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vendredi, 12 avril 2024

L’alternance à Dakar

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La chronique flibustière de Georges Feltin-Tracol

Le 24 mars dernier, avec une participation s’élevant à 61,30 %, 54,28 % des électeurs sénégalais  choisirent dès le premier tour Bassirou Diomaye Diakhar Faye à la présidence de la République de cet État francophone d’Afrique occidentale. Le 2 avril, conformément au cadre constitutionnel en vigueur, le plus jeune chef d’État sénégalais, 44 ans, prêta serment devant une quinzaine de dirigeants africains, en particulier le Nigérian Bola Tinubu, président en exercice de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest). La cérémonie d’investiture mit un terme à un trimestre politique agité.

La chronique n°103 cliquez ici évoquait la décision explosive des sept juges du Conseil constitutionnel. Ils annulaient le report de la présidentielle au mois de décembre et exigeaient sa tenue selon le calendrier légal prévu. Constatant l’inaction de l’exécutif à fixer une date précise pour le premier tour, ce même conseil imposa le 24 mars et conserva le même nombre de candidats. Seule Rose Wardini retira sa candidature.

Mis devant le fait accompli, le président Macky Sall pousse à la démission, dès le 6 mars, le premier ministre, Amadou Ba, et en nomme un nouveau, Sidiki Kaba. Amadou Ba poursuit sa campagne électorale. Le Parlement adopte dans le même temps une loi d’amnistie pour toutes les violences commises depuis 2021. Cette mesure pacificatrice concerne aussi bien les manifestants et/ou émeutiers que les forces de l’ordre responsables de nombreux tirs mortels (une soixantaine de tués). Une fois celle-ci promulguée à la mi-mars, le président-fondateur du mouvement des PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité) dissout, Ousmane Sonko, et le secrétaire général de ce parti interdit, mais très actif dans la clandestinité, Bassirou Diomaye Faye, quittent leur cellule respective. Si Ousmane Sonko a perdu ses droits civiques et est inéligible, Bassirou Diomaye Faye qui se trouvait en détention provisoire pour outrage à la magistrature, reste candidat. Dans le même temps, début mars, la justice réhabilite Ousmane Sonko, annule sa condamnation par contumace et le réinscrit sur les listes électorales. Certes, il est trop tard pour qu’il puisse remplacer Diomaye Faye. À peine libérés, le duo multiplie les réunions publiques et soulève l’enthousiasme de la jeunesse déclassée. Quinze jours plus tard, ce tandem remporte les élections et passe du statut de prisonniers politiques à celui de dirigeants de premier plan. Ce parcours n’est pas étonnant. Maints dirigeants au XXe siècle ont d’abord connu la prison avant d’accéder au pouvoir. Il est fort probable qu’au XXIe siècle, divers politiciens (à l’instar peut-être de Nicolas Sarközy dans les prochains mois) se retrouvent en prison après l’exercice du pouvoir.

L’engouement électoral en faveur de Bassirou Diomaye Faye a surpris tous les observateurs. Il est courant qu’au Sénégal, le vainqueur gagne dès le premier tour même si, dans les années 1960, Léopold Sédar Senghor était le candidat unique. Seules les présidentielles de 2000 et de 2012 ont connu un second tour. En 2000, le libéral du PDS (Parti démocratique sénégalais) Abdoulaye Wade bat le président socialiste Abdou Diouf. En 2012, le président Abdoulaye Wade perd face à son ancien Premier ministre, Macky Sall…


