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dimanche, 05 octobre 2025

La pulvérisation de la politique

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Mathieu Bock-Côté

Sébastien Lecornu, premier ministre depuis trois semaines, a annoncé vendredi, dans le fol espoir d’éviter la censure d’un gouvernement qu’il n’a pas encore formé, et qu’il ne voudrait pas voir avorté ni mort-né, qu’il renonçait à l’usage du 49.3. Il demande, ou plutôt quémande, aux partis de le laisser tenter un budget qu’ils pourront ensui- te refuser s’ils le souhaitent. C’est ce qu’on appelle chercher péniblement à s’installer au pouvoir ne serait-ce qu’un instant, en sachant qu’on en sera presque aussitôt expulsé.

C’est ce qu’on appelle aussi faire volontairement pitié, en prenant la position du faible, pour donner à ceux qui peuvent l’occire l’occasion de le gracier. On imagine une pièce de théâtre officiellement tragique mais involontairement comique : je suis si faible, je me menotte, je me lie les pieds, j’ampute même la langue, alors voudriez-vous, mes bons maîtres, me laisser la chance d’agoniser devant vous, et peut-être alors pourrais-je avoir votre clémence, pour un instant ou deux ?

Ce qui veut aussi dire qu’il construira son prochain budget, s’il parvient à le faire, dans un jeu d’alliances qui accouchera évidemment d’un texte bancal, étranger à toute réduction des dépenses de l’État. L’épouvantail de la taxe Zucman étant désormais rangé aux placards des idées radicalement sottes, il pourra multiplier les impôts nouveaux, à l’instar de la « taxe sur le patrimoine financier » évoquée ce vendredi, en faisant toujours les poches aux mêmes, qui se diront toutefois soulagés d’avoir échappé au pire. Le régime sait ruser pour se maintenir, et fabriquer les débats nécessaires pour effrayer les uns et faire taire les autres.

Mais le problème de Sébastien Lecornu dépasse largement la seule fabrication d’un budget, quel qu’il soit; il nous conduit à la faillite très visible, et confirme l’effondrement du système représentatif au cœur de la Ve République. Il est de plus en plus difficile de tricoter un gouvernement avec les lambeaux du bloc central, qui exerce une emprise quasiment totale sur les institutions. La république du général De Gaulle culmine dans une forme de giscardisme inversé où deux Français sur trois sont condamnés à l’opposition structurelle parce que leurs partis sont jugés indignes de gouverner.

On ne sait plus trop, d’ailleurs, s’il faut construire le Front républicain contre LFI, ou plus probablement contre le RN, mais on comprend qu’il en faut un absolument, car c’est seulement ainsi que le régime peut se maintenir, en désignant devant lui une bête immonde à combattre à tout prix. Dès lors, tout l’appareil de propagande du régime vire à l’exorcisme permanent contre le diable du jour. Le prix à payer est toutefois élevé : le pouvoir ne par- vient plus à se maintenir que par la mise en scène d’une légitimité négative.

L’idéologie dominante, hybride de l’extrême centre et de la gauche radicale, peut ainsi se maintenir, en transformant la France en chantier d’expérimentation idéologique, de manière toujours plus autoritaire, car elle est rejetée par les profondeurs du pays. Mais dans quelle mesure ceux qui gouvernent croient encore à ce qu’ils disent, au-delà de la répétition rituelle des formules creuses, qui contiennent généralement le mot « républiique » et qu’on prononce avec des trémolos dans la voix ? Une pensée politique ne tenant plus qu’en quelques expressions consacrées, verrouillées juridiquement, et fondées sur la possibilité de traîner devant les tribunaux ceux qui s’en éloignent, est une pensée morte.

À travers cela, la classe technobureaucratique qui s’est emparée des institutions et en crée sans cesse de nouvelles pour y recaser ses membres se permet encore un tour de manège, peut-être un dernier, en s’offrant même la grande vie comme on semble le faire à la mairie de Paris et dans la nomenklatura socialiste qui tourne autour, avant que le cirque ne se termine, que la troupe comique qui se prend pour une classe politique ne soit balayée malgré elle. Au pouvoir, ces gens-là se goinfrent, jouissent sans entraves.

La référence à la IVe République est convenue mais nécessaire. À l’échelle de l’histoire, un régime meurt quand il n’est tout simplement plus capable de répondre aux enjeux historiques qui touchent un pays. On craignait que la Ve République ne soit ensevelie sous la question migratoire. On se dit aujourd’hui qu’elle pourrait tout simplement mourir, car incapable de produire le plus élémentaire des textes : un budget.

La présente élite est en fin de parcours. Reste à voir si une autre se profile avec la vigueur nécessaire pour restaurer la souveraineté, redonner au pouvoir sa puissance créatrice ou si cette élite de remplacement, que l’on aime dire populiste, a à ce point intériorisé les codes et la mentalité du régime qu’elle guette seulement l’occasion de se bâfrer au banquet à son tour, tout en se distribuant les belles médailles et autres colifichets du mérite républicain.

Source : Le Figaro 4/10 /2025

05:21 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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