corpus mériterait sans doute de prendre le relais des "Doctrines du nationalisme". Ouvrage de référence de notre "classe soixante" ce livre avait été publié en 1959 par Jacques Ploncard d'Assac. Depuis, outre l'évolution historique, plusieurs écrits majeurs et indispensables complétaient le propos, en particulier "les Deux patries" du regretté Jean de Viguerie (5).
Ce nouveau petit livre offre un grand choix de fortes citations et d'idées justes.
On regrettera quand même l'absence de référence au christianisme, qui paraît pourtant peu dissociable de la patrie de Clovis, de saint Louis, de Jeanne d'Arc, de saint Vincent de Paul.
Les passionnés d'Histoire le chipoteront peut-être aussi sur quelques éclairages historiques incertains, sinon abusifs.
Non par exemple le nationalisme des jacobins n'est pas le produit de la "victoire" en 1793 (6).
Les adversaires de la Révolution, comme ses religionnaires, ont trop souvent tendance à la considérer comme un bloc. De ce fait beaucoup de lecteurs et disciples de Charles Maurras perçoivent assez mal, ou refusent de voir, la distance qui sépare un Jean-Joseph Mounier, premier président des États Généraux en 1789, ou un Mirabeau, des hommes du Comité de salut public de l'An II. Beaucoup ignorent que la première constitution votée en 1791 se voulait monarchique. On connaît, dans le camp adverse, la formule de Clemenceau. À cet égard, on ne rappellera jamais assez le contexte odieux du propos. Le Tigre, futur premier flic de France, faisait alors office de porte-parole des républicains radicaux. Il s'agissait de leur part, de retirer de l'affiche une pièce de Victorien Sardou osant opposer Danton à Robespierre. Non seulement, ils obtinrent gain de cause mais leur doctrine de l'unité de la Révolution prévaut, aujourd'hui encore, y compris dans la mémoire de leurs adversaires. C'est là un des passages les plus mensongers, car il en existe d'autres, de ce qu'on appelle le roman national.
En fait, contrairement à ce que suggère le raccourci de notre auteur, ce n'est pas en 1789 que sombre la monarchie, mais en 1791 au retour de Varennes quand les forces de sentiment se retournent contre la famille royale. Quant à la Grande Terreur son règne coïncide avec la période des difficultés de la guerre, certainement pas avec les victoires. Rappelons ainsi qu'en janvier 1793, c'est au moment de la mort du Roi que la Vendée s'insurge et refuse la levée en masse. Après Fleurus (26 juin 1794) vient Thermidor (le 27 juillet). Londres, sous l'influence du Premier ministre William Pitt le Jeune (7), jusque-là avait tout fait pour ne pas entrer dans la guerre européenne déclenchée au printemps 1792, doit-on le rappeler, par les Girondins.
Les jacobins comme les communistes entendent répandre leur système et l'imposer au reste du monde. Puisqu'ils incarnent la Raison et la Science, ils se doivent de régner par la Terreur à l'intérieur, et par la Guerre à l'extérieur. La branche modérée des fédéralistes girondins ne peut dès lors que laisser la place aux montagnards centralistes puisque guerre et révolution ne font qu'un.
Inhérente à toute révolution, la militarisation à marche forcée qu'on considère comme caractéristique du régime hitlérien en Allemagne, marquera encore plus dans leur longue histoire les deux grandes expériences communistes : ainsi en URSS, avant, pendant et après le règne de Staline ; en Chine, la soi-disant révolution culturelle peut être considérée comme un coup d'État militaire inventé par Mao en 1965-1966 pour retrouver le pouvoir. La logistique est assurée par le ministre de la Défense Lin Biao. Par la suite Deng Xiaoping comme Xi Jinping, trop souvent envisagés en occident comme l'expression du Parti-État exerceront eux-mêmes leur autorité comme détenteurs du secrétariat de la Commission militaire.
Si l'on s'en tient aux dimensions économiques, il est ainsi probable qu'au cours de toute son histoire la part du PIB soviétique affectée à la Défense, à la production d'un équipement considérable a toujours avoisiné les 25 %, véritable cause de l'effondrement du système en l'absence de tout complot occidental.
Cette hypermilitarisation, contraire aux véritables intérêts nationaux n'a en définitive rien à voir avec le nationalisme. Je ne crois pas qu'Arnaud Guyot-Jeannin s'y trompe, pas plus que ses lecteurs. Oui, le véritable patriotisme de notre temps c'est bien, comme il l'écrit, "l’enracinement et l’identité des peuples".
Notes
(1) Je ne puis que recommander à ce sujet mon livre dossier sur "L'Alliance Staline-Hitler".
(2) Critique du nationalisme" aux éditions Via Romana, 29 rue de Versailles, 78150 Le Chesnay tel 06 87 53 96 45, via.romana@yahoo.fr, octobre 2021, 96 pages.
(3) pp. 9-17
(4) pp. 87-94
(5) "Les Deux Patries" par Jean de Viguerie, nouvelle édition, 2017, 276 pages, Éditions Dominique Martin Morin.
(6) cf. page 62
(7) Disciple d'Adam Smith il s'attache par priorité à ce que le fondateur de l'économie politique appelle la Richesse des Nations, base véritable de leur puissance. Soulignons qu'au lendemain de la guerre d'indépendance américaine, la Couronne britannique était dans une situation d'endettement plus lourde que celle des Rois de France. Une fois leurs finances rétablies les Anglais seront en mesure de supporter le coût non seulement de leur propre guerre contre la Révolution et l'Empire, mais aussi de celle que mènent ses alliés autrichiens, prussiens et russes.
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