Outre sa jeunesse, Bassirou Diomaye Faye suscite bien des interrogations. Les PASTEF seraient des souverainistes de gauche. Or la gauche occidentale semble s’en méfier. La une de Libération du 26 mars 2024 montre un Diomaye Faye en contre-plongée, singulière façon de saluer la victoire d’un ancien prisonnier politique. Nos belles âmes festives, wokistes, inclusives et féministes n’apprécient guère que le nouveau président soit de manière officielle bigame. Ce musulman pieux a une première épouse de confession chrétienne avec qui il a quatre enfants (une fille et trois garçons), et une seconde épouse musulmane. Fait inédit, le Sénégal a désormais deux épouses officielles. Le protocole établirait une « première dame » et une « seconde dame ». La bigamie demeure cependant pour les gendéristes de l’Occident terminal une manifestation patriarcale honnie alors qu’il s’agit d’une coutume africaine fort respectable pour tout ethno-différencialiste conséquent. Autre pierre d’achoppement à venir : le nouveau gouvernement envisagerait de renforcer la pénalisation de l’homosexualité. Voilà une intention qui ne va pas dans le sens du LGBTisme international… La majorité des Sénégalais est musulmane même si la République du Sénégal est un État laïque. Les confréries musulmanes et une prégnance certaine de l’animisme structurent cet islam incompatible avec la vision rigoriste des wahhabites. Il est habituel que les Sénégalais de toutes religions célèbrent le lundi de Pâques.

Qualifié d’« anti-Système », Bassirou Diomaye Faye a étudié à l’ÉNA de Dakar. Haut-fonctionnaire, il choisit l’inspection des finances et des domaines. Il partage avec son collègue, Ousmane Sonko, une ferme détermination à combattre la corruption endémique. Des prospections au large des côtes du Sénégal révèlent l’existence de vastes gisements d’hydrocarbures sous-marins (gaz et pétrole). Pas certain donc que le peuple sénégalais accepte la transition écologique à la mode occidentale et la mise à la retraite des véhicules thermiques. C’est fou que les Verts occidentaux reformulent sous couvert d’un discours écologiste bienveillant envers le climat les vieilles lunes néo-colonialistes et pseudo-paternalistes !

Malgré l’onction populaire incontestable, le mandat du nouveau président s’ouvre sur diverses incertitudes. Quelles vont être les relations entre le président Diomaye Faye et Ousmane Sonko ? Une éventuelle réforme constitutionnelle créerait la fonction de vice-président de la République, mais quel rôle garderait le Premier ministre ? N’y a-t-il pas un risque de tricéphalisme exécutif ? Pour couper court à toutes les spéculations, le nouveau président a immédiatement nommé Ousmane Sonko Premier ministre. Quels rapports ce tandem va-t-il dorénavant entretenir avec la « Françafrique » en coma dépassé ? Certes, il souhaite quitter la zone du franc CFA (Communauté financière africaine) ou bien concevoir une nouvelle monnaie, peut-être à vocation panafricaine, dégagée du cours de l’euro. Leur aura d’anciens opposants peut leur attirer la sympathie des gouvernements militaires de l’Alliance du Sahel (Mali, Niger et Burkina Faso) d’autant qu’un même panafricanisme les anime.

Par ailleurs, comment le nouveau chef de l’État va-t-il gouverner alors qu’il doit cohabiter avec une Assemblée nationale qui lui est hostile ? La Constitution interdit toute dissolution dans les deux premières années de la législature. Cette contrainte cessera en juillet prochain. Il est toutefois possible que le PDS qui a appelé, deux jours avant le scrutin, à voter pour Bassirou Diomaye Faye soutienne le nouveau gouvernement. Les nouveaux responsables doivent par conséquent composer avec un « Établissement » plus ou moins hostile, même si Macky Sall a reçu son successeur, le 28 mars, afin de déclencher le processus de transition démocratique.

Le Sénégal ouvre une nouvelle page de son histoire. Il a su surmonter une incroyable crise politico-institutionnelle. Il a montré à tout un continent enclin aux coups d’État, aux révolutions de palais et aux soulèvements populaires que la voie électorale peut renverser dans les formes légales et pacifiques un gouvernement solidement installé. Ce n’est peut-être pas un hasard si, ancienne colonie française, le Sénégal a eu pour fondateur un poète, épris de littérature et agrégé de grammaire. Par le biais de la langue qu’on habite toujours, certaines particularités morales françaises s’y enracinent durablement.

Salutations flibustières !

 « Vigie d’un monde en ébullition », n°110, mise en ligne le 10 avril 2024 sur Radio Méridien Zéro.

13:50 Publié dans Georges Feltin-Tracol | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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